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Recensement, code pénal : quels sont les enjeux actuels autour des féminicides ?

Une femme marche devant un mur recensant les noms des femmes tuées à Marseille en 2021, une action du groupe Collages Feminicides Marseille.

© AFP

Le numéro gratuit pour les victimes de violences conjugales est le 0800 30 030.

La Belgique comptabilisait au moins 25 féminicides pour l’année 2020. Mais pour le blog StopFéminicide, le décompte s’élève en réalité à 26 féminicides.

Faute de statistiques officielles fournies par les institutions, ce fastidieux recensement était effectué sur ce blog par des bénévoles issues d’associations féministes telles que l’asbl Garance. Depuis trois mois, une coordinatrice a pu être engagée par la Plateforme féministe contre les violences faites aux femmes pour travailler entre autres sur le blog StopFéminicide qui revoit donc en ce moment ses chiffres à la hausse.

Un travail vient en effet de débuter à partir "des morts suspectes" de femmes ces dernières années qui n’étaient pas comptabilisées comme des féminicides : "Je redécouvre d’anciens féminicides qui n’étaient pas nommés comme tels. Cela demande pas mal de recherches que les bénévoles n’avaient pas pu faire auparavant, car elles travaillaient sur leur temps libre, avec toute la charge émotionnelle qu’implique une activité comme celle-ci. Elles ont fait un travail incroyable en 5 ans", explique Aline Dirkx. Le recensement des féminicides a commencé en 2017, année pour laquelle au moins 43 féminicides ont été comptabilisés.

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Différents types de féminicide

"Il faut dire aussi que parfois les articles des faits divers ne donnent pas assez de détails, ou qu’il faut attendre un procès pour pouvoir qualifier un meurtre de féminicide. On a seulement une vision partielle des féminicides et c’est frustrant parce que pour certaines femmes, on n’aura jamais la réponse. J’ai lu tellement d’articles", poursuit la coordinatrice.

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Pour Aline Dirkx, le recensement est compliqué parce que le féminicide est encore étroitement lié – et donc restreint – à la sphère conjugale. "Oui, nombre de féminicides sont le fait d’un conjoint ou d’un ex-conjoint… mais pas tous ! Le dernier féminicide que j’ai découvert est celui de Christine qui a été brutalement violée et tuée lors d’un vol. Cela lui est arrivé parce qu’elle est une femme. C’est donc un féminicide aussi, car cela fait partie du système de domination qui pèse sur les femmes", explique-t-elle.

Il faut des chiffres officiels, et pour cela une mobilisation des autorités policières et judiciaires, afin de recenser tous les féminicides commis en Belgique

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L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) catégorise d’ailleurs le féminicide en 4 types, dont le féminicide intime, c’est-à-dire un crime commis par un partenaire ou un ex-partenaire (cela concerne 35% de l’ensemble des meurtres commis sur les femmes dans le monde, selon l’OMS), mais également le féminicide non intime, défini comme un crime commis par une personne qui n’a pas de lien intime ou familial avec la victime mais qui la vise de cette façon parce qu’elle est une femme.

Des exemples de féminicide non intime peuvent être trouvés lors des tueries commises par les masculinistes "Incel", ou encore plus loin dans l’histoire, en 1989, lorsque Marc Lépine entre dans l’école polytechnique de Montréal. Il abat 14 femmes et blesse 14 autres personnes car il estimait que les femmes qui apprenaient l’ingénierie volaient la place des hommes dans la société.

Une vision plus claire

Pour avoir une vision plus claire de la réalité des féminicides, plusieurs propositions politiques ont récemment émergé en Belgique. En 2021, la secrétaire d’État à l’Égalité des Genres Sarah Schlitz (Ecolo) inscrivait le recensement officiel des féminicides dans son Plan d’action national contre les violences de genre.

Le PS de son côté a annoncé ce 23 septembre dans un communiqué vouloir un Observatoire des féminicides. Pour la députée socialiste Chanelle Bonaventure, co-autrice de la résolution, "pour mieux lutter contre les féminicides, il faut déjà bien les nommer et mieux les définir. Actuellement, c’est un blog très bien fait d’initiative citoyenne qui recense les féminicides en Belgique en se basant sur des articles de presse. Mais il faut des chiffres officiels, et pour cela une mobilisation des autorités policières et judiciaires, afin de recenser tous les féminicides commis en Belgique. Il est donc urgent, comme l’Espagne le fait, que les pouvoirs publics mettent en place un Observatoire des féminicides."

Une proposition de résolution visant à permettre le recensement officiel des féminicides et la création d’un tel observatoire en Belgique a depuis été déposée à la Chambre.

Je redécouvre d’anciens féminicides qui n’étaient pas nommés comme tels

Dans le code pénal ?

Autre dossier politique en cours : celui de l’inscription du féminicide dans le code pénal. "Nous avons été le premier parti a déposé un texte en ce sens, en 2019", réagit Sophie Rohonyi (DéFI). "Il est essentiel que le code pénal reflète que les femmes courent plus de risque d’être tuées en raison de leur sexe. Il s’agit d’un véritable phénomène qui montre que notre société est encore sexiste et patriarcale. Cela commence par des violences économiques, des coups et des blessures, jusqu’au féminicide. Il faut conscientiser sur le sujet au continuum des violences faites aux femmes", souligne la députée fédérale. "Il y a déjà eu une prise de conscience grâce au travail fondamental effectué sur le blog StopFéminicide qui a permis de visibiliser les victimes, mais c’est à l’État de faire ce travail. Cela nous est demandé par la Convention d’Istanbul, ratifiée par la Belgique en 2016. Pour recenser les féminicides de la meilleure manière, il faut prévoir un chef d’inculpation spécifique."

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Aline Dirkx, coordinatrice de la plateforme contre les violences faites aux femmes, n’en est pas convaincue. "J’ai l’impression qu’inscrire le féminicide dans le code pénal, cela signifie choisir uniquement la répression, c’est-à-dire choisir une voie individuelle contre un problème qui est sociétal, systémique. Il faut des mesures de prévention, avant que les féminicides ont lieu, c’est plus urgent. Il existe déjà une circonstance aggravante si on tue une femme en raison de son sexe. Il est important de reconnaître le féminicide au niveau institutionnel mais pourquoi nécessairement dans le code pénal ?", questionne-t-elle.

"Oui, ce n’est pas la panacée, et cela devrait être accompagné d’autres mesures plus larges, notamment de prévention comme la Convention d’Istanbul nous l’impose, mais il est également important symboliquement d’inscrire le féminicide dans le code pénal selon moi : le message de la société envers le féminicide sera plus clair et, avec la dimension statistique, cela nous permettra d’adopter des mesures plus ciblées", répond Sophie Rohonyi. "Je précise aussi que nous ne voulons pas consacrer les inégalités dans le code pénal, comme cela nous a déjà été rétorqué par des acteurs du monde judiciaire, nous voulons combattre les inégalités. Le crime de parricide et d’infanticide ont bien été ajoutés au code pénal malgré le fait qu’ils existaient sous la forme de circonstance aggravante."

Il est essentiel que le code pénal reflète que les femmes courent plus de risque d’être tuées en raison de leur sexe

Cette inscription pourrait avoir lieu car une réforme du code pénal est en cours, "par bloc" (la partie concernant les infractions sexuelles ayant déjà été adoptée, non sans questionnements du côté des associations féministes). Cependant, "quelque chose m’embête et me fait dire que nous sommes loin d’y arriver", précise Sophie Rohonyi.

"La ministre de l’Égalité des Genres Sarah Schlitz nous a annoncé en commission que l’avant-projet de loi relatif à la prévention du féminicide allait bientôt pouvoir être discuté au parlement. De l’autre côté, le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne explique que les experts chargés de la réforme ne veulent pas de l’inscription du féminicide dans le code pénal. Je trouve qu’il faut être clair auprès des parlementaires, d’autant plus que notre proposition de loi, ainsi que celle du PS, visant à faire entrer le féminicide dans le code pénal ont été jointes aux travaux du gouvernement concernant cette réforme. Il ne faudrait pas nous prendre en otage, il faut être honnête avec nous !", explique-t-elle.

Rien que pour l’année 2022, au moment d’écrire ces lignes, on comptabilisait au moins 17 féminicides en Belgique. Le temps d’éditer cet article, le décompte a augmenté : au moins 18 féminicides sont désormais comptabilisés.

Féminicides : Un bilan très lourd cette année – Archives JT 2021

Féminicides : Un bilan très lourd cette année

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