Charles M. est le chauffeur de taxi qui a véhiculé les terroristes de Zaventem le 22 mars 2016. Ce matin, il a d’abord refusé de se présenter devant la cour d’assises. Il a finalement fait le récit de cette course très particulière d’une voix basse et hésitante. L’homme a reconnu le regard de Mohamed Abrini et s’est souvenu de l’odeur terrible qui émanait des valises posées dans son coffre.
Début janvier, devant la cour d’assises de Bruxelles, les enquêteurs avaient présenté la reconstitution filmée réalisée avec le chauffeur de taxi. L’homme ayant collaboré avec les enquêteurs, il estimait ne pas devoir venir répéter son récit ce matin. La présidente lui a rappelé que le fait de témoigner était une obligation.
Des valises à l’odeur puante
Charles M. commence son récit : "Je reçois une course très tôt le matin, le jour venait de se lever. Je suis allé à l’adresse renseignée. Quand je suis sorti pour aller sonner, je n’ai pas trouvé les noms. Je suis retourné vers ma voiture, et à ce moment-là, j’ai entendu quelqu’un crier par une fenêtre. Il m’a fait signe de l’attendre".
Le chauffeur de taxi se souvient des bagages des trois jeunes hommes : "Ils avaient des valises. J’ai voulu les prendre, mais ils ont refusé que j’y touche. Ils les ont chargées eux-mêmes, j’ai laissé faire". Dans ces valises, les bombes qui exploseront quelques minutes plus tard.
Charles M. se souvient : "Il y avait une matière gluante sur les sacs et des traces de poudre blanche. Il y avait aussi une odeur qu’on ne peut pas oublier. C’était puissant". La présidente lui demande des précisions sur l’origine de cette odeur. "Une odeur chimique ?", demande Laurence Massart. Réponse du taximan : "Oui, dans la nature, on n’a pas ce genre d’odeur. Je sens encore cette odeur. Je crois que si je la croisais encore, pfiou… Mon cœur ne ferait qu’un tour".
Après cette course, l’homme prend l’autoroute. Il roule les fenêtres ouvertes, en espérant que l’odeur se dissipe : "J’ai eu peur de prendre un autre client tellement l’odeur était horrible. J’ai roulé à 120 km/h pour faire partir l’odeur".
Un homme calme, les deux autres plus crispés
La présidente interroge le chauffeur de taxi sur l’ambiance pendant ce trajet en voiture : "C’est celui qui avait des kilos en plus qui parle [Ibrahim El Bakraoui]. Il était détendu. Les deux autres ne disaient rien. Celui du milieu, j’avais l’impression qu’il était crispé. Le 3e avec son chapeau [Mohamed Abrini], il cachait son visage. Je n’ai pas échangé avec lui".
Une fois à l’aéroport, Ibrahim El Bakraoui paie la course : "Il me donne une grosse somme d’argent, je veux lui rendre la monnaie, mais il me dit : "Garde, on se recroisera peut-être".
Face au box des accusés, la présidente de la cour d’assises demande au témoin s’il reconnait Mohamed Abrini. Le taximan se tourne à trois reprises vers le box, gêné. Il finit par dire : "Je reconnais ses yeux, c’est le grand au chapeau. Les yeux, c’est important quand on fixe une personne. On ne peut pas oublier un regard".
Au commissariat à 8h29
Peu de temps après avoir déposé les trois terroristes à l’aéroport, Charles M. entend à la radio qu’il y a eu un attentat à l’aéroport. Aujourd’hui, il déclare : "Je pense que j’ai une bonne intuition, je l’ai suivie".
L’homme se rend au commissariat le plus proche et exprime ses doutes quant aux trois hommes qu’il a véhiculés. Il fournit aux policiers l’adresse des terroristes, Rue Max Roos. Une adresse très précieuse pour les enquêteurs. L’appartement sera très rapidement perquisitionné. Dans la rue, un ordinateur est également retrouvé dans une poubelle par le personnel de Bruxelles-Propreté. C’est l’ordinateur utilisé par les terroristes pour préparer les attentats.
Si les actions de Charles M. a indéniablement aidé à faire avancer l'enquête en 2016, son témoignage du jour a laissé l'image d'un homme détaché et nonchalant. Après son témoignage, il a quitté le bâtiment Justitia, escorté par des policiers, caché derrière un parapluie. Une première dans ce procès.