Sébastien Ministru vous fait découvrir ou redécouvrir un classique de la littérature – vu et lu à la lumière d’aujourd’hui. Monument des monuments: "Mémoires d’Hadrien" de Marguerite Yourcenar.
Marguerite Yourcenar en quelques mots
Marguerite Yourcenar – née à Bruxelles en 1903, morte en 1987 dans le Maine aux États-Unis où elle a vécu avec sa compagne Grace Frick, sa traductrice en anglais. Yourcenar a été la première femme élue – en 1980, à l’Académie française…
À côté de "L’œuvre au noir" ou d’"Archives du Nord", "Mémoires d’Hadrien" - paru en 1951 - est le livre le plus fameux de Yourcenar. Celui qui lui apporte une renommée mondiale, malgré un sujet difficile.
"Mémoires d’Hadrien", un roman austère ?
"Mémoires d’Hadrien" a cette réputation d’être un roman austère et érudit, mais il ne faut pas être impressionné par l’aura encombrante de ce chef-d’œuvre. C’est souvent l’institution littéraire qui construit ces réputations qui ont tendance à exclure certains lecteurs alors que les livres sont à tout le monde, il suffit de pousser la porte.
C’est ardu au début, "Mémoires d’Hadrien"… Mais avec les grands textes classiques, il faut caler le pied dans la porte et forcer son entrée.
Le livre est une longue lettre d’Hadrien qui a gouverné l’empire romain, lorsqu’il succède à Trajan, mort en 117. Une lettre qu’Hadrien – vieillissant et malade, adresse à Marc Aurèle, son successeur qui n’a que 17 ans. "Mon cher Marc. Je suis descendu ce matin chez mon médecin Hermogène (…) L’examen devait se faire à jeun (…) Je t’épargne des détails qui te seraient aussi désagréables qu’à moi-même (…) Comme le voyageur (…) découvre peu à peu la ligne du rivage, je commence à apercevoir le profil de ma mort." Ainsi démarre la longue – et belle et poétique – confession d’Hadrien dont il dit qu’elle est – je cite - "la méditation écrite d’un malade qui donne audience à ses souvenirs."
Dès le début de cette autobiographie – le cheminement d’un homme de pouvoir vers le pouvoir - on est attiré et séduit par la franchise de son propos.
Au début de ses Mémoires, Hadrien écrit: "Je ne méprise pas les hommes. Si je le faisais, je n’aurais aucun droit, ni aucune raison d’essayer de les gouverner. Je les sais vains, ignorants, avides, inquiets, capables de presque tout pour réussir, pour se faire valoir (…) ou tout simplement pour éviter de souffrir. Je le sais: je suis comme eux…"
Et on est parti pour l’histoire d’Hadrien – son enfance, sa jeunesse, ses tuteurs – Acilius Attianus et Trajan, ses années de formation, ses premières pas comme tribun, ses exploits militaires, son premier mandat de gouverneur en Syrie. Ses positions durant les nombreuses guerres d’expansion menées par Trajan – notamment contre les Parthes.
Et – ne quittez pas la salle, franchement – toutes ces descriptions de guerres, ce n’est pas ça le plus important. Le noyau du livre se trouve dans la description des passions d’Hadrien qui fut un grand amateur d’art, de poésie, de musique, d’architecture - et de beaux garçons. Parmi les délices sophistiqués que cet homme marié s’octroyait, il y avait le plaisir sensuel des corps des garçons. Un longue partie du livre est consacrée à son histoire.
Est-ce que cette dimension homosexuelle du livre de Yourcenar peut faire écho à ce qui se passe aujourd’hui autour du discours LGBT?
Ce n’est pas le thème qui résonne le plus avec l’actualité d’aujourd’hui même si, quand on lit "Mémoire d’Hadrien", on se dit que l’homosexualité – qui ne s’appelait pas comme ça au deuxième siècle, était une pratique bien intégrée dans les mœurs.
Le livre – outre la grande histoire entre Hadrien et Antinoüs – est rythmé par des allusions à ces amours masculines. Sur ces attirances, Hadrien écrit: "Un beau visage me conquit. Je m’attachai passionnément à un jeune homme". En parlant de Trajan, Hadrien évoque – je cite - "des débauches de caserne, en compagnie de jeunes gens auxquels il trouvait de l’agrément ou de la beauté."
Et ainsi de suite… jusqu’aux commentaires sur l’amour tragique qui unit Hadrien à Antinoüs – amour tragique entre hommes qui fait dire à Hadrien: "Mes censeurs s’apprêtent à montrer dans mon malheur les suites d’un égarement, le résultat d’un excès: il m’est d’autant plus difficile de les contredire que je vois mal en quoi consiste l’égarement, et où se situe l’excès".
Pourquoi "Mémoires d’Hadrien" fait penser à aujourd’hui alors?
Il est bon de lire aujourd’hui "Mémoires d’Hadrien" - dont les sources historiques sont on ne peut plus fiables, parce que le livre montre un homme d’état qui – au plus fort de la gloire de l’empire romain – renonce à l’expansion territoriale, renonce à la guerre et tente une politique pacifiste – même si, vous le verrez – Hadrien – chef des armées - n’était pas non plus un poussin.
Cette réflexion d’Hadrien sur la nécessaire stabilité le monde – ou sur un idéal géopolitique – devrait nous inspirer – ou plutôt inspirer, ceux qui – aujourd’hui, ont décidé de mettre en danger le fragile équilibre de la paix.
Faites un truc moderne, lisez un classique. Tentez "Mémoires d’Hadrien" de Marguerite Yourcenar