A la veille de grandioses cérémonies qui se dérouleront du 4 au 6 mai en Thailande, le roi Maha Vajiralongkorn est l'objet de toutes les attentions depuis plusieurs semaines, lui qui vient très récemment de se remarier pour la quatrième fois avec sa compagne de longue date, désormais élevée au titre de reine Suthida.
Au pouvoir depuis deux ans, ce n'est que demain qu'il sera officiellement déclaré comme le dixième roi de Thaïlande. Mais derrière ce prochain couronnement et les cérémonies durant lesquelles plus de 200.000 personnes sont attendues, se cache un homme aux multiples facettes.
Un homme "inquiétant"
Maha Vajiralongkorn, aussi connu sous le nom de Rama X, est le dernier descendant de la dynastie des Chakri régnant sur l’ancien Siam depuis 1782. Fils du vénéré Bhumibol Adulyadej qui régna 70 ans dans une très grande instabilité politique, il est un souverain à la vie privée tumultueuse, épris de loisirs et d'aviation, mais aussi un habile tacticien, fin connaisseur des forces armées à la tête du pays.
Monté sur le trône en décembre 2016 après le décès de son père mais sans cérémonie formelle de couronnement, il est aujourd'hui l'un des monarques les plus riches du monde.
"Depuis la première seconde de ma vie, je suis un prince. Il est difficile de dire ce que cela fait d'être un poisson quand on est un poisson, un oiseau quand on est un oiseau", relevait-il en 1979 à la BBC, dans un rarissime entretien à des journalistes.
"Il n'est pas impulsif mais peut se montrer colérique, supportant difficilement que son autorité soit remise en question", souligne, sous couvert d'anonymat, un homme d'affaires thaïlandais ayant travaillé pour le palais. "Il reste difficile à cerner. Cette grande part de mystère qu'il cultive le rend lointain et parfois inquiétant", ajoute-t-il.
Ses frasques ont été largement diffusées dans les médias étrangers. Le journal allemand Bild avait notamment publié à plusieurs reprises des photos de lui dans des tenues très peu protocolaires.
Le roi a sept enfants, mais a renié quatre de ses fils. Ses supposés caprices et son penchant pour l'alcool, sa réputation sulfureuse ou encore la répudiation de certaines de ses précédentes femmes et maîtresses sont connues. Celles-ci restent toutefois tabou dans ce pays d'Asie du Sud-Est où le crime de lèse-majesté est passible d'années de prison.
Il devra désormais s'afficher comme le protecteur spirituel de son peuple et le symbole de l'unité du pays, qui a connu douze coups d'Etat depuis 1932.
Un réformateur
Depuis son accession au pouvoir, Maha Vajiralongkorn, aujourd'hui âgé de 66 ans, n'apparaît que très rarement en public, contrairement à son père qui visitait sans relâche les provinces du royaume et dont les discours annuels étaient des événements politiques attendus et disséqués.
Les absences répétées de Maha Vajiralongkorn ne l'empêchent toutefois pas d'être très investi dans les affaires de la monarchie, qu'il a profondément remodelée depuis 2016. "Il intervient dans la politique de façon beaucoup plus directe que son père", relève Eugénie Mérieau, spécialiste de politique thaïlandaise, qui le décrit comme "intransigeant".
Maha Vajiralongkorn a par exemple fait adopter une loi lui donnant un pouvoir total sur le Crown property bureau (CPB), qui gère la fortune royale. Il nomme désormais l'ensemble des membres le supervisant. Auparavant, le ministre des Finances siégeait au conseil, assurant un semblant de contrôle de la part du gouvernement.
Le CPB n'est pas tenu de publier des chiffres officiels, mais les analystes estiment qu'il administre entre 30 et 60 milliards de dollars d'actifs, ce qui fait de la monarchie thaïlandaise l'une des plus riches du monde.
Par ailleurs, le roi est devenu à titre personnel premier actionnaire de la Siam Commercial Bank (23% des parts) et de la Siam Cement Company (33%), plus grand cimentier du pays, deux participations qui représentent à elles seules plusieurs milliards de dollars.
Il a également fait modifier la nouvelle Constitution de 2017 et a obtenu de supprimer le droit de regard du gouvernement sur certaines proclamations royales.
Un "réorganisateur"
"L'un des changements les plus frappants est la réorganisation de la maison royale", relève Michael Vatikiotis, directeur Asie de l'ONG Centre du dialogue humanitaire.
Depuis son accession au trône, Rama X a également renvoyé un certain nombre de puissants fonctionnaires du palais de l'époque de son père pour "malversations".
Plusieurs personnes dans son entourage même ont été limogées ou emprisonnées, accusées de s'être servi de leur lien privilégié avec lui pour leur bénéfice personnel. Certaines d'entre elles sont décédées en prison ou ont disparu. De plus, de nombreux opposants politiques disparaissent régulièrement ou sont retrouvés morts.
Rama X est parvenu à ce qu'il n'y ait pas de régent et que personne ne puisse signer des décisions en son nom lorsqu'il est à l'étranger. Un symbole fort alors même qu'il séjourne de manière prolongée en Bavière où il possède plusieurs résidences.
Il a enfin renforcé sa sécurité en quadruplant le nombre de policiers d'élite destinés à le protéger avec sa famille. Ils seront désormais plus de 1.600 hommes d'ici 2023.
Un habile tacticien
Maha Vajiralongkorn est également intervenu par deux fois pendant la campagne des législatives, en opposant une fin de non-recevoir à la candidature de sa sœur au poste de Premier ministre pour un parti lié à la bête noire de la junte au pouvoir, le milliardaire en exil Thaksin Shinawatra.
A la veille du scrutin, sans donner des consignes de vote, ce que sa fonction lui interdit, il a aussi exhorté les Thaïlandais à "soutenir les bonnes personnes" pour "empêcher le chaos", une déclaration perçue par les analystes comme un soutien aux militaires.
Maha Vajiralongkorn entretient d'ailleurs une relation privilégiée avec l'armée. Après des études secondaires en Grande-Bretagne, il a étudié à l'Académie militaire de Duntroon, en Australie, pilotant hélicoptères et avions de chasse avant d'être promu général à titre honorifique.
"Le roi s'est montré très adroit dans la gestion de l'armée", estime Paul Chambers, spécialiste de politique thaïlandaise à l'Université de Naresuan, dans le nord du pays.
Il a modifié les équilibres entre les différentes factions, affaiblissant la division des "Gardes de la Reine", dont sont issus les chefs de la junte, au profit d'une branche concurrente, les "Gardes du Roi". Rama X a choisi en 2018 le nouveau chef de l'armée, Apirat Kongsompong, au sein de cette division.
A noter que les militaires ont d’ailleurs alloué plus de 27 millions d'euros pour ces cérémonies du couronnement, régies par des us et coutumes séculaires, qui débuteront demain à Bangkok.