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Quand le désir d’enfant est un parcours difficile

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Grossesse arrêtée (fausse couche), PMA (Procréation Médicalement Assistée), GPA (Gestation Pour Autrui), IMG (Interruption Médicale de Grossesse), réserve ovarienne, deuil périnatal… Le désir d’enfant peut aussi être un parcours difficile, jalonné d’obstacles, d’attentes, d’incertitude et de découragement, ponctué de non-dits, d’un sentiment de non-légitimité et du poids de la solitude. Deux femmes témoignent, sans tabou.

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Les oeufs clos

Il y a 4 ans, Anne Francotte était enceinte de triplés, qu’elle a perdus suite à une fausse couche. Dans la foulée, elle a appris qu’elle était pré-ménopausée et que si elle voulait un enfant, c’était tout de suite. Elle s’est alors lancée, toute seule, dans un parcours PMA. Elle s’est rendu compte de la difficulté, en particulier autour de la fausse couche. Elle avait l’impression qu’on ne comprenait pas sa souffrance. Elle a alors voulu rencontrer d’autres femmes, pour comprendre comment elles l’avaient vécu et ce qu’elles avaient mis en place pour dépasser cela.

Elle s’est rendu compte que c’était quelque chose qui était encore très fort en elles, mêmes pour celles qui avaient eu des enfants. Pour beaucoup, cela reste la plus grande blessure de leur vie, mais personne n’en parle. Il y a un silence et un tabou énormes.

Comme cela lui faisait du bien d’en parler, elle a choisi d’en faire des podcasts pour en faire profiter d’autres. Des podcasts qui donnent à entendre des témoignages, des émotions, autour du désir d’enfant. Elle a reçu de nombreux messages spontanés de personnes qui avaient entendu ces podcasts et souhaitaient raconter leur parcours. C’est la première fois qu’elles pouvaient en parler de cette manière, prendre le temps d’être écoutées et comprises.

>> Découvrez Les oeufs clos de la journaliste Anne Francotte ici


Arrête d’y penser

Ambre Isaac est passée à deux reprises par la PMA, avec deux parcours totalement différents, puisque le deuxième enfant n’est pas né. La fausse couche, elle connaît donc aussi et elle s’est également sentie très seule. Elle a eu envie de témoigner, comme un moyen de thérapie d’abord, puis pour soutenir les personnes qui passent par là.

Dans ses livres Arrête d’y penser (Ed. Atramenta, 2020) et Au moins t’en a déjà un (à paraître cet été, aux Ed. Atramenta), elle relate son voyage au 'Pays des Miracles Alternatifs'. Celui qui lui a permis d’être maman.

"Car ce n’est pas compris : on a l’impression qu’on n’est pas légitime dans ce qu’on ressent. J’avais besoin de dire dans mes livres que ce qu’on ressent est normal. La majorité des gens qui passent par là ont des difficultés avec les phrases qu’on entend, avec les grossesses des autres."

 

Des guerrières, des sages

Le point commun de toutes ces femmes qui ont vécu l’épreuve de la fausse couche, c’est que ce sont des guerrières, souligne Anne Francotte.

"Elles sont métamorphosées, j’ai l’impression que cela devient des sages. Il faut quand même se rendre compte que jusque-là, dans nos vies, la mort est extérieure. Elle est à l’extérieur de nous.

Et là, en fait, quand on fait une fausse couche, la mort, elle est en nous. Je me rappelle, j’ai eu pendant presque deux ans la sensation que mon corps était un tombeau, je me disais que j’étais un sanctuaire. Et c’est ça qui fait que c’est si difficile de faire le deuil. Parce qu’on ne peut pas faire le deuil de quelque chose qui est mort, qui est en dehors, qui est parti, vu que c’est encore en nous et que nous, on est quand même toujours là, étonnamment."


Comment faire son deuil ?

Le ressenti du deuil n’est pas linéaire, il faut l’accepter et se dire qu’il y a des moments où cela va aller mieux et puis d’autres où on va rechuter. Il ne faut pas se forcer. C’est un parcours qui est plus ou moins long selon la manière dont c’est reconnu par l’entourage.

"Si la perte est reconnue, si l’entourage est soutenant, je pense qu’on peut plus facilement s’en remettre, observe Anne Francotte. Quand il y a effectivement plein de non-dits, de tabous, que les gens n’en parlent pas et que la perte n’est pas reconnue, c’est compliqué de faire un deuil."

S’il y a un message que je veux faire passer, c’est celui-là : le silence est la pire des choses. Et la deuxième chose à dire, c’est le fait de minimiser : toutes ces phrases bienveillantes, mais un peu assassines, qui tentent d’aider la personne, mais en minimisant, en disant : allez, ce n’est pas grave, c’est qu’il n’était pas viable…"

Les émotions sont propres à chacune, propre à la projection qu’on avait de cette grossesse. Plus l’attente et le désir sont présents, plus la projection est présente et plus on va en souffrir. Etre reconnue dans sa douleur permet d’avancer.

 

Les phrases qui font mal

Pour Anne Francotte, la pire phrase entendue, c’est "C’est peut-être mieux comme ça".

