La peur des douloureux chroniques de ne pas être pris au sérieux
Beaucoup de patients atteints de douleurs chroniques ne veulent pas entendre parler de leur douleur comme ayant une composante "psychosomatique". En effet, dans la société contemporaine, ce terme est porteur d’une représentation largement péjorative. Il jette insidieusement une forme de discrédit sur la personne malade, qui ne le serait peut-être, finalement, que dans sa tête… En d’autres mots, derrière le refus de beaucoup de patients douloureux chroniques de parler de leurs douleurs comme étant aussi d’ordre "psychosomatique", se cache plus simplement la peur de passer pour fou.
Cette coloration péjorative du terme "psychosomatique" est à mettre en relation avec un contexte socio-historique qui remonte au Siècle des Lumières. En effet, à partir de cette époque, les tenants de la médecine, revendiquant le caractère profondément "rationnel" de leur pratique, se délestent de toutes méthodes ou explications dont l’efficacité ne puissent être démontrées par le principe de la preuve scientifique, se basant sur de l'"observable". Se marque alors une séparation nette entre ce qui relèverait uniquement du corps et de l’esprit. Une séparation qui aboutit au développement d’une médecine assez méprisante à l’égard d’autres disciplines telles que la psychologie ou la psychiatrie qui émergent au XIXe siècle.
Aujourd’hui encore l’approche dominante de la médecine s’obstine, sans doute aussi pour des questions budgets et de planning trop serrés, à ne pas prendre en charge les patients de façon plus holistique. C’est donc dans ce contexte que l’on peut comprendre la construction d’un mépris autour de termes comme celui de "symptômes psychosomatiques", étiquette dont les individus refusent de se voir affublés, étiquettes dont il faudrait pourtant parvenir à faire évoluer les représentations.
Bernard Laurent explique que le développement de cette approche plus humanisante de la médecine reste un défi à l’échelle globale de la société: "Un des buts principaux de notre ouvrage est de montrer que quand on parle de psychosomatique, ce n’est absolument pas une dichotomie entre le psychisme et le soma. On pourrait parler de psychobiologie. C’est-à-dire que tout le psychisme retentit sur la biologie du cerveau. Et la biologie du cerveau est fondamentale pour le contrôle des douleurs. En d’autres termes, quelle que soit la nature de votre douleur, quelle que soit la lésion, l’influence du psychisme est présente. Cette démarche est nouvelle. D’une part, elle est souvent peu acceptée par les médecins somaticiens qui sont toujours à la recherche de l’explication. Et lorsqu’ils ne trouvent pas d’explication, le message est souvent: "c’est dans votre tête"! Évidemment que la personne fibromyalgique ou céphalée souffre! Dire que c’est dans la tête, c’est un pléonasme, parce que tout se passe dans la tête: la douleur en générale est dans la tête, le psychisme est dans la tête! Ça n’a aucun sens de dire ça. Mais quand c’est dit comme un refus de prise en charge du somaticien et passé comme une patate chaude au psychiatre, ça ne marche jamais! Donc, toute la démarche des 138 douleurs c’est de dire de toute façon on vous croit! Vous avez une douleur! Les douleurs psychogènes, ça n’a pas de sens! On vous prend en charge, dans votre globalité: dans votre histoire, dans votre lésion actuelle. (…) Surtout il ne s’agit pas de s’enfermer dans cette dichotomie dévastatrice entre psychisme et soma, comme si le corps était déconnecté au niveau du cerveau, déconnecté au niveau de la moelle cervicale…".
La prise en charge globalisante du patient douloureux chronique ne prétend pas encore pouvoir faire disparaître les douleurs mais cherche des chemins pour parvenir à l’amoindrir.
Le livre
L’homme Douloureux
Guy Simonnet et Bernard Laurent
Editions Odile Jacobs