Belgique

Réformer le deuxième pilier de pension : l’une des pistes pour réduire le coût de la réforme des pensions

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Par Jean-François Noulet, avec R. Crivellaro et Belga

Le gouvernement doit s’atteler dans les prochains jours à une nouvelle réforme des pensions. Ces dernières années, il a déjà pris deux décisions en la matière : augmenter le montant de la pension minimum et introduire un bonus pension pour inciter les travailleurs à repousser l’âge de leur départ à la retraite.

Le problème, c’est que ces deux réformes coûtent de l’argent et sont dans le viseur de la Commission européenne. Celle-ci doit verser à la Belgique plusieurs milliards d’euros dans le cadre du Plan de relance européen post-Covid. L’Europe a mis des conditions. Une partie des fonds de ce plan ne serait pas versée à la Belgique si la réforme des pensions n’est pas neutre budgétairement.

C’est donc une série de réformes que la ministre des Pensions va proposer au gouvernement. Il est question de limiter certaines dépenses en matière de pensions en plafonnant, par exemple, les bonus pensions pour les plus gros salaires, en limitant la péréquation des pensions des fonctionnaires. Il est aussi question de dégager des nouvelles recettes. L’une des pistes serait de revoir la taxation du deuxième pilier de pension en augmentant la fiscalité sur les plus gros bénéficiaires du système.

Qu’est-ce que le deuxième pilier ?

Rappelons d’abord ce qu’est le premier pilier. C’est la pension légale, payée par l’Etat, calculée en fonction du nombre d’années de travail, du salaire et du statut (salarié, indépendant, fonctionnaire).

Le deuxième pilier, c’est une pension complémentaire. Elle n’est pas obligatoire. Elle est financée par les entreprises pour leurs salariés ou leurs dirigeants. Un indépendant peut également se constituer une telle pension complémentaire.

Dans le cas d’une entreprise qui organise un deuxième pilier de pension pour son personnel, l’employeur provisionne chaque mois un montant qui sert à financer une assurance-groupe. Lorsqu’il prend sa pension, le travailleur reçoit le montant assuré, soit sous la forme d’un capital versé en une fois, soit sous la forme d’une rente. Ce deuxième pilier de pension est fiscalement intéressant, tant pour l’entreprise que pour le travailleur. Il a été mis en place pour compenser la faiblesse des pensions légales.

Ce deuxième pilier de pension n’est pas à confondre avec le troisième pilier. Dans ce dernier, on trouve les épargnes pension individuelles auxquelles les particuliers peuvent souscrire, par exemple auprès d’une banque ou d’une compagnie d’assurances.

Qui bénéficie d’un deuxième pilier de pension ?

Selon les dernières statistiques officielles du SPF pension, en 2022, 4,125 millions de salariés et d’indépendants étaient affiliés à un plan de pension complémentaire. Cela représente 74% de la population active. On compte une plus grande part d’hommes (80%) que de femmes (68%) bénéficiant d’un deuxième pilier de pension au sein de la population active.

Parmi ces bénéficiaires, on compte 3,7 millions de salariés et 609.333 indépendants.

Actuellement, la moyenne des réserves qui ont été versées est de 24.500 euros. Il y a cependant de grosses disparités entre hommes et femmes. La moyenne des réserves pour les hommes est de 30.058 euros contre 16.837 euros pour les femmes.

Derrière ces moyennes se cachent d’autres disparités entre ceux qui partent avec un petit bas de laine et ceux, plus rares, qui bénéficient d’un montant plus conséquent.

Si l’on prend les 56-65 ans, la tranche d’âge la plus proche de celle de l’âge de la pension, on constate que la réserve moyenne acquise par les bénéficiaires d’un deuxième pilier est de 61.790 euros. Mais une grande partie des travailleurs concernés est loin de partir à la pension avec un montant complémentaire de cet ordre. En effet, les statistiques du SPF Pension montrent que chez les 56-65 ans, la moitié des bénéficiaires d’un deuxième pilier dispose d’une réserve inférieure à 10.133 euros.

De manière générale, on considère ainsi qu’1% des retraités empochent 20% du total des pensions complémentaires constituées et que 70% des retraités se partagent 10% du total de l’argent épargné.

Quelle réforme est proposée ?

La ministre des Pensions propose de modifier la taxation du capital versé au bénéficiaire d’un deuxième pilier.

