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Quand "jeu de hasard" rime avec "cauchemar": de nouvelles recherches sur les addictions à l’UMons

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Par Charlotte Legrand

La Loterie Nationale s’engage à financer une chaire universitaire "Jeu sûr et responsable". Elle sera menée pendant 4 ans, par des chercheurs de différentes facultés. L’enjeu ? Mieux comprendre les comportements de jeu à risque et pouvoir les prévenir.

L’instant est solennel : Jannie Haek, le patron de la Loterie Nationale, et Philippe Dubois, le recteur de l’UMons, signent la convention qui les "lie" pendant 4 ans. Investissement de la Loterie : 500.000 euros. Deux thèses de doctorat seront financées grâce à ce montant. Sur quoi vont-elles porter ? Nous avons posé la question aux chercheurs qui mèneront ces travaux sur les jeux de hasard.

 

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"Des recherches sur les joueurs pathologiques, ce n’est pas nouveau. Il en existe déjà. Notre objectif n’est pas de refaire la même chose", explique Mandy Rossignol, professeur de psychologie cognitive à l’UMons. " Ici, on va s’intéresser aux jeux et à leurs propriétés, qui les rendent particulièrement à risque ou pas. Certains comportements de jeu sont naturels. Tout le monde a envie de jouer, tout le monde a envie de s’apporter le plaisir de jouer. Mais à partir de quel moment ce comportement de jeu devient-il dangereux ?" Mandy Rossignol a envie de le découvrir. Faire la part des choses entre les variables "individuelles" qui font que nous n’avons pas tous la même propension à devenir addict, et les variables "induites" par le jeu lui-même. Ce qui le rend attractif. Les stratégies qui "poussent au clic".

Mandy Rossignol
Mandy Rossignol © Tous droits réservés

Pour y parvenir, des chercheurs de trois facultés (Polytechnique, Sciences, Psychologie) vont collaborer. "Ce qu’on va faire c’est étudier les différents types de jeux de la Loterie nationale, explique Fabian Picron, chercheur à la Faculté Polytechnique. On va évaluer le risque théorique. Par jeu, on va ensuite essayer d’extraire des types de comportement" L’intelligence artificielle sera mise à contribution pour "trier" l’énorme masse de données (anonymisées) que la Loterie Nationale va mettre à disposition. 1 million 700.000 personnes ont en effet un compte "en ligne" à la Loterie.

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"Imaginons que nous prenions un jeu bien spécifique. On se dit : voilà : j’ai 100.000 joueurs sur ce jeu. Potentiellement, j’ai 100.000 comportements différents ! L’intelligence artificielle va être capable d’extraire les comportements typiques pour ce jeu-là".

Un objectif de prévention

Les travaux menés à l’UMons ont un double objectif : comprendre et prévenir les risques. "Mon objectif ici, en participant à cette chaire, c’est d’avoir un vrai apport pour la collectivité. Le jeu doit rester un plaisir et mon objectif en participant à cette chaire, c’est d’identifier possiblement les variables qui permettraient ça, de conserver au jeu son côté ludique et non pas un côté addictif". Les chercheurs comptent bien lister des recommandations, conseiller la Loterie Nationale sur les stratégies à mettre en place pour protéger les joueurs plus fragiles.

Trois des quatre chercheurs en charge de la thèse, Philippe Dubois, Janie Haek
Trois des quatre chercheurs en charge de la thèse, Philippe Dubois, Janie Haek © Tous droits réservés

Du côté de la Loterie, on se dit très serein. "Nous n’avons certainement pas peur des résultats !" martèle Janie Haek. La Loterie Nationale tiendra-t-elle compte des conseils des universitaires, s’ils décèlent des facteurs de risque ou des stratégies à modifier ? "S’il y a des conseils, nous les suivrons. Mais nous sommes confiants car nous mettons déjà beaucoup de choses en place". Et de rappeler la présence de "garde-fous", appelés "modérateurs" dans le jargon de la Loterie. Les dépôts d'argent et les pertes quotidiennes sont limités par défaut, on ne peut jouer plus de 35 fois par jour à des jeux instantanés, un avertissement est envoyé aux joueurs après une heure de jeu en ligne...Selon la Loterie Nationale, seule une centaine de joueurs ont, en 2022, "cumulé" ces comportements problématiques. 

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L’addiction au jeu de plus en plus problématique

Combien de "malades du jeu" y a-t-il réellement en Belgique? Ce sont des estimations difficiles à obtenir. On parle de quelques pourcents de la population. Un Belge sur 100 serait réellement "addict". lls seraient 3 ou 4 fois plus nombreux à avoir des comportements "problématiques" (que l’on parle cette fois de jeux de loterie, de paris sportifs ou de machines à sous…) L’addiction aux jeux de hasard est en tout cas en hausse. Les nouvelles technologies renforcent le problème : montres connectées qui envoient un push pour le prochain jackpot, boîtes mail qui relaient les rappels de vos jeux préférés, "reels" accrocheurs sur les réseaux sociaux… Il est loin le temps où la publicité ne se faisait qu’à la télévision ou sur les maillots de joueur de foot.

La question de l’indépendance des chaires universitaires

Elle se pose à l’annonce de chaque initiative du genre. Qu’il s’agisse d’une chaire "parrainée" par une firme pharmaceutique, une autre subsidiée par une compagnie d’assurances ou celle-ci dotée d’un financement de la Loterie Nationale (un demi-million d'euros en l'occurence). Le recteur de l’UMons insiste sur un point : "la totale indépendance, l’intégrale autonomie de nos chercheurs. Il n’y a strictement aucun lien entre le bailleur de fonds et l’université et donc des chercheurs. Le lien, simplement, c’est qu’il y a un financement pour réaliser une recherche autonome dont les résultats seront évalués par des pairs, par d’autres scientifiques et que ces résultats puissent apporter de l’eau au moulin de la réflexion des partenaires, qu’ils soient privés ou publics, tant mieux ! Mais ce n’est pas du tout guidé, je dirais même téléguidé, par le fait de le financer. C’est totalement indépendant. Sans cela, nous ne signerions aucune de ces chaires".

Sur le même sujet ( Reportage de C. Legrand 03/05/2023)

Loterie nationale : ces jeux qui peuvent vous rendre "accros" (C. Legrand 03/05/2023)

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