Santé physique

Qui sont ces hommes qui lèvent la main sur leur partenaire ? "C’est quelqu’un qui peut nous ressembler"

Mathieu Palain nous propose un face-à-face avec les auteurs et les victimes de violences faites aux femmes. Pour mieux comprendre ce phénomène, il a mené une enquête de quatre ans qu’il a déclinée dans le livre Nos pères, nos frères, nos amis aux éditions "Les Arènes". Après son passage dans l’émission de Pascal Claude Dans quel monde on vit, il est l’invité de Jérôme Colin dans Entrez sans frapper et de Julie Morelle pour Déclic.

Mathieu Palain s’est immergé dans un groupe de parole réunissant des hommes condamnés pour violences faites aux femmes. Il s’est également rendu dans une Maison des femmes, à des auditions judiciaires, et a eu accès à des témoignages d’auteurs et de victimes pour explorer les violences conjugales masculines.

Je suis là parce que j’ai un problème, je frappe ma femme et j’aimerais ne plus la frapper.

Cette phrase, Mathieu Palain s’attendait à l’entendre dès ses premières rencontres avec des hommes violents qui participent à des groupes de parole. Ces hommes qui ont été déclarés coupables par la Justice, et condamnés pour leurs actes, sont pourtant dans le déni. En quatre ans d’enquête auprès d’hommes violents et de victimes, il n’y aura au final que… deux hommes qui admettront leur responsabilité.

"Je vois ce déni comme une structure identitaire. Comme une colonne vertébrale autour de laquelle ils se construisent. Anéantir ce déni serait accepter de s’effondrer. Ils disent qu’ils ne sont pas des hommes violents, que depuis MeToo, les femmes ont le pouvoir et se vengent, ils en sont la preuve".

Au fil des semaines, il apprend à les connaître et s’étonne lui-même. Ce ne sont pas des monstres, juste des 'Messieurs Tout le monde'.

Femme menacée de coups par un homme
Femme menacée de coups par un homme © Getty images

Dans le miroir de la culpabilité, des hommes d’apparence tranquille

Quelqu’un d’intelligent, de drôle, de sympa… et de violent. Ces quatre adjectifs-là ne sont pas incompatibles.

"Comme je n’y connaissais rien, j’avais cette image de quelqu’un d’un peu bas de plafond, de moins éduqué que moi, qui ne me ressemble pas" témoigne Mathieu Palain. "Certes, ils ont commis des actes abominables, mais c’est important de sortir les hommes violents de cette représentation monstrueuse, pour admettre que l’homme violent c’est quelqu’un qui peut nous ressembler ! Peut-être quelqu’un qu’on aime lorsque c’est un père, un frère, un ami, quelqu’un d’inséré dans la société qui peut être quelqu’un d’intelligent, de drôle, de sympa… et de violent ! Ces quatre adjectifs-là ne sont pas incompatibles".

Des chiffres à multiplier par cinq

En Belgique, Amnesty International a recensé 45.000 dossiers enregistrés par les parquets sur l’année écoulée. Or il apparaît que seulement une victime sur cinq porte plainte. Tous les milieux sociaux sont touchés, mais les condamnations sont concentrées principalement dans les milieux plus populaires. La crainte de porter plainte, de ne pas être entendue, des représailles et de tout perdre empêchent certaines de pousser la porte d’un commissariat. Les divers confinements Covid ont exacerbé le phénomène, avec le mérite de remettre en avant la problématique. Sur les six dernières années il y a eu 174 féminicides en Belgique. Des meurtres qui peuvent depuis octobre 2022 porter cette appellation grâce à un projet de loi-cadre visant à doter la Belgique d’un ensemble d’instruments de protection des victimes de féminicides et de mesure de ces crimes.

La future législation définit la notion de féminicide officiellement, permet de collecter des données statistiques, améliore les droits et la protection des victimes et prévoit de former la police et les magistrats.

Si vous êtes vous-même victime, vous pouvez vous adresser pour de l’assistance à Ecoute violences conjugales : 0800 30 030.

Pourquoi ces mecs frappent ? Parce qu’ils se sentent autorisés à le faire, socialement.

C’est tout un système sociétal et l’héritage de siècles de patriarcat qui insidieusement mènent à une violence systémique. La domination masculine est inculquée dès le plus jeune âge. Jusqu’à il y a peu, la société patriarcale nommait l’homme comme le chef de la famille, ce qui le plaçait au-dessus de sa femme et de ses enfants. Ce n’est qu’e 1978 que les époux ont été reconnus comme égaux devant la Loi. Il y a 40 ou 50 ans d’ici la violence conjugale était taboue mais silencieusement acceptée. Le contexte familial a toute son importance, comme pour cet homme qui raconte avoir pleuré lorsqu’il s’est retrouvé en garde à vue pour les mêmes faits que son père par rapport à sa mère. Alors qu’il s’était juré de ne jamais lui ressembler. La violence est quelque chose que l’on intègre en y étant exposéMathieu Palain a dû complètement revoir le portrait qu’il se faisait des hommes violents, et n’a pas hésité à se remettre en question lui-même.

"Je pensais que c’était des mecs qui pétaient les plombs. Or je crois que la violence est sous-jacente et que de temps en temps elle s’exprime de manière physique. A quel moment la violence est-elle entrée dans votre vie pour qu’elle devienne banale et que vous la saisissiez pour régler vos conflits ?"

Il y a déni chez ces coupables, et déni de toute la société : les clivages commencent à l’école, les petites filles doivent être gentilles et sourire à tout le monde, déjà soumises. Les gamins reçoivent des modèles qui font référence à la supériorité et la compétition. La domination, c’est la violence, donc il faut arriver à apprendre l’égalité dès le plus jeune âge. Apprendre à instaurer du lien de qualité, apprendre à écouter, apprendre à parler. La capacité à accepter que l’autre à raison, ne pas voir le ou la voir comme un adversaire, car c’est alors un rapport de force et de domination.

► A écouter aussi, l’intervention de Mathieu Palain dans l’émission 'Dans quel monde on vit' avec Pascal Claude et Myriam Leroy et dans Déclic avec Julie Morelle.

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous