Rapport indépendant sur les inondations : "Il y a peu de cultures du risque dans beaucoup de localités"

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Par Adeline Louvigny

Ce 11 octobre à 11h a été présenté le premier volet du rapport des experts indépendants à propos des inondations de juillet en Belgique, qui ont durement touché les provinces de Liège et Namur. C’est le ministre wallon du Climat, Philippe Henry, qui a souhaité faire appel à des experts indépendants pour qu’ils analysent le déroulement des événements et examinent les décisions qui ont été prises, notamment la manière dont les barrages ont été gérés, et fassent des recommandations. Ce rapport se fait en parallèle de la Commission d’enquête parlementaire en cours au parlement de Wallonie.


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Pour établir le diagnostic des événements lors de ces inondations, plusieurs types de données ont été récoltés : bien évidemment, les données hydrologiques, météorologiques et hydrauliques, mais aussi des observations de terrain, ainsi que des témoignages issus de consultations citoyennes, administratives et des gestionnaires de barrage.

Cet article détaille la partie concernant la gestion des risques et de crise, analysée par l’équipe du centre de recherches SPIRAL. Les autres parties de l’étude font part des conclusions d’une consultation citoyenne des victimes des inondations et s’intéressent aux diagnostics météorologique, hydraulique et hydrologique des événements.

"Peu de cultures du risque" dans certaines localités

Inondations en Belgique : les constatations du laboratoire SPIRAL de l'ULiège

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En termes de gestion des risques d’inondation par les gestionnaires compétents, plusieurs constatations de l’équipe de Catherine Fallon, du centre de recherches SPIRAL de l’ULiège.

"En matière d’identification des risques au niveau des barrages, on peut dire qu’il n’y a pas vraiment de cadre légal qui impose certains modes de gestion et de sécurité, et qui imposent cette identification des risques. Ce n’est que depuis 2018-2019 qu’un premier plan interne d’urgence a été mis en place, et transmis aux gouverneurs", explique Catherine Fallon.

"Par contre, le comité belge des grands barrages, qui rassemble des scientifiques et les gestionnaires de barrage, a établi en 2016 des cartes d’inondations en cas de défaillance des grands barrages. Depuis un an, la direction des barrages réservoirs est clairement engagée dans une réflexion en termes de planification d’urgence."

Le groupe de travail inondation, GTI, est l’instance la plus active dans l’estimation des risques d’inondation sur le territoire wallon. "Ils sont très engagés dans l’analyse des risques d’inondations, ils contribuent à alimenter tout le système Infocrue, ils produisent des plans… Mais la question que je me pose, c’est que fait-on de ces plans ? Ils ont une valeur indicative plutôt que prescriptive, et cette question est donc ouverte. L’autre question que l’on pose, c’est l’organisation de ce GTI : il y a très peu de relations avec les gestionnaires de crises, les pouvoirs locaux et les services de secours, qui seront pourtant les premiers à devoir se référer à ces plans."

SPIRAL a également constaté "peu de cultures du risque dans beaucoup de localités, peu d’investissements en matière de planification d’urgence, dans les compétences des planificateurs d’urgence au niveau local, alors qu’elle est très importante : car en faisant ces plans, on crée des réseaux avec les services d’urgence, et avec les gestionnaires des risques locaux, d’usine Seveso ou de maisons de repos, par exemple."

Un problème de communication entre les acteurs en début de crise

La première question abordée est : comment passe-t-on de la vigilance à l’alarme, qui fait que l’on met en place des procédures d’action ? "Le modèle actuel, est-ce qu’il a vraiment 'alarmé' à temps, c’est-à-dire fait monter les acteurs de terrain à temps ? L’alarme crue de la Vesdre a été émise à 6h du matin le 14 juillet, alors que déjà, on avait évacué certains bâtiments, qu’Infrabel avait déjà fermé une ligne ferroviaire depuis une heure du matin. Il y a vraiment un problème de communication entre les acteurs au tout début de la crise, on a largement dépassé ce qui était prévu."

Catherine Fallon rappelle que ce genre de situation n’est pas inhabituelle : "Les services d’urgence et d’intervention ont l’habitude de se dire que chaque crise est différente. Mais ici il y a vraiment eu une absence de communication au tout début, ce qui aurait pu aider à la prise de conscience du fait que ce n’était pas une crise comme une autre."

Au niveau communal, la gestion de crise a été très difficile, car il y a eu une saturation très rapide des services de secours. "Surtout, ils ont eu un énorme problème en termes de communication de crise, surtout envers les habitants : les tenir au courant, ou être tenu au courant, je parle de crise in et out."

C’est vraiment un problème de crise de la communication au niveau local qui a été constaté par le centre de recherches. "Beaucoup de communes n’ont pas d’abonnement au service Be-Alert, pas de maîtrise de ce service, qui est un outil officiel pour faciliter la communication de crise. Et aussi, peu de mobilisation des réseaux sociaux par ces communes, afin de comprendre ce qui se passe sur les terrains et informer."

Concernant les services du SPW, qui intervenaient en posture d’experts pour aider les gestionnaires de crise à la décision, "ils ont très peu de liens avec les pouvoirs locaux, notamment opérationnels."

Le rapport des experts indépendants sur les inondations de juillet en Belgique

Le premier volet de cette enquête concerne l’analyse de ce qu’il s’est passé lors des intempéries de la mi-juillet : quel a été le déroulé des événements, quelles décisions ont été prises, étaient-elles des bonnes décisions ? La gestion des voies hydrauliques et des barrages qui sont particulièrement décriés. Le ministre Henry a insisté pour que soient pris en compte les vécus et observations sur le terrain, par les riverains touchés par les inondations : des témoignages seront donc présents dans ce rapport. "Leurs témoignages comptent énormément, c’est essentiel de savoir comment ont été vécus ces événements".

Les auteurs et auteure principaux de ce premier volet du rapport sont Thomas Michaud du bureau Suisse Stuky, chef-adjoint du département eau et environnement, Catherine Fallon, professeure responsable au centre de recherche interdisciplinaire SPIRAL, qui porte sur la gestion des risques et l’analyse et l’évaluation des politiques publiques et Jacques Teller, professeur d’urbanisme à l’ULiège, qui dirige le laboratoire LEMA (Local environment management and analysis).


Ce premier volet du rapport est disponible ici sur le site du ministre du Climat Philippe Henry


Le deuxième volet du rapport, attendu pour la mi-novembre, a demandé à des experts indépendants une analyse globale des services hydrauliques, de la manière de gérer ces infrastructures, et de formuler des recommandations pour le renforcement de la prévention et l’amélioration de la gestion des voies hydrauliques et des ouvrages comme les barrages. "Ce travail est encore en cours de réalisation" a annoncé le ministre.

La présentation complète du premier volet du rapport :

Inondations en Belgique : l'intervention complète des experts indépendants

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