Justice

Procès des attentats de Bruxelles : cinq jours, cinq problèmes

Croquis d'Ali El Haddad Asufi, l'un des accusés au procès des attentats de Bruxelles.

© Palix

Une journée pour la composition du jury, quatre journées d’audience sur le fond. Ces cinq premiers jours du procès des attentats de Bruxelles ont été émaillés d’autant de problèmes. Ce démarrage difficile est-il de mauvais augure pour ce procès qualifié d’historique qui devrait se prolonger jusqu’à l’été ?

Les deux versions du box des accusés
Les deux versions du box des accusés © RTBF

1. Le box des accusés

La première grande polémique de ce procès arrive lors de la découverte du box des accusés. Dans sa première version, il est prévu que les accusés s’installent dans des cellules individuelles vitrées. Ils sont isolés du reste de la salle d’audience. Seule une petite fente de type boite aux lettres est prévue à l’avant du box pour échanger des documents avec les avocats.

Les avocats de la défense sont tous montés au créneau lors de l’audience préliminaire du 12 septembre. Leurs arguments : la présomption d’innocence de leur client est mise à mal. Dans une telle installation, ils semblent coupables avant même d’avoir été jugés. Les droits de la défense sont malmenés sans parler de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Quatre jours après cette audience préliminaire, la présidente de la cour d’assises, Laurence Massart, annonce qu’il faudra procéder au démontage de ce box. Elle considère que ce dispositif viole l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme sur le droit à un procès équitable.

Résultat : au lieu de commencer le 10 octobre 2022, le début du procès est reporté au 5 décembre, le temps de réaliser les travaux. Des groupes de travail multidisciplinaires avaient pourtant planché sur ce procès pendant plus de trois ans. La question du box avait été soulevée à de nombreuses reprises auprès du SPF Justice. Sans succès.

2. Les transferts de la prison au Justitia

Lundi, premier jour d’audience, Mohamed Abrini souhaite informer la présidente de la cour d’assises d’une "situation préoccupante". Il évoque les conditions dans lesquelles les accusés sont transférés de la prison au bâtiment Justitia. "On nous humilie, on nous bande les yeux et on nous met de la musique satanique à fond dans les oreilles", avant d’annoncer : "Si nous devons encore subir de pareilles humiliations, je ne répondrai à aucune question".

Mercredi, cinq des sept accusés du box demandent à quitter l’audience. Il s’agit de Mohamed Abrini, Salah Abdeslam, Sofien Ayari, Osama Krayem et Ali El Haddad Asufi. Avant de quitter le box, ce dernier demande la parole et s’adresse à la présidente de la cour d’assises : "Ça fait six ans et demi que j’attends ce procès, je veux m’expliquer, mais ce n’est pas possible. Tout est fait pour nous humilier et nous briser psychologiquement. On n’a pas les moyens de s’exprimer sereinement".

L’accusé, déjà jugé et condamné à dix ans de prison à Paris, entend, lui aussi, dénoncer les conditions de transfert entre la prison et le bâtiment Justitia. Son avocat, Me Jonathan De Taye, fournit des détails. Il évoque les fouilles à nu, les génuflexions, la privation sensorielle à savoir des déplacements avec des lunettes occultantes, de la musique à plein volume.

À ces interpellations, la présidente de la cour d’assises précise qu’elle n’a pas la mainmise sur ces questions. Elle ne peut donc rien faire.

Sollicitée, la police fédérale, en charge de ces transferts, répond laconiquement : "Il s’agit de procédures strictes qui s’appliquent autour des suspects de terrorisme, en fonction de la menace potentielle. Pour des raisons de sécurité, nous ne communiquons pas de détail sur les mesures appliquées. La sécurité des agents de police, des suspects et de la population est prioritaire".

3. Un accusé étranglé à sa sortie de cellule

L’ambiance est tendue pendant ces premiers jours de procès. Et cette tension monte encore d’un cran jeudi matin, au quatrième jour d’audience. Dans le box, l’accusé Ali El Haddad Asufi est couché sur son bras. Son avocat, Me De Taye, prend la parole : "J’hallucine. Je n’ai jamais assisté à un procès dans de telles conditions ! Ce matin, à sa sortie de cellule, mon client a été étranglé si violemment qu’il en a perdu connaissance. Je veux qu’un médecin légiste constate la marque qu’il a sur son cou".

