Justice

Procès des attentats de Bruxelles, Katrijn est écrasée par un sentiment de culpabilité : "Je n’ai rien fait, j’ai mangé mes tartines"

La cour d’assises

© Palix

Les témoignages se poursuivent au procès des attentats de Bruxelles avec leur lot de souffrance. Plusieurs victimes ont évoqué le sentiment de culpabilité qui les ronge. C’est le cas de Katrijn. Après les explosions, elle est restée tétanisée. Son absence de réaction la hante jour et nuit.

Le 22 mars 2016, Katrijn et son mari doivent prendre un avion pour se rendre à New-York. Lorsque la première bombe explose, ils ont déjà passé les contrôles de sécurité et sont assis sur un banc pour manger leurs tartines. Katrijn se souvient : "On a entendu un gros bruit, mais je n’ai pas compris ce que c’était. On a regardé autour de nous, mais on n’a rien vu".

Après la deuxième explosion, le brouillard et la fumée arrivent. Des personnes paniquées également. Et une hôtesse de l’air affirme : "C’est une bombe". Tétanisée, Katrijn reste assise et continue à manger. Aujourd’hui, son absence de réaction la poursuit. "Il y avait beaucoup de panique. Et moi, je n’ai rien fait. Je n’arrivais pas à bouger. Je regardais ça comme un film".

C’est un énorme sentiment de culpabilité qui écrase cette victime encore aujourd’hui. Lors de son témoignage, elle répète à plusieurs reprises : "J’étais assise là, j’ai mangé mes tartines", raison pour laquelle elle n’arrive pas à se considérer comme une victime.

Malheureusement, ma demande d’euthanasie a été refusée

Les séquelles physiques sont également présentes : "Je n’arrive plus à manger. À chaque bouchée, je me vois assise sur ce banc. Je me dégoûte. Je suis condamnée à perpétuité à être nourrie par sonde"Effondrée psychologiquement et physiquement, cette victime a fait une demande d’euthanasie. Elle regrette : "Malheureusement, ma demande n’a pas été acceptée".

Katrijn conclut son intervention en se tournant vers le box des accusés. "Les accusés sont en cellule, mais ils y sont à cause de leurs choix. Moi, depuis sept ans, je suis enfermée dans ma propre cellule". Et d’ajouter que, pour elle, il n’y aura pas de pardon : "Les bombes ont volé mon bonheur et l’insouciance de mes enfants. Je ne pourrai jamais pardonner".

Avant de laisser partir cette victime, la présidente lui adresse ces mots : "être tétanisée est une réaction humaine. Certes, elle paraît moins belle que d’aller porter secours, mais ça reste une réaction humaine".

Pierre-Yves Desaive après son témoignage devant la cour d’assises
Pierre-Yves Desaive après son témoignage devant la cour d’assises © Melanie Joris

Plus tôt dans la matinée, c'est Pierre-Yves Desaive qui est venu déposer son témoignage. Il y a quelques jours, nous l'avions rencontré pour évoquer sa future prise de parole devant la cour d'assises. Le 22 mars 2016, il retire de l’argent à un distributeur du hall des départs. Deux minutes plus tard, la première bombe explose. Pierre-Yves Desaive est indemne, mais, lui aussi, porte un lourd sentiment de culpabilité. La culpabilité du survivant. 

Ce n’est qu’à la deuxième explosion qu'il comprend qu’il s’agit de bombes. Il se souvient : "Les personnes autour de moi se sont pris la charge. Moi, je suis passé à travers pour une raison que je n’arrive pas à comprendre. Je suis un athée convaincu, mais encore aujourd’hui, je me demande s’il n’y a pas une protection qui s’est mise en place pour que je reste vivant".

Quand la bombe explose, "J’ai été projeté sur le sol. Près de moi, il y avait des enfants. Je les ai enjoints à rester couchés. C’est une image difficile que je garde en mémoire. J’étais persuadé qu’une troisième bombe allait exploser sur le parking". Il se relève finalement quand une hôtesse de l’air lui tend la main. Il lui adresse aujourd’hui des remerciements : "On n’a pas beaucoup parlé du personnel navigant ici, mais je tiens à dire qu’ils ont fait un travail formidable en attendant les secours".

Ce survivant a aussi aidé d’autres personnes autour de lui. Il se souvient d’une dame plus âgée. D’avoir placé sa petite valise en toile sous sa tête et de lui avoir posé un garrot. Il explique : "Je voulais me rendre utile".

Enfin se sentir légitime

Malgré sa présence sur les lieux, sa proximité avec les bombes, Pierre-Yves Desaive se débat avec le sentiment de culpabilité du survivant. Après avoir quitté l’aéroport, il est couvert du sang de ceux qu’il a aidés. Le conducteur qui le prend en stop le conduit à l’hôpital. Sur place, Pierre-Yves Desaive veut rapidement quitter les lieux se disant : "les vraies victimes vont avoir besoin des lits".

Aujourd’hui encore, dans la salle d’audience, il pense aux victimes qui devaient témoigner et qui ont finalement renoncé : "Je donne ma voix à d’autres victimes. C’est aussi pour ça que j’accepte de témoigner dans les médias". Et la présidente de l’interroger : "Comme pour vous racheter de ne pas avoir été plus endommagé ?". Pierre-Yves Desaive répond positivement.

Pourtant cet historien de l’art n’est pas sorti indemne de ces attentats. Il explique avec pudeur : "Je souffre de stress post-traumatique. J’ai aussi des pensées suicidaires. J’ai passé le dernier Nouvel An aux urgences psychiatriques de Saint-Luc". Et ce n’est pas à cause d’un état d’ébriété, glisse-t-il.

À la sortie de la salle d’audience, après son témoignage, Pierre-Yves Desaive nous souffle qu’il est soulagé : "Je suis aussi très fatigué. J’ai l’impression d’avoir déposé quelque chose que je porte depuis des années". Et il ajoute : "J’ai eu peur d’oublier de dire certaines choses. J’ai aussi eu peur de craquer, mais je suis satisfait".

Avant de quitter le Justitia avec les amis proches qui l’ont accompagné, il nous précise : "Ce témoignage devant la cour d’assises, ça me légitimise enfin. Oui, j’y étais. Oui, je suis un survivant. J’ai échappé par miracle aux blessures physiques. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que ma parole a une légitimité. C’est ce que je cherchais depuis longtemps".

Sur le même thème : Sujet JT 13h 13/03/23

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