Le soir où Prokofiev joue sa Deuxième sonate en ré mineur au public américain, Serge Rachmaninov est dans la salle. Il entend Prokofiev jouer certains de ses Préludes, qui figurent aussi au programme. Serge Rachmaninov est arrivé à New York la même année que Serge Prokofiev, quelques semaines plus tard. Rachmaninov pose le pied à New York le 10 novembre 1918, la veille de l’armistice ! C’est aussi la révolution russe de 1917 qui l’a poussé à quitter son pays. A 44 ans, il est parti, comme dit l’un de ses amis, avec ses mains pour seul capital, et il a repris une carrière de soliste. En Amérique, Rachmaninov devient vite célèbre. Mais son pays natal lui manque. Comme Prokofiev, il se sent un peu déraciné. En tant que pianiste, Rachmaninov va rencontrer le triomphe en Amérique. Son exil va véritablement marquer le début de sa légende de virtuose.
Aux Etats-Unis, on propose à Serge Prokofiev un engagement de concerts sur plusieurs années mais il refuse. Il confie : "J’étais tellement sûr de rentrer chez moi au bout de peu de temps que je ne voulais pas entendre parler d’une servitude qui promettait de traîner en longueur". Prokofiev est déçu par le public new-yorkais. Il décide de tenter sa chance à Chicago. Il rejoue son premier concerto et cette fois, le public l’acclame. La presse est plutôt réticente, sauf peut-être le Daily News du 7 décembre qui publie ceci : "Aujourd’hui la Russie nous administre l’antidote de l’impressionnisme musical français, dont le clair-obscur délicat et séducteur avait imprégné toute la musique d’avant-guerre".