Il n’est pas évident de mesurer la marge de manœuvre des différents maillons de la chaîne agroalimentaire. Les chiffres sur les coûts, sur les marges ne sont pas communiqués facilement, secrets industriels et commerciaux obligent.
Prenons le lait, par exemple, l’un des produits qui a le plus fait parler de lui ces dernières années. Il y a, en début de chaîne, les agriculteurs qui, régulièrement, font savoir que le prix auquel ils vendent leur lait ne couvre pas leurs coûts, dénonçant, à l’autre bout de la chaîne, les distributeurs qui font pression sur les prix à la baisse. Entre les deux, les laiteries sont entre le marteau et l’enclume.
Avant la guerre en Ukraine, les agriculteurs estimaient à environ 45 ou 46 centimes le litre le prix auquel le lait aurait dû être vendu aux laiteries afin de couvrir les coûts de production, alors que le lait a longtemps été vendu aux laiteries autour des 35 cents le litre.
Fin de l’année 2021, les producteurs de lait ont déjà connu des augmentations de coût, en partie compensées par une augmentation du prix de vente du lait. Les agriculteurs sont arrivés à des prix de vente du lait d’environ 45 centimes le litre. Mais à présent, la guerre en Ukraine vient à nouveau grever les coûts de production des agriculteurs. Les chiffres ne sont pas encore connus en Belgique. Ils sont calculés trimestriellement et tomberont prochainement. "Les trois postes de coûts les plus impactants, c’est l’alimentation du bétail, les fourrages qui doivent être achetés ou les compléments alimentaires qui ne sont pas produits à la ferme, les engrais et les semences pour produire les fourrages à la ferme et l’énergie", explique Benoît Haag. Ce dernier évalue à environ 29 ou 30 cents ces coûts de production.
Ces coûts, avec les conséquences de la guerre en Ukraine, risquent de fortement grimper. Du côté de la European Milk Board, une association européenne des producteurs de lait, on explique qu’au Danemark, les agriculteurs producteurs de lait ont déjà fait une estimation. Par rapport aux coûts en vigueur à l’automne 2021, le coût de l’électricité a été multiplié par deux. Celui du diesel a aussi doublé. Les engrais sont passés de 34 centimes le kilo à 67 centimes le kilo. Le prix des fourrages grimpe lui aussi.
Bref, tout indique que les producteurs de lait auront besoin d’obtenir des prix de vente plus élevés, probablement de l’ordre d’une dizaine de centimes d’augmentation par litre de lait vendu.
Deuxième maillon de la chaîne de production du lait, les laiteries. Ce sont elles qui achètent le lait. Et là aussi, on s’inquiète de la flambée des coûts. "C’est clair. Il y a surtout l’énergie, le gaz. Il y a certains emballages, par exemple le plastique, qui ont une relation avec l’énergie. Il y a les salaires", explique Renaat Debergh, l’Administrateur délégué de CBL, la Confédération belge de l’industrie laitière. "On estime l’augmentation des coûts pour un litre de lait à au moins 8 cents, hors prix payé au fermier", ajoute Renaat Debergh.
L’industrie laitière a dès lors les yeux tournés vers le secteur de la distribution, le troisième maillon de la chaîne, en espérant qu’il achète le lait un peu plus cher. "Le problème, c’est qu’on a négocié les prix en septembre-octobre, avant l’augmentation des prix du gaz et avant la guerre", explique Renaat Debergh de CBL. Selon lui, la réponse donnée par le secteur de la distribution est "ah non, vous avez un contrat et un contrat, c’est un contrat. Vous n’avez pas vu qu’il y aurait une guerre, c’est de la malchance pour vous", résume Renaat Debergh.
Notons toutefois que la Confédération belge de l’industrie laitière ne nous dira pas à quel prix les laiteries revendent le lait à la grande distribution. "Ce sont des informations confidentielles", répond Renaat Debergh.
Bref, avec les dix centimes par litre de lait dont auraient besoin les agriculteurs et les huit centimes d’augmentation des coûts calculés par l’industrie laitière, le prix de la brique de lait vendue aux alentours des 65 centimes, premier prix, devrait idéalement grimper de 18 centimes… A moins que chaque maillon de la chaîne, dont la grande distribution, n’accepte de prendre à son compte une partie de la hausse.