Belgique

Quelles seront les conséquences de la loi anti-blanchiment sur le marché de l’art en Belgique ?

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Ce jeudi, la Belgique a restitué à l’Egypte deux statuettes qui avaient été pillées en 2015 et qui étaient exposées dans une galerie bruxelloise. Cette affaire repose la question des trafics et opérations de blanchiment d’argent dans le secteur de l’achat et de la vente d’œuvres d’art et d’antiquité.

Cependant, en Europe et en Belgique, en particulier, les règles se durcissent pour encadrer les transactions sur le marché de l’art. L’objectif est la recherche de transparence et la lutte contre le blanchiment d’argent.

En Belgique, une législation pour mieux encadrer les transactions autour des œuvres d’art

Au SPF Economie, on le confirme, "le secteur de l’art peut être un secteur à risque pour le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme", explique Etienne Mignolet, porte-parole du SPF Economie. Par exemple, le pillage d’œuvres dans les territoires occupés constitue une source de financement pour le mouvement terroriste Etat islamique.

On constate aussi que Bruxelles est une place importante du marché de l’art. Les autorités européennes ont appelé les États membres à plus de vigilance et à adopter des législations plus strictes. "Depuis trois ans, l’inspection économique fait des contrôles souvent sous la houlette du Parquet de Bruxelles, qui pilote ces dossiers dans le secteur de l’art. Il y a une vingtaine de dossiers d’instructions ouverts, qui sont en cours", confirme Etienne Mignolet.

La nouveauté, c’est que les marchands d’art seront prochainement soumis à certaines exigences. En juillet 2020, la loi anti-blanchiment, qui datait de 2017, a été remaniée pour inclure des secteurs comme le football ou celui de l’art. Les marchands d’art devront s’enregistrer pour cette fonction auprès de la Banque Carrefour des entreprises et devront prendre des mesures préventives pour limiter les risques de blanchiment et de financement du terrorisme. "C’est par exemple identifier les personnes avec qui ils traitent, disposer de leur identité, faire une analyse de risque par rapport à ces intervenants et par rapport œuvres en question, pour essayer de vérifier qu’ils ne sont pas face à des trafics d’œuvres volées, par exemple", précise Etienne Mignolet. S’ils ont un doute, les marchands d’art devront avertir la CTIF, la Cellule de Traitement des Informations Financières.

"Le fait qu’on ait maintenant des obligations d’identification d’origine des fonds auprès des acteurs du marché, c’est une manière de nettoyer, en quelque sorte, le milieu et en tout cas, c’est une manière de responsabiliser les acteurs du marché", analyse Me Alexandre Pintiaux, avocat spécialisé dans le droit des arts et des industries culturelles et créatives. Mais celui-ci nuance, "quand vous regardez dans la pratique le nombre d’acteurs du marché qui ont entendu parler de cette législation et des obligations d’identification qu’ils ont, etc, je ne suis pas convaincu que tous les acteurs du secteur savent avec précision ce qu’ils doivent faire", estime Me Alexandre Pintiaux, en se basant sur les contacts qu’il a avec des opérateurs du secteur.

L’impression est confirmée par Francis Maere, galeriste et antiquaire à Gand."Les modalités à suivre ne sont pas encore très nettes, très claires pour notre métier. On attend une proposition définitive du SPF Finances", explique Francis Maere. Si, selon lui, il était déjà fréquent dans le secteur de vérifier l’identité d’un acheteur, avec le nouveau dispositif "cela devient un peu plus compliqué et cela met une certaine contrainte dans les affaires", notamment parce qu’il faudra conserver les données des transactions.

Par ailleurs, Francis Maere rappelle l’existence de la législation qui limite les paiements en cash à 3000 euros. Cela aurait déjà contribué à assainir le secteur.

Le marché de l’art un marché à risque ?

Si la nouvelle loi anti-blanchiment a pour but d’assainir de nombreux secteurs dont celui de l’art, tous les problèmes ne seront pas forcément réglés du jour au lendemain. "Le marché de l’art reste un marché dans lequel quelqu’un qui achète une œuvre va prendre un risque, ne serait-ce que par rapport à l’authenticité", rappelle Me Alexandre Pintiaux.

Par ailleurs, si la Belgique et, de manière générale, l’Europe adoptent des législations plus strictes contre le blanchiment, d’autres régions du monde n’avancent pas au même rythme. Des irrégularités pourraient donc toujours être commises dans d’autres régions du monde avec des conséquences parfois difficiles à déceler en Europe. "Imaginons qu’une œuvre soit vendue après tout un parcours qui a pour but de la blanchir. Elle atterrit aux Etats-Unis et est ensuite revendue à un marchand en Belgique. On est entre deux personnes qui sont a priori des professionnels en qui on peut raisonnablement avoir confiance", imagine Me Alexandre Pintiaux, pour qui "on ne peut pas exclure qu’il y ait encore des œuvres problématiques qui atterrissent en Europe", car "Les œuvres transitent à travers le monde et c’est cet élément qui a tendance à noyer le poisson et qui fait que l’origine illicite se retrouve diluée ou blanchie".

Dès lors, la prudence s’impose. Les acteurs du marché de l’art en Europe ne sont pas à l’abri des surprises. "Cela arrive, il y a eu des cas connus. Il faut être très méfiant, il faut se préparer", confirme le galeriste Francis Maere.

L’inspection économique est chargée des enquêtes dans le secteur. Comme on l’a dit, certains dossiers ont atterri au Parquet de Bruxelles. "Les galeristes ne sont pas toujours forcément au courant. Ils peuvent très bien, eux aussi acheter de bonne foi", explique Etienne Mignolet, porte-parole du SPF Economie. "Mais on a vu des pratiques plus problématiques où on essayait spontanément de cacher l’origine de certaines œuvres parce que c’était des origines douteuses ou on faisait passer des œuvres de galeries en galeries pour essayer de semer un peu le doute sur des œuvres qui seraient sorties de pays de manière illégale", poursuit Etienne Mignolet.

Ce qu’on cherchera à vérifier c’est d’abord dans quelle mesure le consommateur est trompé sur l’origine des œuvres qu’il achète. Ensuite, il y a l’aspect blanchiment d’argent et financement de réseaux criminels via ces transactions qui doit être recherché, explique-t-on au SPF Economie.

 

La Belgique restitue à l’Egypte 2 statuettes volées en 2015 : JT 30/09/2021

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