"Qui peut se permettre de dire que la mort d’un futur bébé, dont on a entendu le coeur battre, est une bonne chose ! On n’en sait rien, en fait. De plus en plus, on est conscient des émotions, des hormones qui peuvent aller jusque dans le placenta et affecter le bébé. Alors, non ce n’est pas mieux comme ça ! Peut-être qu’il aurait pu ne pas y avoir de fausse couche si le contexte avait été différent !"

Elle conseille à l’entourage de dire par exemple : "Je suis désolé de ce qui t’arrive". "Je suis triste pour toi". "C’est vraiment dur. Je suis là si tu veux en parler".
Et surtout de ne pas minimiser. Juste être là, écouter, reconnaître la perte.

Pour Ambre Isaac, à qui on a le plus souvent dit : "Au moins, tu en as déjà un", "quand il y a un désir d’enfant, c’est un réel deuil, c’est le deuil du futur. Et c’est pour ça que c’est tellement difficile à faire, parce que la plupart des gens ne le connaissent pas, et c’est faire le deuil de quelque chose qu’on n’a pas ou très peu connu, pour lequel il n’y a pas vraiment d’objet ou très peu, et c’est ça qui est compliqué."
 

Le manque d’empathie du corps médical

"Pour le corps médical, on reste un numéro parmi une série, comme chez le dentiste. Ou un ticket comme à la boucherie. Le manque d’humanité reste difficile à vivre. Certaines phrases du corps médical sont parfois difficiles à entendre, ou minimisent ce que les femmes vivent, regrette Ambre Isaac.

Il n’y a pas toujours cet espace pour rencontrer quelqu’un à qui en parler, comme un psychologue. Cela ne fait pas partie du processus et pour moi, cela devrait être, non pas obligé, mais en tout cas proposé. Et donc, on reste dans le médical, dans le nombre de tentatives, d’inséminations, de FIV….

Et quand on nous communique nos résultats, on nous les communique comme on communiquerait tout à fait autre chose. Ce n’est pas toujours évident, ce manque d’empathie du corps médical, je crois qu’il y a beaucoup à travailler. Plus on en parle, plus les gens en parlent simplement, il n’y a plus ce silence sur la fausse couche, et plus les choses pourront évoluer."

Anne Francotte confirme : "Quand on est dans un parcours de procréation médicalement assistée, on n’a plus de vie, en fait. Tout est régulé par les rdv le matin à 7h, pour aller faire les échos et les prises de sang, les piqûres qu’on doit se faire à 19h le soir. On n’a plus d’autre vie que ça. Et donc, chaque jour compte, chaque essai compte. Et on attend. On attend ses règles comme si on attendait la pluie dans les tribus africaines.

Et là parfois, on minimise, on nous dit : ça va venir, ça va venir, et les semaines passent, les mois passent, et on insiste pour qu’ils déclenchent, pour qu’on puisse refaire des essais. Et non, ce n’est pas grave, ce n’est pas venu, ça va venir dans deux mois. Mais nous, on dit : mais c’est deux mois de plus, où je n’ai pas pu vivre, où je n’ai rien pu faire.

Je trouve que ça manque d’empathie par rapport au sentiment d’urgence dans lequel on est. Surtout que quand on est le fait en général, c’est qu’on a quand même 40 ans en moyenne et donc on n’a plus des masses de temps, puisqu’on peut le faire jusqu’à 42 ans. Et donc chaque mois qui passe est un mois perdu."
 

Le vécu du ou de la partenaire 

Dans son expérience, Ambre Isaac a observé que le vécu de son partenaire n’était pas le même, pendant le parcours de PMA. "Le désir d’enfant n’était pas le même donc on ne le vivait pas de la même manière. Moi je ne vivais que pour ça, donc c’était impossible de ne pas y penser. Mon compagnon me soutenait, mais il continuait sa vie tranquillou."

Par ailleurs, les examens ne sont pas les mêmes pour les hommes que pour les femmes. On ressent donc parfois aussi la solitude dans son couple, parce que l’homme est un peu sur une autre planète. C’est normal, en soi, les femmes ne doivent pas s’inquiéter si leur compagnon n’est pas dans la même optique, poursuit-elle.

Et lors de l’échec de la seconde PMA, il ne ressentait pas la même souffrance. "Il m’a même dit qu’il n’avait pas de deuil à faire. Donc, ce n’était pas du tout le même ressenti. Il a toujours été dans la réjouissance, tout de suite, d’avoir déjà un enfant." Ambre l’a rejoint petit à petit sur ce point-là.
 

Les hommes ont du mal à témoigner sur le sujet, non parce que cela les touche moins, mais peut-être parfois parce que ça les touche encore plus, constate Anne Francotte. Il y a encore une forme de tabou pour les hommes à exprimer des émotions de tristesse, à montrer leur fragilité.

"Et ils ne sentent pas les choses de la même manière, peut-être parce que ce n’est pas dans leur corps. Il y a peut-être moins de projection, il n’y a pas non plus l’horloge biologique, donc c’est vécu de manière moins dramatique", souligne-t-elle.
 

L’émission se poursuit ici. Ecoutez comment Ambre a pu parler à son enfant de sa conception et de la deuxième grossesse non aboutie. Et comment Anne, par ses podcasts, a pu accoucher symboliquement d’autre chose, pour accomplir ce besoin de création et retrouver du sens.
 

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