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Renommer l’espace public lorsqu’il fait polémique : pourquoi l’avenue Stalingrad à Bruxelles n’a jamais changé de nom

L’avenue Stalingrad ne changera pas de nom. Mais une plaque vient expliquer l’origine du nom.

© RTBF

Lorsque l’espace public fait polémique. Il n’y a pas que les rues, avenues, places et statues en lien avec la colonisation du Congo qui ont fait débat à Bruxelles. L’avenue Stalingrad, dans le centre-ville, a également posé question. Malgré plusieurs demandes par le passé, celle-ci n’a jamais changé de nom. Et rien n’indique que l’artère changera d’appellation dans un avenir proche.

Il y a quelques jours, un rapport commandé par les autorités régionales se penchait sur la décolonisation de l’espace public. Verdict du groupe de travail à l’origine de ce rapport de 250 pages : la suppression ou le déplacement systématique des symboles coloniaux ne sont pas forcément les voies à suivre. Ce qui doit être privilégié est une analyse argumentée au cas par cas dont les plus emblématiques sont celui de la statue de Léopold II place du Trône ou encore du tunnel Léopold II devenu il y a un an tunnel Annie Cordy.

Inauguration en 1948

A différents moments de son histoire, l’appellation de l’avenue Stalingrad a également suscité de vives réactions. C’est en 1948 qu’elle est ainsi baptisée. Auparavant, c’est l’avenue du Midi. Mais après la célèbre bataille dans la ville russe de Stalingrad fin 1942, début 1943, qui a permis aux alliés soviétiques d’infliger une lourde défaite aux troupes nazies, les autorités bruxelloises décident de célébrer cet épisode glorieux de la Seconde guerre mondiale en renommant cet axe.

Dès 1945, les Britanniques avaient déjà dans notre capitale leur avenue Winston Churchill, les Français l’avenue du Général De Gaulle et les Américains l’avenue Franklin Roosevelt. Pas d’avenue Joseph Staline à Bruxelles, mais plutôt une avenue de Stalingrad, littéralement la ville de Staline.

Staline, l’un des quatre grands de la guerre 39-45, mais aussi le dictateur autoritaire, sanguinaire, dominateur. Lorsque le leader communiste décide d’asseoir son autorité sur les pays de l’Europe de l’Est, la légitimité de l’hommage rendu à Stalingrad est discutée.

Référence à un événement pas une personnalité

Au début des années 90, deux conseillères communales de la Ville de Bruxelles interpellent le bourgmestre Hervé Brouhon. D’abord, Carine Foquet du PSC puis Marceline Van Baerlem du FDF. Cette dernière voudrait qu’une autre figure soit mise en avant : Mikhaïl Gorbatchev, le dernier dirigeant de l’URSS, à l’origine de la Perestroïka, le plan de réforme économique et de modernisation idéologique du pays. Comme Le Soir du 5 septembre 1991 le rapporte, la proposition n’est pas accueillie favorablement. "Le collège estime que Stalingrad fait référence à un événement historique, pas à la personnalité de Staline", écrit le quotidien. Pas touche donc !

Mais en octobre 2002, l’échevin de l’Urbanisme, Henri Simons (alors Ecolo puis PS) remet le couvert. Il veut profiter des travaux de rénovation de l’avenue pour relancer le débat. Il propose deux options à la place de l’avenue Stalingrad : l’avenue de la Bataille de Stalingrad (moins ambigu) ou l’avenue des Droits de l’Homme (plus universaliste).

Paris a déjà franchi le pas. En 1993, la place de Stalingrad est devenue officiellement la place de la Bataille de Stalingrad. Alors pourquoi pas chez nous ?

Léopold II : Entre gêne et génie

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Les discussions n’avanceront toutefois jamais. Renommer une rue n’est pas mince affaire : cela suscite des réticences auprès des riverains, des commerces et des entreprises obligés de revoir toutes leurs communications et leurs échanges administratifs.

Il n’empêche : une clarification s’impose reconnaît la Ville. Plusieurs panneaux explicatifs seront plantés au milieu des années 2000 sur la promenade centrale (la promenade dédiée à Rosa Luxemburg, Rosa "La Rouge"). On peut y lire que "l’avenue de Stalingrad est inaugurée en 1948 en souvenir cette bataille historique pour rendre hommage aux soldats de l’Armée rouge qui ont combattu victorieusement l’armée d’Hitler."

La plaque ajoute : "Ils ont payé un lourd tribut en pertes humaines et ont supporté le plus lourd poids de la guerre au moins jusqu’au 6 juin 1944, avant l’ouverture d’un véritable deuxième front en Normandie contre le nazisme." Ce n’est pas Staline (qui donne son nom à la ville dès 1925) qu’il est question de glorifier mais les combattants du Front de l’Est.

Stalingrad devenu Simone Veil en France

Cette plaque est amplement suffisante ajoute aujourd’hui le cabinet du bourgmestre Philippe Close (PS). "Il n’est pas prévu de changer le nom de l’avenue", même après les travaux de rénovation consécutifs à la réalisation de la future ligne de métro 3, nous dit-on. La référence à la bataille, et à elle uniquement, est explicite, précise-t-on.

Si le débat a pris une direction à Bruxelles, ailleurs en Europe, il a été plus radical. Exemple, encore, en France où à Puteaux près de Paris, la place Stalingrad est devenue en 2018 place Antoine et Simone Veil, en référence à l’ancienne ministre.

Dès 1956, à Luxembourg Ville, le boulevard de Stalingrad a pris le nom de Pétrusse (son ancienne appellation), beaucoup moins problématique.

En Russie même, Stalingrad, ex-Tsaritsyne, est devenue Volgograd, la ville du fleuve Volga en 1961, dans le cadre du processus de "déstalinisation" de l’URSS mis en place par Nikita Khrouchtchev. En 2014, Vladimir Poutine avait malgré tout annoncé qu’il n’était pas opposé à l’idée de revenir à l’appellation Stalingrad.

D’autres espaces à Bruxelles portent des noms pouvant aujourd’hui faire l’objet de réflexions critiques à l’image Linné, Voltaire ou encore Saint-Augustin, repris dans l’ouvrage de "Rue des Salauds" sorti en 2013.

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