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Quel député européen a rencontré quel groupe d’influence ? Quelles sont les règles du lobbying européen ?

Déclic

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Des eurodéputés qui sont approchés par des lobbyistes qui voudraient les informer sur un dossier et les influencer sur leur prise de position, ce n’est un secret pour personne. Le quartier européen regorge de ces groupes d’influence. Il y en a près de 13.000. Ils peuvent représenter des entreprises comme Total, des ONG comme Greenpeace, des syndicats ou encore des pays.

En réalité, ce lobbying européen est encadré. Les lobbies doivent être enregistrés comme tels et les représentants politiques ne peuvent bien sûr pas recevoir de sommes d’argent, ce qui s’assimilerait à de la corruption. L’affaire de cette semaine au Parlement européen dépasse donc le lobbying. N’empêche que s’il était mieux encadré, on risquerait moins de dérapages comme celui qui est présumé aujourd’hui. C’est en tout cas l’avis de Transparency International EU, elle-même lobbyiste pour plus de transparence de la part des décideurs européens.

Un risque et les règles d’encadrement

"L’enquête est en cours et on va attendre les résultats… mais cela fait plusieurs années que l’on prévient le Parlement européen qu’il y a un risque et les règles d’encadrement ne vont toujours pas assez loin", réagit Raphaël Kergueno, chargé de plaidoyer chez Transparency International EU. Il nous explique comment fonctionne le lobbying au sein des institutions européennes.

© Getty images

Un registre de transparence

Il existe officiellement 12.800 lobbies autour des institutions européennes. Elles sont répertoriées dans un registre de transparence, disponible à tout un chacun. Mais la façon dont le Parlement, la Commission et le Conseil de l’Union européenne l’utilisent est très différente.

"La Commission européenne applique à nos yeux les meilleures règles, explique Raphaël Kergueno. C’est très simple : une rencontre = un enregistrement. Cela signifie que chaque personne travaillant à la Commission vérifie si la rencontre prévue se fait avec un organisme qui est officiellement enregistré. Ils vont pouvoir voir combien ce lobby dépense, qui ils sont, les intérêts qu’ils défendent etc."

Cette règle, appliquée depuis 2014 oblige également les membres de la Commission à publier les rencontres mais seulement pour les membres les plus importants de cette institution à savoir les commissaires européens, les directeurs généraux et les membres des cabinets.

On pousse les autres institutions à adopter exactement les mêmes règles

"On pousse les autres institutions à adopter exactement les mêmes règles, continue Raphaël Kergueno. Et même s’il y a eu des réformes, ça n’a pas été le cas."

Plus de marge de manœuvre au Parlement

Alors quelle est la règle encadrant le lobbying au Parlement européen ? "Elle n’a rien à voir avec le registre de transparence. C’est une règle interne qui dit que le parlementaire doit publier les rencontres avec les lobbyistes mais seulement pour les présidents des Commissions, les rapporteurs et les 'shadow rapporteur' (littéralement, rapporteurs de l’ombre, ndlr)… bref, des députés qui sont en charge de rapports législatifs. Ils ont des rôles importants pour faire en sorte qu’un projet législatif passe au Parlement. Et c’est seulement s’ils ont eu une rencontre sur le texte en question qu’ils doivent la déclarer."

Ils peuvent donc tout à fait avoir des rencontres plus informelles sans être déclarées. "Et c’est là que le bât blesse", explique le chargé de plaidoyer.

Autre obstacle à la transparence : le délai de publication. Les membres du parlement ne doivent le publier qu’une semaine après le vote en plénière. "Ça laisse donc énormément de marge de manœuvre et c’est presque impossible de vérifier qui applique ces règles et qui ne les applique pas."

Mais le plus gros problème, c’est le contrôle de cette gestion. "Certains députés n’ont strictement rien publié car il n’y a aucun organe de vérification." Ainsi, seulement 58% des eurodéputés ont publié au moins une rencontre avec un lobby depuis le début de leur mandat. Les autres, rien du tout.

Quatre rencontres en lien avec le Qatar pour Tarabella

Là encore, ceux qui ont déclaré leurs rencontres ont été répertoriés par Transparency International EU.

C’est ainsi que l’on peut voir que le député Marc Tarabella a eu quatre rencontres en lien avec des organismes qataris ces deux dernières années dont une le 2 juin dernier qui s’est passée en présentiel dans la salle de protocole avec le porte-parole du ministère des affaires étrangères du Qatar.

Si l’eurodéputé a eu l’honnêteté de publier ces rencontres-là, ce n’est donc pas le cas de tous. "Théoriquement, ceux qui ont été en charge de dossier sont obligés de le faire. Mais dans les faits, quand on les contacte pour leur signaler qu’aucune rencontre n’a été publiée alors qu’on est quasiment sûr qu’il y a du lobbying sur un dossier, ils nous répondent qu’ils n’ont eu aucune rencontre sur ce dossier-là. 'J’ai eu des rencontres à propos d’un autre sujet, je ne suis donc pas obligé de l’enregistrer', nous répond-on. Et pour nous, c’est alors très difficile de prouver qu’il y a eu un manquement aux règles."

En tant que vice-présidente du Parlement européen, Eva Kaili, aujourd’hui démise de ses fonctions pour suspicion de corruption aurait donc pu enregistrer ses rencontres. Mais rien ne figure sur sa page parlementaire. Et surtout, elle a totalement dépassé ce cadre puisqu'il ne s'agit plus ici de lobbying qui interdit d'acheter une voix au député.

Aucune réunion n’est déclarée sur la fiche d’Eva Kaili.
Aucune réunion n’est déclarée sur la fiche d’Eva Kaili. © europarl.europa.eu

"Là on est dans quelque chose qui est infiniment plus grave", réagit le chargé de plaidoyer. "Recevoir de l’argent d’un lobby est complètement proscrit et ce lobby devrait être retiré de la liste des lobbies autorisés."

Une démission du bureau politique?

Concernant le lobbying au Parlement européen, des sanctions sont prévues en cas de non-déclaration d'un rendez-vous, mais elles ne sont pas appliquées. "Personne ne vérifie au sein du Parlement ou en dehors. Il n’y a pas d’autorité indépendante capable de sanctionner quand il y a des manquements." Bref, aucun contrôle de gestion.

Voilà pourquoi Transparency International EU demande la démission du bureau politique du Parlement européen et qu’une autorité indépendante de contrôle de gestion soit nommée. Une demande de démission qui en rappelle une autre en cette fin de semaine à un autre échelon politique.

Y aurait-il un problème avec nos démocraties ? C’est en tout cas un très mauvais signal pour nos représentants politiques aux yeux de Raphaël Kergueno. "C’est désolant parce que toutes les institutions européennes sont loin d’être corrompues de A à Z. Et le lobbying peut permettre d’avancer sur des dossiers s’il est bien encadré. La majorité des députés ne sont pas corrompus mais un scandale comme celui d’aujourd’hui ternit l’ensemble de l’institution. Tous les députés sont mis dans le même sac et c’est bien dommage."

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