Economie

Que sont ces "banques systémiques" qui peuvent faire éclater le système bancaire ? Comment empêcher la casse ?

© Getty Images - Max Labeille

Le sauvetage de la banque Crédit suisse, rachetée par UBS, était nécessaire car cette banque était qualifiée de "systémique". En d’autres mots, si cette banque avait fait faillite, elle aurait risqué d’entraîner d’autres établissements bancaires dans sa chute. Dans le cas de Crédit suisse, c’était bien au-delà des frontières de la Suisse que les conséquences auraient pu être lourdes.

Les banques sont classées en fonction de leur poids et du risque qu’elles représentent. Trente établissements bancaires sont considérés comme des banques d’importance systémique globale. Crédit suisse en faisait partie.

Qu’entend-on par "banque systémique" ?

Une banque systémique, c’est "une banque qui a des interconnexions avec d’autres banques ou d’autres parties de la société, des entreprises, des ménages", résume Eric Dor, spécialiste de la finance et Professeur l’IESEG à Lille et Paris. "Ces interconnexions sont tellement fortes que si cette banque devait faire faillite, cela aurait des conséquences en chaîne très dévastatrices", ajoute-t-il.

"Cela veut dire que si cette banque saute, tout le système est impacté", explique Bruno Colmant, professeur à l’ULB et à l’UCLouvain.

La faillite de la banque américaine Lehman Brothers en 2008 en est l’exemple type. Elle avait provoqué un séisme financier à l’échelle mondiale. De nombreux états avaient dû intervenir, à grands frais, pour éviter la culbute de leurs banques.

Quel est le profil de ces banques systémiques ? Quels sont les critères qui leur valent le statut de banque systémique ? Sont notamment pris en compte "la taille du bilan, la taille des crédits, la taille des dépôts, la taille des actifs gérés par la banque", explique Bruno Colmant.  Depuis 2008, "les autorités de régulation identifient quelles sont les banques qui sont systémiques", explique Eric Dor.

D’autres organismes que des banques peuvent être considérés comme systémiques. Cela a été le cas de l’assureur AIG, par exemple, une grosse compagnie d’assurances américaine au premier plan de l’actualité lors de la crise financière de 2008-2009. "Elle assurait pas mal d’actifs toxiques, les actifs adossés à des prêts subprimes qui étaient détenus par énormément de banques dans le monde", rappelle Eric Dor. La banque centrale américaine, la Federal Reserve, était intervenue alors qu’AIG ne parvenait plus à assurer ses obligations. "Il allait faire plonger énormément d’organismes financiers dans le monde", poursuit Eric Dor.

Les banques systémiques peuvent l’être à l’échelle mondiale. Cela veut dire que leur importance est telle que leur chute aurait des répercussions à l’échelle de la planète.

Une banque peut aussi être systémique à l’échelle d’un continent ou d’un pays.

Dans le monde, trente banques d’importance systémique globale

Les autorités de supervision bancaire des pays du G20 ont établi une liste des banques qui représentent un risque systémique pour l’ensemble de la planète. Ces banques sont appelées "G-SIB" pour "Global Systematically Important Bank", banque d’importance systémique globale.

Ce sont des banques qui sont présentes un peu partout dans le monde et qui font des affaires avec des acteurs financiers aux quatre coins de la planète, qu’il s’agisse d’autres banques ou de fonds de placement.

La liste est mise à jour chaque année. On dénombre 30 banques de ce type, réparties en cinq catégories. La dernière mise à jour remonte à novembre 2022.

Parmi les trente banques systémiques globales, huit banques font partie de la zone euro. Il s’agit de BNP Paribas qui est dans le top 4 des banques systémiques mondiales, de la Deutsche Bank (Allemagne), du Groupe français BPCE (Banque Populaire et Caisse d’Epargne), du Groupe Crédit Agricole (France), d’ING (Pays-Bas), de Santander (Espagne), de la Société Générale (France) et d’Unicredit (Italie).

Huit banques sont américaines, dont JP Morgan Chase, la plus importante des banques systémiques.

Parmi les plus grandes banques systémiques, on trouve aussi quatre banques chinoises, trois banques japonaises, trois banques britanniques, deux canadiennes et deux suisses (UBS et Crédit suisse).

Ces trente banques d’importance systémique globale constituent "une série d’institutions qui ont le privilège de pouvoir faire sauter la planète" résume avec ironie Eric Dor, professeur à l’IESEG.

Que se passerait-il si une banque systémique faisait faillite ?

La faillite d’une banque systémique serait un scénario catastrophe. On l’a vu avec Lehman Brothers en 2008.

Imaginons une banque de grande importance qui coulerait sans qu’on lui vienne en aide, une banque "qui n’est pas recapitalisée en termes de capitaux propres par l’Etat, où la banque centrale n’intervient pas et ne donne pas de liquidités", donne comme exemple Bruno Colmant. "Donc, les déposants se ruent sur les dépôts mais ils ne sont pas remboursés pour la totalité et cela crée une onde de choc mondiale, parce que toutes les banques qui ont déposé de l’argent dans cette banque ne le récupèrent pas", poursuit Bruno Colmant. Les banques se tourneraient alors les unes vers les autres pour tenter de récupérer ce qui est encore possible à gauche et à droite. Ce serait "ce qu’on appelle le trou noir, l’implosion", explique Bruno Colmant.

