Quand le prix Nobel de la paix a des aspects hautement géopolitiques

Le prix Nobel de la paix est attribué ce vendredi à Oslo. Comme depuis son lancement il y a 119 ans, il récompense la personnalité ou la communauté qui a le mieux contribué au rapprochement des peuples et à la propagation du progrès autour de la paix, selon la définition qui figure dans le testament d’Alfred Nobel. Parmi les 318 candidatures de cette année, il y a Reporters sans frontières ou Greta Thunberg

Interrogé sur La Première, Tanguy de Wilde, professeur de relations internationales à l’UCLouvain, estime que cette récompense a toujours "une utilité parce que ça peut saluer les efforts de ceux qui ont mené à un processus de paix très spécifique ou bien encourager une institution qui essaye de faire une propagation plus large des idéaux proclamés dans le prix Nobel. Ça a donc un sens, et ça a un sens exemplaire. L’idée est qu’on veut essayer de saluer une institution ou un homme ou une femme qui peut être un exemple pour les idéaux de la paix".

La paix

"Avant la guerre de 1914-1918, on essayait plutôt de récompenser des personnalités véritablement pacifiques, voire pacifistes. Après, au XXe siècle, qui a été un siècle très difficile en matière de conflits, on a voulu saluer ceux qui faisaient la paix, et d’ailleurs on a parfois même salué des gens qui avaient fait la guerre pendant longtemps avant de se mettre à la table de la paix. La question de l’encouragement et l’exemple d’Obama sont tout à fait singuliers parce que d’autres présidents américains avaient été salués parce qu’ils avaient véritablement fait quelque chose. Le président Theodore Roosevelt avait fait la paix avec la Russie et le Japon et il avait été le promoteur de cette paix. Le président Wilson avait été le promoteur de la Conférence de Versailles. Quand Obama reçoit le Prix Nobel de la paix, il n’a pratiquement rien fait et il le dit lui-même : 'Je suis le commandant en chef d’une armée et vous me donnez le prix Nobel de la paix'. Il avait annoncé qu’il allait tenter de se désengager d’Irak et de régler le problème en Afghanistan, et donc c’était une forme d’encouragement. Je ne sais pas si les promoteurs du prix Nobel savaient qu’Obama passerait dans l’histoire comme étant le président qui a le plus utilisé des drones mortels pour avoir des frappes ciblées. Je ne crois pas qu’ils l’imaginaient. Mais d’une certaine manière, le président Obama a, avec d’autres, pu en 2015 nouer un accord sur le nucléaire iranien, même s’il n’était pas le seul. C’était donc une forme d’encouragement, mais ce prix Nobel était quand même très étrange. On avait l’impression qu’il avait plus été donné sur des discours que sur une véritable action d’un homme politique", poursuit le professeur.

Déposer les armes

Selon lui, le prix Nobel de la paix est parfois hautement géopolitique : "Cela peut effectivement l’être pour indiquer que, quel que soit la situation ou le caractère inextricable de la situation, on veut essayer de récompenser ceux qui font le plus dur à un moment donné, c’est-à-dire qu’ils déposent les armes, ils se sont peut-être haïs pendant des années, mais enfin ils vont faire la paix. Le meilleur exemple est quand même le prix Nobel de la paix qui a été attribué au président Sadate et à Menahem Begin. Tous les deux étaient des militaires, tous les deux avaient fait la guerre, l’un avait aussi un passé terroriste, l’autre avait un passé d’admiration de l’armée allemande, et malgré tout, ils se sont un jour arrêtés et ils ont fait la paix. C’est donc effectivement hautement politique, voire géopolitique, comme récompense. C’est parfois moins spectaculaire, mais ça a aussi été le cas par exemple quand on a attribué le prix à Kissinger et Le Duc Tho, le Nord-Vietnamien qui l’a d’ailleurs refusé, mais on voulait saluer les négociations, les accords de Paris qui allaient mettre tout doucement fin à la guerre du Vietnam".

Quelquefois "on empêche le silence quand on octroie le prix Nobel à des opposants, des dissidents, le cas échéant même des gens qui sont en prison. On se souvient du prix Nobel qui a été attribué au physicien Andreï Sakharov ou au Chinois Liu Xiaobo, qui lui-même n’a pas pu venir le chercher, ou à Aung San Suu Kyi, même si certains le contesteront maintenant. C’était chaque fois des dissidents ou des opposants au régime en place. Il y a donc là un message qui est lancé et qui ne plaît d’ailleurs pas à ces régimes autoritaires, mais qui permet d’attirer les projecteurs sur un combat par rapport à un État dictatorial, totalitaire, autoritaire, selon les cas", conclut Tanguy de Wilde.

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