L’audience est suspendue le temps qu’un médecin examine l’accusé. Une heure plus tard, ce médecin prête serment devant la présidente et lui fait son rapport : "L’accusé présente des blessures au niveau de la région cervicale, cohérente avec les faits qu’il décrit. Il m’a expliqué qu’il avait eu une clé de bras, un bras qui l’a serré au niveau du cou jusqu’au moment où il a perdu connaissance. Il n’est pas possible d’objectiver la perte de connaissance, mais je constate des érythèmes et des ecchymoses dans la région du cou. Il dit avoir été traîné sur le sol, il y a des abrasions sur le genou et une légère bosse à l’arrière de la tête".

L’avocat d’Ali El Haddad Asufi a annoncé qu’il porterait plainte. Plus tard dans la journée, le parquet de Bruxelles nous a confirmé l’existence de cette plainte. De son côté, la police fédérale a rédigé un PV pour rébellion à l’encontre de l’accusé. Cela peut laisser sous-entendre que celui-ci n’avait pas répondu à une injonction de la police à sa sortie de cellule. Le PV a été transmis au parquet de Bruxelles. Une enquête va être menée en parallèle du procès sur ces faits précisément. 

Le jury populaire
Le jury populaire © Palix

4. Le jury : tiendra ? Tiendra pas ?

C’est une des grandes questions de ce procès. Le jury populaire tiendra-t-il pendant toute la durée du procès ? Il aura fallu une journée à rallonge pour composer ce jury. Le mercredi 30 novembre, il est plus de 23h30 lorsque le jury est au complet : 12 jurés effectifs et 24 jurés suppléants.

Mais dès le premier jour d’audience sur le fond, la présidente doit déjà constater l’absence de deux jurés. Tous deux ont envoyé un certificat médical pour justifier leur absence. Et cette scène va se répéter à deux reprises. Mardi, un autre juré est absent pour raison médicale. Même chose jeudi. Un juré est touché par une gastro-entérite. La présidente lance : "J’espère qu’il n’était pas trop contagieux. Si on a une épidémie de gastro, on suspendra l’audience".

Le bilan peut donc déjà sembler inquiétant. Quatre jours d’audience, quatre défections. Mais Luc Hennart, porte-parole de la cour d’appel, se veut, comme à son habitude, rassurant et optimiste : "Au début d’un procès d’assises, il y a toujours des défections, mais une fois qu’on sera rentré dans le fond, les jurés se sentiront investis et ils feront tout pour être présents à chaque audience".

Cet enjeu est d’une importance capitale pour mener à bien ce procès. Lors de la délibération, il faudra absolument compter 12 jurés effectifs. Si le compte n’y est pas, le procès devra s’arrêter et il faudra tout recommencer depuis le début.

Par ailleurs, un autre élément a été rapporté par la présidente de la cour d’assises. Seuls les jurés effectifs vont être briefés par les unités spéciales de la police fédérale (DSU). Ils recevront des informations sur la manière de réagir en cas de risque élevé de survenance d’un attentat. Pour l’avocat de la défense, Vincent Lurquin, il s’agit d’une aberration de ne pas inclure dans ce briefing les jurés suppléants. La présidente le concède, explique avoir tenté de négocier, mais sans obtenir gain de cause.

5. Le rôle des interprètes

Un autre problème a été soulevé par les interprètes de ce procès. Ceux-ci sont nombreux à traduire l’ensemble des débats en néerlandais, anglais, arabe et même finnois.

Leur rôle est indispensable et, pourtant, tout n’aurait pas été prévu pour leur permettre de travailler dans de bonnes conditions. Ils n’auraient pas accès à un local de repos. N’auraient pas reçu l’acte d’accusation dans un format lisible. Les heures prestées seraient calculées à la minute près, pauses déduites. Un interprète a également dû travailler seul alors que la norme prévoit que les interprètes puissent se relayer.

La présidente a pris bonne notes de ces doléances. Elle a toutefois évoqué la difficulté de trouver des interprètes dans certaines langues comme le finnois.

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