Qatargate

Qatargate : la confédération syndicale internationale fait le ménage dans ses rangs

Qatargate : les institutions font le ménage (Matin Première, 24/03/23)

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Par Sandro Calderon-Arenas et Fabrice Gerard

Suspecté de corruption dans le dossier du Qatargate, Luca Visentini n’est plus secrétaire général de la Confédération syndicale internationale, une organisation qui représente plus de 200 millions de travailleurs à travers le monde. La décision a été prise le 11 mars dernier à la suite d’un audit interne indépendant, un document d’une quinzaine de pages dont nous avons pris connaissance.

Cette destitution fait suite à l’implication présumée de Luca Visentini dans un vaste scandale de corruption de la part du Qatar et du Maroc. Objectif :  influencer les décisions en leur faveur au sein du Parlement européen et dans plusieurs organes syndicaux internationaux.

Luca Visentini l’a reconnu lui-même. Il a bel et bien reçu de l’argent de Fight Impunity, l’association de défense des droits de l’homme créée par Pier Antonio Panzeri, le cerveau présumé du Qatargate. Un don de 43 000 euros, touché en liquide, en coupures de 50 euros.  

Cet argent, Luca Visentini s’en est servi pour financer la campagne électorale qui l’a propulsé à la tête de la Confédération syndicale internationale. C’était en novembre dernier, lors d’un congrès à Melbourne, en Australie. Une partie de la somme ayant servi à payer le voyage de certaines délégations nationales qui sans cela n’auraient pas pu voter.

Légèreté et imprudence, mais pas de corruption avérée

"Les récentes accusations contre le secrétaire général fraîchement élu Luca Visentini ont gravement porté atteinte à la réputation de la CSI et plus généralement à l’ensemble du mouvement de défense des travailleurs à travers le monde" entame l’audit. " La corruption, même la moindre suspicion, est extrêmement grave, et écorne l’élémentaire confiance envers notre structure ".

Concernant le cas Visenti , l’audit a conclu qu’en acceptant cet argent de Fight Impunity, celui-ci aurait manqué de jugement, et qu’il a sans doute fait passer ses intérêts personnels avant ceux de l’organisation. Pas de preuve de corruption pour autant, mais des décisions inappropriées qui ont abouti à une rupture de confiance entre l’Italien et la Confédération syndicale internationale.

Olivier De Schutter est professeur de droit international à l’UCLouvain. Il a participé en tant qu’expert externe à la rédaction de cet audit. Et pour lui c’est très clair, Luca Visentini a à tout le moins manqué de prudence quand il accepté 43 000 euros en liquide : "On doit poser la question de savoir pourquoi le versement est fait en liquide et pourquoi il n'y a pas plus de transparence dans la manière dont ces fonds ont été recueillis. Donc l'impression, si vous voulez, qui se dégage de l'analyse des faits, c'est que Monsieur Visentini n'a pas voulu poser trop de questions. Il me semble qu'il a agi avec légèreté, qu'il a été insuffisamment prudent. Il a voulu saisir l'opportunité de voir sa campagne financée par cette donation de M. Panzeri. Mais rien ne me donne à penser que sa position à lui sur le Qatar, ait été influencée par cela. Et je ne pense pas, par conséquent, qu'il ait été corrompu".

Interpellé le 9 décembre dernier, Luca Visentini avait ensuite été libéré sous conditions. Dans un communiqué faisant suite à sa destitution le 11 mars, le syndicaliste italien assurait avoir agi de bonne foi, rejetant les allégations de corruption et de blanchiment d’argent. Il déclarait aussi qu’en aucun cas la CSI n’était impliquée dans l’enquête ouverte par la justice belge.

