Week-end Première

Que révèle l’urbex de notre rapport au passé, à l’aventure et à l’interdit ?

Urbex à Celles, Belgique

© Holly Bagelman / EyeEm / Getty Images

Par RTBF La Première via

L’exploration urbaine, ou urbex, est la visite illégale de sites abandonnés, normalement fermés aux visiteurs. Elle connaît un engouement mondial, des stations de métro abandonnées de Charleroi aux parcs d’attractions déserts au Japon, en passant par le cimetière de trains d’Uyuni en Bolivie. Urbexeur lui-même, Nicolas Offenstadt décrypte ce mouvement qui fascine et inquiète à la fois.

Nicolas Offenstadt, historien et urbexeur, publie URBEX, le phénomène de l’exploration urbaine décrypté (Albin Michel). C’est la première synthèse sur ce mouvement et un plaidoyer pour un usage raisonné, collectif et savant de la pratique.

"L’urbex, c’est une communauté"

Explorer des lieux abandonnés, ce n’est pas forcément une pratique nouvelle. Les premières pratiques archéologiques sont déjà décrites au 5e siècle avant JC, par Tucidide.

Le mot urbex n’apparaît véritablement en Europe que dans les années 2000. Déjà quand un mot apparaît, ça veut dire que quelque chose de nouveau se joue.

Ce qui se joue de nouveau, pour Nicolas Offenstadt, c’est d’abord le fait que l’urbex, c’est une communauté, c’est un partage. Pour cela, il faut des lieux : ce sont les réseaux sociaux, les sites web. Il y a une concomitance entre l’exploration urbaine comme mouvement et le développement de l’Internet, notamment Youtube pour pouvoir diffuser les vidéos faites sur place, ou encore les sites de partage photographique, les échanges sur Facebook ou sur Instagram, l’un des hauts lieux de l’urbex.

L’urbex, cela sous-entend le partage, la diffusion. Et du coup, que les gens partagent un certain nombre de valeurs ou d’intérêts communs.

Le rapport au passé

Nicolas Offenstadt explique l’intérêt croissant des gens pour cette pratique par des phénomènes historiques :

  • La désindustrialisation, avec la massification des abandons, des lieux abandonnés, des ruines. On connaît bien cela en Belgique, notamment en Wallonie, avec la fermeture des mines, de la métallurgie, de l’industrie lourde… Dans beaucoup de pays, l’abandon, le délaissement, la marge deviennent de plus en plus présents. Cela interroge les habitants qui voient des ruines partout.
  • La chute du communisme, à l’Est, a notamment laissé en friche des milliers de bâtiments, aussi bien des institutions politiques que des usines.
  • Et maintenant, la dématérialisation : on a de moins en moins besoin de lieux.

On a donc objectivement de plus en plus de ruines partout et cela donne envie de les visiter. Beaucoup de gens, qui ne sont pas des historiens ni des archivistes, vont y faire de la recherche, se documenter.

"Ce qui est le plus intéressant, c’est que cela dit quelque chose aussi sur notre rapport au passé. Aller visiter des lieux abandonnés, c’est s’interroger finalement sur le passé, sur le temps qui passe. C’est peut-être lié au fait que le passé est une ressource, une interrogation, en Europe. On a besoin du passé, parce qu’il y a un ensemble de projections vers le futur qui se sont affaiblies. […] Et donc, chacun va projeter dans ces lieux abandonnés quelque chose sur le passé, sur son passé parfois, parce qu’on urbexe aussi près de chez soi !"

Dans quelle mesure la transgression, le risque font-ils partie de l’expérience ?

En dehors de l’aspect patrimonial et historique, de l’intérêt pour le passé, il y a aussi l’aventure. Ces lieux sont souvent fermés au public, avec interdiction d’y entrer.

"C’est une double aventure : d’abord, il faut trouver le lieu. Puis il faut y rentrer et puisque ce ne sont pas des pratiques légales, il faut trouver la faille, une fenêtre, un trou dans un grillage… […] Bref, il y a cette dimension qui est assez joueuse et que moi, j’aime bien, c’est comment rentrer ?" explique Nicolas Offenstadt.

Ensuite, à l’intérieur, c’est la découverte, vous ne savez pas ce qui va se passer. Certaines portes seront peut-être fermées. Vous allez peut-être faire de mauvaises rencontres, avec des animaux ou des êtres humains.

Il y a donc une vraie dimension d’aventure, et c’est effectivement dangereux : rien n’est entretenu et les accidents sont fréquents.

La transgression est évidente parce que, dans beaucoup de cas, l’exploration urbaine est illégale. Il y a d’ailleurs un débat chez les urbexeurs : faut-il que l’expédition soit illégale pour qu’on parle d’urbex ?

Une pratique d’intérêt scientifique

En tant qu’historien et professeur à la Sorbonne, Nicolas Offenstadt considère que l’urbex est une pratique scientifique, qui a de la valeur pour son métier. Il rend d’ailleurs publics les lieux de ses expéditions, il en précise l’intérêt et donne éventuellement des éléments historiques, sur les réseaux sociaux ou ailleurs.

"Parce qu’effectivement, je trouve que ces lieux abandonnés - des usines, des maisons de la culture, des anciennes institutions publiques, des casernes…- c’est d’une certaine manière un bien commun, parce qu’il y a des histoires de vie qui s’y sont déroulées. Autrement dit, il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas en faire l’histoire, éventuellement les visiter, même de manière illégale, chacun prend ses risques."

L’exploration urbaine permet de dévoiler un patrimoine industriel, de garder la mémoire de nos villes. Il y a cette idée d’un bien commun dans la ruine et dans l’abandon, qui est notre histoire. Et beaucoup d’urbexeurs le vivent comme tel.

Cela pose aussi la question de l’abandon : pourquoi un lieu, à un moment donné, est-il abandonné ? Pourquoi y abandonne-t-on des archives, des machines, des vêtements… ? Des objets qui sont très intéressants pour l’historien, parce qu’on n’en trouve parfois pas l’équivalent aux Archives.

C’est à la fois une ressource, une interrogation sur ce qu’est l’abandon, et aussi un bien commun. Donc, l’urbex ouvre vraiment, pour un historien, beaucoup de choses, au-delà du plaisir de l’aventure.

Les règles du bon urbexeur

Il s’agit d’abord d’assurer sa sécurité et d’être bien équipé, car les lieux sont souvent très dangereux. Chaussures de sécurité, torche, trousse de secours sont indispensables. La progression doit être lente et prudente, pour s’assurer de la stabilité des sols et appuis. Il est important aussi d’avoir une bonne condition physique.

Quand vous entrez dans un lieu, le code urbex veut que vous le respectiez : vous ne cassez rien, vous n’emportez rien.

On ne laisse que des traces de pas, on ne prend que des photos.

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