Economie

Puces électroniques : « Aujourd’hui, en Europe, on ne pourrait pas produire un data center »

Des semi-conducteurs dans les mains d’un chercheur du centre de référence en recherche et développement IMEC, situé à Leuven (Belgique). Le 7 février 2022.

© AFP or licensors

Par Eric Destiné

L’Union européenne a annoncé sa volonté de voir débloqués l’équivalent de 43 milliards d’euros sous forme de subvention, d’aides d’Etat et de fonds de soutiens pour permettre à l’Europe de réduire sa dépendance vis-à-vis de l’Asie et des Etats-Unis au niveau de la fabrication de semi-conducteurs. Ces puces électroniques indispensables pour faire fonctionner un ordinateur, un smartphone, une console de jeux vidéo ou les voitures modernes.

9% des puces électroniques sont fabriquées en Europe

Aujourd’hui, seules 9% des puces électroniques fabriquées dans le monde sont réalisées en Europe. C’est très peu pour un marché qui représentait, en 2020, 600 milliards d’euros. Il y a 20 ans, ce chiffre était de 40%. Selon la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, l’objectif de ce plan, qui doit encore être avalisé par les Etats membres et par le parlement, est "d’avoir en 2030, 20% de la part de marché mondiale de la production de puces en Europe".

Pour évoquer ce plan et mieux comprendre la dépendance de l’Europe et les enjeux, nous avons contacté Emilie Jolivet, directrice de la division "semi-conducteurs, memory, computing" pour Yole Développement, un cabinet de conseils basé à Lyon (France) et spécialisé dans l’analyse des technologies.

L’Union européenne est-elle vraiment si dépendante que cela des autres parties du monde concernant l’approvisionnement des semi-conducteurs ?

"L’Europe vit en fait une double dépendance. D’abord au niveau de la conception et du dessin des puces vis-à-vis des Etats-Unis et ensuite au niveau de la production vis-à-vis de l’Asie. Un chiffre clé pour illustrer cela, c’est que 97% des calculateurs qui se trouvent dans vos smartphones sont fabriqués à Taïwan et en Corée et donc nous sommes très dépendants sur ce segment de composants. L’Europe est par contre bien placée d’un point de vue recherche et développement en semi-conducteurs, aussi au niveau des composants de puissance, capteurs d’images et capteurs inertiels".

Avez-vous un autre exemple pour illustrer cette dépendance ?

"Aujourd’hui, par exemple, en Europe, on ne pourrait pas produire un data center. Car il a besoin de calculateurs avec des technologies de fabrication avancées qui sont aujourd’hui fabriquées en Asie. Mais aussi en raison de la mémoire qui est utilisée pour calculer et pour stocker l’information. Toute la production de cette mémoire est faite en Corée du Sud, au Japon et aux Etats-Unis. La conséquence c’est une forte dépendance aux pays étrangers pour s’approvisionner en cas de soucis. Ce qui pourrait impliquer une incapacité à gérer les transferts de données au sein de l’Europe".

Ce plan, il est donc indispensable ?

"C’est un plan clé et stratégique pour l’Europe. L’enveloppe de 43 milliards d’euros est importante par rapport aux investissements antérieurs. C’est un geste des pouvoirs publics en Europe qui est quasi à la même hauteur que celui que les pouvoirs publics américains proposent aux Etats-Unis. Mais comme l’a dit la présidente de la Commission européenne, ce plan ne va pas permettre de combler le retard que nous avons vis-à-vis du reste du monde, par contre cela va permettre de combler l’écart et de réinitier la filière des semi-conducteurs en Europe qui s’était un peu endormie. C’est possible si on commence dès aujourd’hui. Parce qu’il y a un temps de fabrication des usines et d’approvisionnement des équipements pour lesquels il y a aussi une pénurie. Il existe certains équipements clé pour la fabrication des puces pour lesquels on a des délais jusqu’à deux ans. Donc si on tient compte de ces échéances les unes au bout des autres, l’objectif de passer à 20% de la part de marché mondial en Europe dans les 10 ans, c’est réaliste, mais il ne faut pas perdre de temps".

Le leader mondial de la fabrication de semi-conducteurs et une entreprise basée à Taïwan, TSCM. Que se passerait-il si Taïwan n’était plus capable un jour de fournir ces puces électroniques au monde ?

"TSMC, c’est plus de la moitié de la production mondiale de puces. C’est énorme. Si demain, Taïwan venait à arrêter la production de puces pour quelle que raison que ce soit, c’est le monde entier qui serait à l’arrêt. Dans ce cas-là, les entreprises et donc les consommateurs seraient bloqués dans leur fonctionnement habituel. Rien que pour l’année 2022, TSMC a annoncé un plan d’investissement de l’équivalent de 38 milliards d’euros pour soutenir sa recherche et développement et pour construire des usines de production de puces dans le monde".

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