Week-end Première

Quand la gastronomie désobéit

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Par RTBF La Première via

La semaine dernière, nous avons assisté à un bras de fer entre les autorités et une partie du secteur de l’Horeca qui menaçait d’ouvrir avant la date officielle de réouverture. L’occasion de s’intéresser à la cuisine qui désobéit ! La nourriture est parfois une manière de s’engager : on pense, aujourd’hui, au choix de manger bio ou local. Mais dans l’histoire, la cuisine a aussi été une manière de résister politiquement ou d’affirmer son régionalisme.

Explications avec Pierre Leclercq, historien spécialiste de la gastronomie.
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Quels messages politiques peut-on faire passer à travers la cuisine ?

Ce qu’il y a dans nos assiettes nous représente assez profondément. Il est donc tout à fait logique de voir que l’alimentation et la cuisine ont été parfaitement intégrées dans des discours politiques, explique Pierre Leclercq.

A la fin du 19e et au début du 20e siècle, l’alimentation prend une grande part dans les mouvements des régionalismes. On est dans une période de montée des nationalismes, de grandes tensions entre la France et l’Allemagne, et le discours nationaliste intègre cette question alimentaire.

La façon dont on parle des plats dans les menus peut faire passer des messages politiques, souvent sur le ton de l’humour. C’est une forme de résistance. On a ainsi, au cours des deux guerres mondiales, des menus qui se moquent de l’occupant : des Allemands et de la choucroute, par exemple.

Il n’est pas étonnant de voir que le tout premier livre de cuisine régionale a été écrit par 'Pampille', ou Marthe Daudet, l’épouse du polémiste Léon Daudet !

Au niveau politique, il est amusant de voir que la paternité de la pomme de terre frite fait l’objet d’une véritable lutte entre la France et l’Angleterre. La Belgique aussi la revendique. Depuis une trentaine d’années, cette lutte est véritablement acharnée, par presse interposée, jusqu’à la diplomatie qui s’en est mêlée.

"On est encore une fois là dans un contexte, peut-être pas nationaliste, mais assez chauvin", souligne Pierre Leclercq.
 

La cuisine est-elle politique ?

"Oui complètement et l’alimentation au sens large du terme est tout à fait politique, dans le sens premier de gestion de la cité. Depuis la nuit des temps, en tout cas depuis qu’on a des documents qui nous indiquent la manière dont les autorités gèrent la population, on voit bien que la toute première considération des autorités est de s’assurer l’approvisionnement de la population."

Au Moyen Âge, le tout premier travail des autorités communales était d’assurer un approvisionnement de qualité des villes. Le citadin avait en effet un statut supérieur à celui du paysan et devait donc être mieux nourri, au risque de provoquer des troubles politiques.

On s’aperçoit aussi que ce qu’il y a dans les assiettes participe au prestige social de certaines catégories de la population. En achetant des produits chers et rares, comme les épices, les seigneurs, les grands bourgeois affirment leur supériorité sociale par rapport au reste de la population. Un peu comme aujourd’hui avec le caviar ou les truffes…

L’alimentation a donc un impact politique très fort sur nos vies et nos sociétés.

Le souci écologique

Parmi les enjeux contemporains de l’alimentation, il y a la mouvance du bio, du local. Mais elle n’est pas si contemporaine que cela, rappelle Pierre Leclercq. L’après-Deuxième Guerre mondiale a connu un grand souci de productivité, en raison de la situation d’insuffisance alimentaire. C’est à cette époque-là que s’est développée l’agriculture dite conventionnelle, qui a permis de nourrir la population et qui a sauvé l’Europe d’un mauvais pas. Mais il y a eu le contrepoint…

"Dès les années 60, on s’est aperçu qu’il y avait un souci écologique et que ce serait compliqué de continuer éternellement dans cette voie-là. Les premières contestations vis-à-vis de cette manière de cultiver ont vu le jour à partir des années 70. Il s’agissait d’une contestation de type privé."

Ce n’est qu’une vingtaine d’années plus tard, vers 1990, que les premières initiatives publiques seront prises. C’est à ce moment-là par exemple que l’INRA (Institut national de Recherche agronomique en France), par exemple, prendra en compte l’aspect écologique et cherchera des alternatives à l’agriculture conventionnelle, soutenue jusque-là.
 


Retrouvez Pierre Leclercq sur sa chaîne Youtube L’histoire à pleines dents.

Et soutenez ICI son projet de centre de gastronomie historique à Bruxelles,
avec la plus vaste bibliothèque de Belgique sur l’histoire de l’alimentation.


 

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