Un jour dans l'histoire

Quelle est la frontière entre l'homme ordinaire et le salaud en temps de guerre ?

Quelle est la frontière entre l'homme ordinaire et le salaud en temps de guerre ?

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Après l'histoire de Jozef Bielik, son grand-père maternel, l'historien Jean-François Füeg se penche sur le passé de Robert Füeg, son autre grand-père, au sujet duquel le récit familial jetait le trouble quant à ses activités sous l’Occupation. L’occasion pour l’auteur d’explorer les frontières, assez floues, entre le héros, le salaud et l’homme ordinaire.

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Grand-père gâteau ou collaborateur ?

Robert Füeg était un grand-père formidable, il emmenait son petit-fils au Salon de l'Auto, au Zoo d'Anvers. Il aimait raconter des histoires, parfois très drôles. Et Jean-François Füeg, à l'âge de 9-10 ans, admirait cet homme qui racontait comment il avait roulé les Allemands pendant la guerre en leur vendant des camions.

Dans la famille, on disait toutefois que la carrière professionnelle de Robert Füeg était due au fait qu'il avait collaboré avec les Allemands, qu'il avait séduit le Troisième Reich en vendant et réparant des camions. Et qu'étant Suisse, donc neutre, il n'avait pas été puni après la guerre, contrairement à ses collègues.

Jean-François Füeg a voulu tirer cela au clair. Il a mené l'enquête, auprès de différentes sources et archives.

 

Robert Füeg, un Suisse en Belgique

Robert Füeg est né en Suisse dans un milieu relativement modeste. Passionné par la mécanique et par la technique, il est engagé dans l'entreprise Scintilla, qui fabrique des phares de voiture ainsi que la Magneto, un dispositif électrique qui aura longtemps son heure de gloire.

Comme le gouvernement suisse incite ses jeunes à quitter le pays pour trouver de l'emploi ailleurs, Robert Füeg part en 1921 représenter Scintilla en Belgique, auprès de la société automobile Minerva.

En 1932, son contrat se termine et après une période de chômage, il se retrouve à travailler dans le garage automobile d'un certain Max, qui a repris la représentation de Scintilla en Belgique.

Max est riche, malin, flamboyant, il aime bien vivre et faire de la course automobile. Sentant arriver la guerre, il se dit que les Allemands auront bien besoin de faire entretenir leurs véhicules. Il achète ainsi des garages en faillite partout dans le Brabant et dans la province d'Anvers. Il s'enrichit et achète ensuite des usines: construction métallique, vitrerie, tubes...

 

La position délicate des industriels face aux Allemands

À l'arrivée des Allemands, Alexandre Galopin, alors Gouverneur de la Société générale de Belgique, avait fait part aux industriels de son questionnement:

  • Si on ne collabore pas, on risque que la production soit déplacée en Allemagne, avec à la clé un chômage et une perte de richesse terrifiants.
  • Ou alors on continue à produire pour éviter que notre industrie soit confisquée, mais sans aller jusqu'à collaborer à l'effort militaire.
    Et c'est ce choix du moindre mal qui a été fait.

 

Un après-guerre difficile

Cela vaudra à Scintilla, après la guerre, une accusation de collaboration, puisque la Magnéto que la société fabriquait a été utilisée pour fabriquer les bombes allemandes.

Max est donc poursuivi, non pas pour avoir entretenu les camions allemands, mais pour avoir vendu les 300 000 Magnétos qui ont permis de fabriquer des bombes. Il se défendra en invoquant la contrainte face à un appareil aussi répressif et puissant que celui de l'armée allemande. Selon lui, il a servi l'Allemagne au minimum.

Il sera appuyé par son personnel envers qui il a toujours été très paternaliste et généreux. La Résistance, sous l'impulsion des communistes, va aller jusqu'à faire une pétition en sa faveur. 

Il sera toutefois condamné à 10 ans de travaux forcés et à 86 millions de dommages et intérêts à verser à l'Etat. Cet impôt de guerre sera payé, mais les usines vont malgré tout continuer à prospérer. La société existe d'ailleurs toujours aujourd'hui.

Max sera par la suite réhabilité, "ce qui est le signe du malaise de l'Etat belge, car au fond, ces gens, qu'est-ce qu'on leur reproche exactement ? Galopin leur a dit d'y aller. Qu'est-ce qu'on aurait fait ? Ne sont-ils pas de nature à relancer l'économie du pays ?", s'interroge Jean-François Füeg.

Le nom de Max n'est volontairement pas cité, sur le souhait de sa famille et de l'auteur.

Et Robert Füeg dans cette histoire ?

Quant à Robert Füeg, grâce aux archives des témoignages au procès de Max, son petit-fils a appris qu'il n'a en fait travaillé que sur les gazogènes destinés aux particuliers. Contrairement à ce qu'il racontait, il n'a jamais entretenu ni vendu de camions à l'armée allemande. 

Jean-François Füeg a compris aussi, par le témoignage de personnes qui l'avaient fréquenté, que son grand-père n'était pas un salaud, mais tout simplement quelqu'un qui aimait raconter des histoires et qui aimait mentir...

Découvrez ici les nombreuses anecdotes que raconte Jean-François Füeg.

Son livre Robert Füeg n’est pas un salaud est publié aux Editions Territoires de la Mémoire.

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