Belgique

Procès des attentats de Bruxelles : "Lorsqu’il s’agit d’argent il n’y a plus d’humanité ", le témoignage émouvant de Loubna Selassi

Loubna Selassi

© – PaliX

"Mardi 22 mars 2016 à partir de 7h58, ma vie ne sera plus jamais la même", Loubna Selassi, est l’épouse d’Abdallah Lahlali, bagagiste à l’aéroport de Zaventem depuis neuf ans. Elle entame son témoignage très difficilement devant la cour d’assises. Elle doit s’appuyer sur le texte qu’elle a préparé. Elle explique que son mari, suite à l’explosion de la première bombe déclenchée par Khalid El Bakraoui, a perdu l’une de ses jambes, "il y a un avant et un après l’attentat" poursuit-elle avant de décrire l’enfer qui pour elle commence en réalité à 8h45 lorsque son téléphone sonne, qu’elle décroche et entend la voix de son mari, "j’entends d’abord des cris terribles, rien que d’y penser j’en ai encore des sueurs froides, puis j’entends mon mari, il me criait 'ma jambe, ma jambe', je finis par arriver à lui dire que je vais partir le retrouver".

Peu après cet appel, son frère à son tour lui téléphone et lui explique le contexte de ce qu’elle vient d’entendre, plusieurs explosions, des morts, des blessés :je sais à ce moment que mon mari est parmi les blessés, qu’il m’attend et qu’il sait que je vais arriver". Mais toutes les routes vers l’aéroport sont bloquées, elle décide alors avec son frère de se rendre dans les différents hôpitaux les plus proches de l’aéroport. Sans obtenir de réponses, car les urgences sont saturées et ne connaissent pas l’identité de tous les entrants.

Une annonce brutale par le service d’accueil de l’hôpital

Finalement elle élargira le cercle de ses appels pour finir par apprendre que son mari est hospitalisé à Anvers. Et là c’est une annonce brutale par la réceptionniste de l’accueil : "elle me confirme que mon mari est bien vivant mais qu’il a dû être amputé d’une jambe, on me dit ça comme un fait divers au téléphone". Abasourdie, heureuse de le savoir vivant mais horrifiée à l’idée qu’il a perdu sa jambe, soudainement toutes les interrogations se bousculent dans sa tête, "mes deux enfants, 7 et 9 ans, comment vais-je pouvoir leur annoncer cela ? Et mon mari, comment une personne aussi active que lui va-t-elle accepter la réalité de son nouveau corps ? Quelles vont être les conséquences de tout cela sur notre vie ?".

Le deuxième combat, celui contre l’injustice

Loubna Selassi
Loubna Selassi © RTBF Patrick Michalle

Trois mois après les attentats, son mari est sorti de l’hôpital mais c’est après son retour qu’il s’est rendu compte de sa situation au quotidien ; être confronté aux tâches les plus banales, tout devenait presque un problème, "il fallait aussi trouver des médecins, des kinés, des psychologues pour faire face à cette autre vie qui commençait".

Et puis le deuxième combat a commencé, dit-elle en reprenant sa respiration, " celui face à l’injustice. Alors qu’on espérait se consacrer à nos enfants, on s’est trouvé face à une série de démarches et procédures juridiques pour faire la preuve des souffrances endurées. Le choc a été violent, mon mari a sombré dans une dépression. Son trauma ne laissait plus de place pour le reste". Tout ce qu’un couple avec enfants pouvait vivre normalement devenait impossible pour eux," on était perdu à des professionnels et lorsqu’il s’agit d’argent, il n’y a plus d’humanité à espérer nous a dit un expert. Certains de ces experts étaient capables de détruire par un mot tous les efforts que j’entreprenais pour nous permettre d’aller mieux".

Nous avons été laissés entre les mains des assurances

Parmi les regrets exprimés à l’audience, celui de n’avoir pas été aidé correctement par l’Etat, "nous avons été laissés entre les mains des assurances. Or dans ces moments-là, on a besoin de bienveillance et d’empathie. Au lieu de tout cela nous avons été examinés sous toutes les coutures et soupçonnés du pire"Durant six mois son mari restera sans prothèse, les assurances refusant la prise en charge," tout cela nous a détruits. Nous n’avons pas eu de traitement digne de notre statut de victimes du terrorisme".

Depuis le 22 mars, Loubna Selassi et son mari Abdallah Lahlali, ont été condamnés à vie à ne plus vivre qu’avec un sentiment d’injustice et d’incompréhension, "la fatigue et le désarroi ont eu raison de la personne que j’étais avant les attentats" a confié en larmes Loubna Selassi, "j’ai perdu foi en l’être humain. Je ne sais pas si je pourrai retrouver ma joie de vivre. J’ai honte parfois d’exprimer mon mal-être".

"Ce mal-être a été entendu ici" lui a répondu la présidente de la Cour avant de lui souhaiter à elle et à sa famille le meilleur pour la suite.

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