Ce serait une réaction en chaîne, un effet "domino". Par exemple, si la banque n’arrive plus à rembourser ses obligations (de l’argent prêté par des investisseurs), cela mettra à mal toute une série d’acteurs qui ont investi dans ces obligations bancaires. "Cela peut être des compagnies d’assurances, des fonds de pensions, des fonds de placement collectifs comme des Sicavs, des Hedge funds", explique Eric Dor.

Des mesures de prévention pour empêcher la chute de ces banques

La crise financière de 2008-2009 a mené les autorités de supervision à remettre de l’ordre dans le secteur bancaire.

Pour limiter le risque qu’une faillite bancaire survienne, on a imposé de nouvelles règles aux banques. Elles doivent avoir plus de fonds propres qu’avant. "Les banques qualifiées de systémiques doivent avoir plus de fonds propres que les autres", précise Eric Dor. Ces fonds propres sont là "pour absorber les pertes raisonnables sur les actifs", ajoute Eric Dor. On pense ici, par exemple, à des prêts qui ne seraient pas remboursés par des emprunteurs.

Les banques doivent donc être plus solvables et avoir des réserves pour les coups durs. Elles doivent respecter ce qu’on appelle des "ratios de solvabilité", c’est-à-dire mettre de côté un certain pourcentage de leurs actifs.

Les banques doivent aussi avoir plus de liquidités, c’est-à-dire de l’argent disponible rapidement, s’il faut, par exemple, faire face aux retraits des clients. "Il faut qu’en plus du cash et des dépôts que la banque fait à la Banque nationale, il y ait des actifs liquides dont elle peut se débarrasser très vite, par exemple des obligations d’Etat qu’on peut vendre rapidement", explique Eric Dor.

Mais le respect de ces critères ne suffit pas toujours. La preuve avec le Crédit suisse qui malgré cela n’a pas été en mesure de faire face à la méfiance des clients.

Parfois, la prévention ne suffit pas

On le voit avec le Crédit suisse, les règles de prudence ne suffisent pas à éviter le naufrage. Depuis la crise financière de 2008, les autorités bancaires ont imaginé un mécanisme de résolution. Il s’agit d’intervenir pour éviter des conséquences pour l’ensemble du système financier. "La mise en résolution d’une banque, c’est sa restructuration ou sa liquidation ordonnée de manière à éviter les effets destructeurs du système", résume Eric Dor.

La solution peut passer, comme c’est le cas pour le Crédit suisse, par une revente de la banque à une autre.

En Europe, qui paye l’addition ? D’abord les actionnaires qui peuvent perdre leur mise. Ensuite, on se tourne vers les créanciers de la banque, par exemple ceux qui détiennent des obligations. Plus la créance est considérée comme "à risque", plus il y a de chances que le créancier ne récupère rien. Si cela ne suffit pas, on se tourne vers les déposants et on ponctionne les dépôts supérieurs à 100.000 euros.

 

Les limites du système

Sauver une banque coûte cher, a fortiori une banque systémique. Les Etats sont mis à contribution.

On le voit avec le sauvetage de Crédit suisse, racheté par UBS. L’Etat suisse couvrira les pertes d’UBS sur les actifs détenus par Crédit suisse, à concurrence de 9 milliards de francs suisses. Il octroie aussi une ligne de crédit de 100 milliards de francs suisses garantie par l’Etat suisse. Une deuxième ligne de crédit de 100 milliards de francs suisse est aussi prévue pour UBS et Crédit suisse tant que le sauvetage de Crédit suisse n’est pas bouclé. C’est un risque financier important que prend l’Etat suisse.

La Suisse peut être qualifiée de pays qui a les moyens, mais serait-ce le cas de tous les Etats qui seraient appelés à soutenir une banque importante ? "Le problème, c’est jusqu’où les Etats sont-ils assez crédibles pour offrir des garanties aux yeux du marché", se demande Eric Dor.

Au sein de l’Union européenne, le risque est partagé par les Etats membres. Ils ont constitué un fond de résolution commun, "pour quelques dizaines de milliards d’euros", explique Eric Dor. "C’est déjà mieux que rien, mais d’aucuns disent que ce n’est pas encore assez", poursuit-il. "Personne ne voudrait assister au sauvetage de BNP Paribas ou d’ING. On n’a pas très envie de tester ce genre de choses", ajoute Eric Dor.

"Doit-on laisser grandir les banques au-delà d’un certain seuil ? C’est une question qui n’a jamais été résolue.", rappelle Bruno Colmant.

Eric Dor revient lui sur la notion de "confiance". "Les banques sont de drôles d’oiseaux qui reposent sur la confiance", explique-t-il. "Si la confiance manque, la banque peut couler du jour au lendemain", poursuit-il. L’histoire récente de Crédit suisse en est la preuve.

Sur le même thème : Extrait Déclic (22/03/2023)

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