Belgique

Procès des attentats de Bruxelles : l’hôtesse Nidhi Chaphekar témoigne, sa photo a fait le tour du monde

Procès des attentats / l importance de la parole

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Cette image de l’hôtesse Nidhi Chaphekar a fait le tour du monde. Elle est prise à l’aéroport de Zaventem quelques minutes après l’explosion. Dans l’attente des premiers secours, toute la détresse du monde se lit sur ce visage qui prend lentement conscience du drame qui vient de se jouer. Aujourd’hui Nidhi Chaphekar, âgée de 47 ans, est venue d’Inde à Bruxelles pour raconter ce qu’elle a vécu le matin du 22 mars 2016 et les mois qui ont suivi.

D’emblée, Nidhi Chaphekar entame le récit de son arrivée à Bruxelles le 22 mars 2016 : "J’adore prendre l’avion et j’ai quitté l’Inde hier, un jour où l’on fête les "couleurs". Aujourd’hui c’est un mardi comme le 22 mars 2016. Il était 8 heures du matin et comme chef d’équipage je portais plusieurs sacs lorsque j’ai vu et entendu la première explosion". Elle raconte les cris, les objets partout en l’air qui semblaient voler, "je me suis dit on va tous se faire piétiner, je vais me sauver sans trop savoir dans quelle direction partir mais il était trop tard, la seconde explosion a eu lieu peu après, une boule de feu, j’ai eu comme des éclairs dans les yeux, je n’entendais plus rien. Je suis tombée un temps inconsciente, puis peu après je me suis dit c’est une bombe".

Je me suis dit, il faut bouger parce qu'il pourrait y avoir une troisième explosion

Elle se dit alors qu’il faut se sortir de là, mais impossible de se lever, "je me suis dit il faut que je bouge car il pourrait y avoir une troisième explosion, j’ai vu que j’avais encore mes jambes. Pour ma famille, mon fils qui passait ses examens, je me suis dit que je ne pouvais pas mourir ici". Elle appelle alors de l’aide comme elle peut, "j’ai entendu quelqu’un venir vers moi, on m’a incitée à me lever mais je ne pouvais pas".

Nidhi Chaphekar
Nidhi Chaphekar © PaliX

La présidente de la cour lui suggère ensuite de commenter la photo qui a fait rapidement le tour du monde après l’attentat. Elle y apparaît couchée sur un banc de l’aéroport dans un état qui paraît faussement sans gravité. 

Dans notre formation, on nous apprend à rassurer les autres

Nidhi Chaphekar explique qu’elle avait besoin de quelque chose pour se maintenir, raison pour laquelle elle était couchée là sur ces sièges : "j’ai commencé à sentir des vertiges. Dans notre formation, on nous apprend à rassurer les autres et j’ai appliqué ce que j’ai appris. Ma jambe saignait, j’ai tenté de limiter cette perte de sang car on ne savait pas quand l’aide médicale allait arriver". Par la suite, Alain, un policier, l’a recouverte et l’a aidée, explique-t-elle, "nous étions face au Sheraton, où on loge d’habitude avec l’équipe, je lui ai demandé de joindre mon capitaine par téléphone afin de rassurer par la suite ma famille".

La découverte de la troisième bombe

Placée par la suite sur un brancard puis dirigée vers un poste de secours proche du hall de l’aéroport, son souci premier a été de rester consciente : "il fallait rester éveillée, en pensant à ma famille je ne voulais pas mourir et j’ai compris qu’il se passait encore quelque chose car l’équipe médicale a quitté les lieux un moment, on m’a dit par la suite lorsqu’ils sont revenus qu’ils avaient trouvé une troisième bombe mais que tout allait bien maintenant".

Direction l’hôpital d’Anvers, la crainte de mourir

Nidhi Chaphekar sera un peu plus tard dirigée vers une ambulance : "j’ai expliqué aux ambulanciers qu’il fallait prévenir ma famille. Nous étions plusieurs dans cette ambulance. L’un d’eux m’a dit 'on va à Anvers', je lui ai répondu mais c’est très loin, je peux mourir d’ici là, il m’a dit que tout allait bien se passer, que je devais me calmer et qu’il allait rouler très vite". 

Anvers, c'est très loin, je peux mourir d'ici là ! 

Arrivé à l’hôpital, beaucoup de médecins étaient présents dès l’arrivée de l’ambulance pour la prise en charge : "ils ont retiré mes bijoux et j’avais de nombreuses traces de brûlures. Je me souviens de Marc, un infirmier qui parlait un peu l’anglais, je lui ai expliqué que je ne sentais pas mes jambes ; il m’a alors répondu que c’était normal parce que j’avais des morceaux de métal dans les jambes". Elle s’inquiète ensuite pour son visage qui était brûlé. Elle n’aura plus l’occasion de se poser beaucoup de questions, les médecins décident de la placer en coma artificiel en raison de son état jugé critique.