Le secrétaire général adjoint sur la sellette

Dans son audit, la commission spéciale, déclare également n’avoir trouvé aucune information sur une éventuelle corruption de la CSI. Et cela malgré le fait que ces dernières années, la CSI s’est montrée de moins en moins critiques à l’égard des abus commis au Qatar contre les travailleurs migrants qui ont construit les stades et les infrastructures de la Coupe du monde de football. "Aucun élément recueilli par la commission spéciale ne donne à penser que le Qatar ou le Maroc auraient influencé les positions de la CSI sur le fond" confirme Olivier De Schutter. "Ses positions ont certes évolué dans le temps, mais elles ont évolué avec les discussions qui ont eu lieu entre l'OIT, l’organisation internationale du travail, et le Qatar, notamment à propos de l'interdiction du système de kafala qui lie les travailleurs et les travailleuses migrants et migrantes à leurs employeurs. Et l'OIT a accompagné des réformes du droit du travail au Qatar, ce qui a conduit la CSI à atténuer ses critiques. Mais rien ne suggère que les positions de la CSI aient été influencées par cette donation de Fight Impunity".

Néanmoins, les auteurs de l’audit appellent la CSI à se réformer de toute urgence. Car, face à la corruption, l’organisation est présentée comme "vulnérable". Comme l’indique l’audit, elle "ne dispose pas des règles et des procédures modernes nécessaires pour garantir qu’aucune influence extérieure ne puisse contaminer l’organisation". Les failles sont d’ordre opérationnel, financier, constitutionnel et politique. L’urgence porte notamment sur la transparence nécessaire concernant les fonds reçus en cash par la CSI.

"C’est plus qu’une erreur, c’est une faute"

L’exemple de Lucas Visentini est éloquent. En novembre dernier, alors qu’il briguait la tête de la CSI, le syndicaliste italien a donné une importante somme d’argent à l’organisation. "La CSI a reçu 23 000 € en liquide de la part de Monsieur Visentini et ensuite a tardé à inscrire cette contribution volontaire dans ses comptes". explique Olivier De Schutter.

Et effectivement : Alors que la CSI a reçu cet argent le 7 novembre, il faut attendre le 9 décembre pour que ce don de Fight Impunity apparaisse formellement dans les comptes de la Confédération. Détail accablant : ce document a été antidaté. De quoi faire sursauter Thierry Bodson, le président de la FGTB lui-même membre de la CSI. "Quand, dans un rapport d’audit, on parle de document antidaté et surtout de document comptable antidaté, c’est plus qu’une erreur, c’est une faute"!.

Et pour Thierry Bodson c’est très clair, la faute provient de l’actuel secrétaire général adjoint, le Britannique Owen Tudor. L’audit lui reproche de graves manquements dans la gestion de ce don. Raison pour laquelle à l’avenir, il ne pourra plus approuver seul les documents financiers de la Confédération et ne pilotera pas non plus les futures réformes à entreprendre.

Une institution fragile à renforcer de toute urgence

Plus généralement, l’audit insiste sur la nécessité d’une meilleure gestion financière et sur la fixation de règles, aujourd’hui inexistantes, quant au financement des campagnes pour l’élection du secrétaire général de la CSI.

Et à ce propos, Olivier De Schutter avance sa petite idée : "L'idéal serait évidemment que tous les candidats et candidates au mandat de secrétaire général, ou un autre mandat électif au sein de la CSI, reçoivent un montant identique pour tous et toutes permettant de conduire une campagne, pourvu que le candidat ou la candidate recueille un nombre suffisant de soutiens, de déclarations de soutien à travers l'ensemble du mouvement syndical international. De la même manière que les partis politiques dans les démocraties qui fonctionnent bien bénéficient d'un financement public permettant d'éviter que l'argent ait une influence trop grande en politique, il faudrait que la CSI se dote d'un mécanisme semblable".

Prochaine échéance, le 10 juin avec la nomination d’un secrétaire général intérimaire. A charge pour lui d’organiser d’ici la fin de l’année un nouveau congrès de la CSI et d’élire une nouvelle équipe capable de tourner la page du Qatargate en garantissant l’indépendance totale de la structure.

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