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Quand l’intelligence artificielle joue les artistes

L’intelligence artificielle est dorénavant capable de créer en quelques secondes n’importe quelle image à partir d’une description textuelle.

Photographie peepo / Getty Images ©

L’intelligence artificielle s’invite de plus en plus dans les arts visuels. De nouveaux logiciels sont capables de générer des images à partir d’une simple phrase. Le résultat est bluffant, mais leur utilisation pose de nombreuses questions quant à l’avenir de la création.

En 1901, l’architecte américain Frank Lloyd Wright prononçait un discours à Chicago sur le rôle de la machine dans le processus créatif. Il expliquait qu’elle permettait, avant tout, "l’émancipation de l’expression humaine". Un siècle plus tard, cette machine est communément appelée l’intelligence artificielle (IA). Elle est capable de créer en quelques secondes n’importe quelle image à partir d’une description textuelle. Vous aimeriez voir le naturaliste anglais sir David ­Attenborough se battre à mains nues avec un ours polaire ? Ou l’acteur américano-canadien Dwayne Johnson rencontrer son alter-ego, The Rock ? C’est désormais possible grâce à des logiciels comme Midjourney, DALL-E 2, Imagen, DreamBooth ou encore Stable Diffusion.

Ces outils utilisent des modèles de compréhension du langage et d’apprentissage sur de très grandes quantités de données pour concevoir des images à partir d’une ligne de texte. Google explique avoir entraîné Imagen notamment sur LAION-400-M, une base de données de 400 millions d’images associées à des légendes écrites, trouvées sur Internet. Voilà d’où l’intelligence artificielle tire son "inspiration". Elle génère ensuite plusieurs illustrations correspondant à une demande — par exemple, une théière tout en muscles — en "débruitant" (éclaircissant) un amas de pixels de couleurs aléatoires. C’est cette technique dite "de diffusion" qui fait le succès actuel des logiciels de génération d’images.

Depuis le mois de juin, DALL-E 2, Midjourney et consorts ont vu leur popularité grimper en flèche sur les réseaux sociaux, en grande partie grâce aux visuels tantôt réalistes tantôt grotesques qu’ils produisent. Certains illustrent des concepts assez vagues comme la blockchain ou la joie, tandis que d’autres répondent à des demandes très précises (comme "des cailles qui écoutent des parents d’élèves en colère lors d’une réunion du conseil d’administration d’un établissement scolaire"). Les logiciels d’intelligence artificielle générative sont capables de répondre à n’importe quelle requête envoyée par un utilisateur, à condition qu’elle n’aille pas à l’encontre de leur politique de modération. OpenAI, l’entreprise derrière le programme DALL-E, interdit la génération d’images violentes, pornographiques ou politiques, et empêche de créer des illustrations "photoréalistes", notamment de personnalités publiques. DALL-E refusera ainsi d’imaginer un combat à mort entre Donald Trump et Vladimir Poutine.

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Imitation et limitations

Mais c’est la seule limite que la machine met à "l’expression humaine", pour reprendre la formule de Frank Lloyd Wright. Les programmes comme Imagen et Midjourney ne se contentent pas de réaliser des composites d’images disponibles sur le Web ; ils en créent de nouvelles. Et ce, dans une multitude de "styles" : peinture "à la Picasso", Pop art, impressionnisme, street art, voire cyberpunk ou Bauhaus. Si ces logiciels d’intelligence artificielle générative sont plutôt faciles d’utilisation, il faut un certain temps pour trouver quelle tournure de phrase permettra d’obtenir un bon rendu. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne suffit pas de taper des mots-clés au hasard pour obtenir une œuvre unanimement saluée. "Les générateurs d’images par intelligence artificielle ne fonctionnent jamais exactement comme vous le voulez. Ils produisent souvent des résultats hideux qui ressemblent, au mieux, à de l’art brut déformé", a expliqué l’artiste digital Erik Carter au magazine MIT Technology Review.

Ces logiciels peinent notamment à imaginer des animaux ou des humains anatomiquement corrects. La plupart des visages qu’ils génèrent donnent l’impression d’être "écrasés", ou du moins déformés. Le philosophe et journaliste Tom Whyman écrit dans ArtReview que les personnages conçus par l’IA "apparaissent comme ils le font quand on les imagine, pas tout à fait complets". Autre souci : les outils d’intelligence artificielle générative reproduisent certains stéréotypes racistes et sexistes. DALL-E 2, Midjourney et consorts ont ainsi tendance à représenter les aides soignants comme des femmes, et les médecins comme des hommes. Ils véhiculeraient aussi un canon très occidental, conséquence du manque de diversité des millions d’images avec lesquelles ils sont entraînés.

OpenAI a d’ores et déjà annoncé différentes mesures pour que DALL-E 2 ne soit pas un vecteur supplémentaire de discriminations sur Internet. Une mission pour laquelle l’entreprise bénéficie du soutien de millions d’internautes qui souhaitent, comme elle, améliorer les images produites par son programme phare. Ils sont des centaines de milliers à se réunir sur des serveurs de la communauté Discord consacrés à DALL-E 2 pour échanger des astuces visant à peaufiner leurs descriptions textuelles — un processus qu’on appelle le "prompt crafting" ("la fabrication d’instruction") — ou à dépasser les limites de l’intelligence artificielle. "Quelqu’un a-t-il des conseils pour que Dall-E 2 génère des personnages d’émissions de télévision populaires ? Je n’ai aucun mal à trouver des héros comme Bob l’éponge, mais pour Patrick Star, par exemple, il génère une étoile de mer, et non le personnage lui-même", demande un internaute. Un autre se tourne vers les membres de cette communauté en ligne pour l’aider à produire un centaure.

Ce phénomène ne se limite pas à DALL-E 2, ni même à Discord. Les utilisateurs de logiciels d’intelligence artificielle génératrice se réunissent également sur Reddit et sur Twitter pour se réunir entre passionnés. Certains aficionados comme Guy Parsons ont même publié des guides numériques pour apprendre à se servir au mieux de ces nouveaux outils de création artistique, et, pourquoi pas, produire de véritables chefs-d’œuvre.

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