En Inde, l’inquiétude de son mari, ses enfants

La nouvelle de l’attentat en Belgique s’est répandue très rapidement sur les médias internationaux. Le mari de Nidhi Chaphekar apprend que son épouse fait partie des victimes : "il a essayé de joindre l’ambassade pour savoir ce qui se passait mais il a été prévenu par un ami qu’il avait vu une photo, qu’il n’allait pas lui envoyer cette photo mais qu’il savait que j’étais en vie"

Mon mari a été prévenu par un ami qui avait vu la photo

Son mari a pris rapidement la décision de rappeler ses deux enfants de l’école car la photo de son épouse circulait déjà partout et qu’il ne voulait pas qu’ils apprennent la nouvelle brutalement : "j’ai appris plus tard qu’il y avait déjà des journalistes devant chez moi. Mon mari a expliqué aux enfants ce qui s’était passé. Ma fille s’est évanouie et mon fils est resté sans réaction". Il faudra une dizaine d’heures pour que la famille de Nidhi Chaphekar puisse localiser l’hôpital où elle se trouvait, "il était déjà minuit en Inde et mon mari et mon beau-frère ont reçu très vite par la suite un visa de la Belgique pour venir, je remercie la Belgique pour cela".

Le transfert vers un hôpital pour grands brûlés

Le 23 mars au matin, son mari appelle l’hôpital où on lui a dit que l’état de son épouse se détériorait, ce qui veut dire que durant tout le voyage vers la Belgique il s’est inquiété de savoir s’il allait apprendre le décès de son épouse à l’atterrissage : "J’étais dans un état très critique et mon mari ne savait pas que j’avais été placée en coma artificiel et ensuite transférée dans un hôpital pour les grands brûlés. C’est pourquoi lorsqu’un an après, je suis revenue en Belgique, j’ai été saluer tous les médecins et le personnel qui ont vraiment pris les bonnes décisions ce jour-là".

Un lent retour à la vie avec l’aide de ses proches

Le mari de Nidhi Chaphekar lui racontera plus tard qu’il ne savait pas quoi dire aux enfants : "Il leur a dit qu’ils m’ont mis dans un sommeil profond". Ce n’est qu’un mois plus tard que son mari sera autorisé à lui parler mais sans pouvoir la toucher, "parlez-lui" ont suggéré alors les médecins. Mais comme cela ne donnait rien ils ont progressivement associé les autres membres de la famille, par téléphone : "quand ma fille m’a parlé, mes doigts ont commencé à trembler.

Le médecin a dit 'stop', elle n'est pas encore prête

Elle a commencé à me parler d’une série que nous regardions ensemble, j’ai commencé à trembler des mains plus encore et tous mes paramètres ont commencé à monter. Le médecin a dit "stop", elle n’est pas encore prête". Par la suite, sa santé s’est détériorée en raison d’une infection croissante avec énormément de fièvres, "mon mari a paniqué croyant que tout cela était de sa faute, surtout quand il a vu qu’on devait me refroidir artificiellement. En réalité les médecins ont fini par constater qu’il restait un morceau de métal dans mon corps et qu’il fallait à nouveau m’opérer pour le retirer".

La perte de souvenirs, la confusion toujours présente

"Au bout de 23 jours de coma artificiel, je me suis réveillée". Son mari est alors paralysé par le choc de ce qu’il découvre à ce moment, "il a prié alors pour que je ne m’aperçoive pas de son tourment. Il est rentré en souriant, il m’a pris le bras mais je ne l’ai pas reconnu".

J'ai gommé des parties de mon passé

Tour à tour, les membres de la famille vont alors essayer de la faire réagir. Les médecins leur ont déclaré qu’il était possible que ses souvenirs aient disparu. Au fil du temps, petit à petit, ceux-ci reviendront mais aujourd’hui encore, des troubles subsistent, "j’ai gommé des parties de mon passé, il y a une confusion encore présente aujourd’hui, je confonds les dates, les événements".

Les enfants très perturbés par les événements

La crainte de Nidhi Chaphekar à son retour en Inde a été de plus pouvoir marcher, "à cause de blessures osseuses aux jambes, il n’était pas certain que je puisse marcher à nouveau. Ce n’est qu’après une centaine de jours après les attentats que j’ai pu rentrer à la maison. Et mon fils de 13 ans à l’époque en a été très perturbé, il a sombré dans une dépression, ne faisait plus de cricket ni de basket, les enfants sont souvent ceux qui prennent le plus sur eux et qui souffrent par la suite. Ma fille de dix ans était sollicitée tout le temps parce qu’à l’école on lui demandait de mes nouvelles et elle ne savait pas répondre. Elle s’enfermait dans les toilettes pour pleurer. Et lorsqu’elle rentrait, elle allait hurler dans son oreiller. Mon fils a écrit dans son journal intime qu’il avait dû devenir un adulte trop tôt".

Séquelles médicales et conséquences sociales

L’attentat du 22 mars 2016 a entraîné de nombreuses séquelles physiques pour Nidhi Chaphekar. Mais le plus pénible ce sont aussi les conséquences sociales,"en Inde, étant donné mon état, personne ne veut m’engager dans ce que j’apprécie. Ils ont peur que je ne puisse plus être à 100% de mon potentiel et me proposent toujours de faire autre chose. C’est très dur d’entendre cela tout le temps". Pour elle, les soucis restent permanents malheureusement même si elle en parle peu. Après avoir indiqué qu’elle avait parlé avec son cœur lors de son témoignage, Nidhi Chaphekar a indiqué qu’elle espérait maintenant pouvoir tourner la page de cette sombre journée.

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