Actuellement, lorsque la pension complémentaire est versée sous forme de capital, il y a un impôt de 10% à 16,5%. Tout dépend de l’âge de départ à la retraite (au moins 60 ans), du nombre d’années de carrière et si l’on est resté actif durant au moins les trois dernières années. L’impôt est calculé de la même manière pour tout le monde. Pour une même carrière, ce sera, par exemple 10%, qu’on touche un petit montant ou un plus gros.

Il y a donc une différence avec la pension légale dont le taux d’imposition augmente progressivement en fonction du montant des revenus.

La ministre propose de maintenir le taux de 10% pour 96 à 97% des affiliées au second pilier. En revanche, le taux serait plus élevé pour les 3 ou 4% de bénéficiaires d’un deuxième pilier qui touchent les montants les plus élevés, par exemple plusieurs centaines de milliers d’euros. On peut penser, notamment, à des cadres d’entreprises.

Cela dit, d’autres pistes de réforme sont envisageables et pourraient aussi se retrouver sur la table du gouvernement. On pourrait, par exemple, plafonner les montants constitués en deuxième pilier ou rendre l’incitant fiscal moins avantageux.

Premier pilier, deuxième pilier : une vision globale à garder, selon certains

Spécialiste des pensions, Pierre Devolder, professeur de Finances à l’UCLouvain appelle à la prudence. Certes, aujourd’hui, confirme-t-il, "quand on regarde le niveau des provisions, il y a une forte concentration sur des montants très importants pour certains et la grande masse des gens n’a pas beaucoup". Mais si quelques gros contrats viennent à échéance avec des montants élevés, cela s’explique aussi par l’histoire du second pilier de pension. "Dans le passé, le second pilier n’était pas du tout généralisé. Cela concernait essentiellement les cadres", explique Pierre Devolder. "Cela explique pourquoi on peut avoir l’impression que le second pilier est un produit de riches, ce qui n’est pas le cas", ajoute-t-il. Aujourd’hui, le deuxième pilier de pension est davantage généralisé. Plus de travailleurs y ont accès, mais les montants sont en moyenne plus petits qu’avant.

Selon lui, une réforme du deuxième pilier devrait aussi tenir compte du premier pilier. La taxation du deuxième pilier et celle du premier pilier seraient à prendre en considération ensemble.

Il faut se rappeler comment fonctionne le premier pilier, la pension légale. Chaque travailleur cotise en fonction de la totalité de ses revenus professionnels. Par contre, le montant de la retraite qu’il touchera lorsqu’il sera pensionné est plafonné. Et donc, avant de taxer plus lourdement les gros montants que touchent certains au deuxième pilier, il faudrait tenir compte de l’effort qu’ils ont déjà fait en cotisant pour la pension légale. "Ces mêmes personnes cotisent par ailleurs une certaine partie de leur salaire dans le premier pilier sans jamais rien recevoir, puisque les cotisations ne sont pas plafonnées alors que les pensions sont plafonnées", explique Pierre Devolder.

La piste envisagée par la ministre des Pensions de revoir la fiscalité sur le second pilier de pension a fait réagir la FEB. Celle-ci critique plusieurs points du projet de réforme des pensions. Plus particulièrement, les projets de la ministre à propos d’une taxation accrue de la pension complémentaire de manière à faire converger les différents systèmes passent mal aussi auprès des employeurs, qui accusent la socialiste de rompre les engagements pris à propos du deuxième pilier. "Je demande de ne pas rompre l’accord et la confiance dans le deuxième pilier", a réagi Peter Timmermans, l’Administrateur délégué de la FEB.

Par rapport à cette taxation du deuxième pilier de pension, notre rédaction a sollicité l’avis d’un expert en fiscalité. Corentin Minne est Associé chez Pareto Family Office. Il réagit par rapport au chiffre de 10% de taxation sur les seconds piliers sur lequel se base la ministre des Pensions. "A cela viennent s’ajouter des taxes additionnelles, donc en fait, on est plutôt de l’ordre de 15 à 16% et pas à 10% qui n’est la réalité pour personne", estime-t-il. "On a des additionnels communaux qui viennent s’ajouter à ces montants, on a une taxe à l’entrée qui s’ajoute. Donc, au travers du deuxième pilier, on est plutôt dans une taxation globale de l’ordre de 20 à 25%", calcule Corentin Minne. Et, ajoute-t-il, "pour les gros capitaux, on aune taxation additionnelle, la cotisation Wijninckx, qui est une taxe supplémentaire de 3%".

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