Belgique

Rentrée judiciaire à Bruxelles : faute de policiers spécialisés, seuls les dossiers financiers prioritaires seront traités

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Le manque chronique de personnel à Bruxelles parmi le cadre des magistrats et les services spécialisés de la police judiciaire amène le procureur général Johan Delmulle à réduire la voilure dans le traitement de dossiers complexes pour lesquels il ne sera pas possible d’aboutir dans des délais raisonnables. Pour justifier cette mesure qui concerne avant tout les affaires économiques et financières, Johan Delmulle a rappelé que : "Le Collège des procureurs généraux a tiré à plusieurs reprises la sonnette d’alarme sur la pénurie aiguë d’enquêteurs spécialisés au ministère de la Justice et, à travers lui, au ministère de l’Intérieur".

De même en se référant à son discours de rentrée de 2019, Johan Delmulle est revenu sur des propositions concrètes formulées pour rendre plus efficace la lutte contre la criminalité économique et financière organisée et contre la fraude fiscale et sociale, notamment en renforçant la police judiciaire fédérale avec du personnel compétent pour ce type de missions : "Nous sommes deux ans plus tard et je ne vois aucun progrès sur le terrain, bien au contraire".

Moins d’enquêtes financières confiées à la police judiciaire de Bruxelles

Illustration police judiciaire fédérale
Illustration police judiciaire fédérale © Belga

Les conséquences sont désormais tirées annonce le procureur général pour qui "on ne répétera jamais assez qu’il s’agit d’une histoire en chaîne, dans laquelle surtout le premier maillon (la police menant l’enquête) et le dernier maillon (la cour d’appel qui rend la justice) de la chaîne pénale doivent être fondamentalement renforcés si la criminalité organisée économique, financière et fiscale doit vraiment être maîtrisée".

A défaut de ce renfort espéré, l’unique solution est de pousser sur le bouton "stop". Sans être formulé de manière aussi péremptoire par le procureur général, le résultat est identique. Sans doute, reconnait-il, c’est un mauvais signal adressé aux enquêteurs motivés ainsi qu’aux délinquants en col blanc mais sans moyens supplémentaires adéquats, il n’y a pas d’autres choix.

Seules celles répondant à certains critères seront encore menées

Et ce n’est pas faute d’avoir frappé sur le clou à diverses reprises tant du côté du parquet que du côté d’un juge d’instruction financier comme Michel Claise mais les chiffres sont là : le nombre d’enquêteurs spécialisés dans ces services atteignait 103 enquêteurs en janvier 2014. À l’heure actuelle, il serait 87 enquêteurs selon le chiffre communiqué lors de cette rentrée. Début 2000, la section financière de Bruxelles a compté jusqu’à 131 enquêteurs…

Il y aura donc désormais un "comité de pondération" au parquet général qui décidera si une enquête financière mérite de mobiliser des moyens ou non : "Seules celles répondant à certains critères seront encore menées par la police judiciaire fédérale de Bruxelles".

Selon que le dossier sera jugé prioritaire…

Concrètement ce comité de pondération décidera si l’enquête sera ouverte ou poursuivie par la police judiciaire de Bruxelles. Parquet et directeur judiciaire feront partie de ce comité qui évaluera selon des indicateurs nationaux et "locaux" si le dossier est prioritaire ou non.

Déterminer dans quelles enquêtes nous investirons encore de la main-d’œuvre

Une échelle de 1 à 3 permettra d’écarter les dossiers les moins bien classés au profit des autres. Seuls ces derniers seront pris en charge par la police judiciaire de Bruxelles : "A partir d’aujourd’hui, nous serons obligés de faire des choix et de déterminer dans quelles enquêtes nous investirons encore de la main-d’œuvre spécialisée et quels faits ou plaintes ne seront plus traités par la police judiciaire de Bruxelles", conclut le procureur général dans son discours de rentrée.

Attendre trop longtemps pour obtenir une fixation devant la cour d’appel

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L’autre mal qui du ronge la justice bruxelloise est connu : des délais de fixation en procédure d’appel bien trop longs. Est-il normal qu’un justiciable doive attendre de nombreux mois quand ce n’est pas un à deux ans pour voir son affaire examinée devant la cour d’appel de Bruxelles ? La réponse paraît évidente mais rien ne change sur le terrain.

"J’ai la conviction que la demande de ressources humaines supplémentaires importantes est plus que justifiée", a indiqué le procureur général Johan Delmulle dans son discours de rentrée, ajoutant toutefois qu’il avait conscience : "Qu’en même temps elle doit aller de pair avec un effort supplémentaire visible de tous les acteurs de terrain pour rendre la justice dans notre cour d’appel, dans la mesure du possible, en temps opportun et plus efficacement".

D’où la demande réitérée de renfort en personnel mais aussi l’appel à tous les acteurs de la chaîne judiciaire afin qu’ils fassent un réel effort pour rendre la procédure plus efficace. Sont concernés au premier chef les avocats qui doivent mieux respecter le calendrier et les termes convenus pour l’échange des conclusions et les dates de plaidoiries.

J’ai donné instruction aux magistrats du parquet de s’opposer aux remises

Cette invitation se conclut par une mesure concrète qui sonne comme un avertissement : "J’ai déjà donné instruction aux magistrats du parquet de s’opposer désormais systématiquement à toute demande de remise non justifiée et d’acter cette opposition sur le plumitif d’audience". Les juges sont également invités à gérer leurs audiences de manière plus rigoureuses si ce n’était pas encore le cas : "La durée et la portée de l’audience, la taille des jugements, le nombre de dossiers traités par audience sont d’autres exemples où des progrès peuvent encore être réalisés", a souligné le procureur général.

Mais d’autres services sont également invités à suggérer des manières d’améliorer le fonctionnement de la chaîne. Le SPF Justice (en ce qui concerne les infrastructures), le système pénitentiaire et les services de police (en ce qui concerne le transfert des détenus), peuvent contribuer également à favoriser une procédure plus efficace et plus courte devant la cour d’appel.

La tenue des grands procès sera impossible sans un renfort ponctuel en personnel

Le Justitia où se déroulera le procès des attentats du 22 mars 2016
Le Justitia où se déroulera le procès des attentats du 22 mars 2016 © belga

Une demande de renfort partiellement déjà entendue par le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne qui a annoncé au Parlement le 30 juin 2021 le renforcement prévu du tribunal de Bruxelles par des moyens récurrents : six conseillers, un secrétaire juridique, deux greffiers et trois assistants ainsi que dans la foulée d’autres renforts ponctuels pour résorber l’arriéré judiciaire et aborder le procès des attentats terroristes de mars 2016.

Pouvoir faire face aux missions essentielles de la justice

Au total, a indiqué Johan Delmulle, ses requêtes successives permettront de renforcer Bruxelles avec pas moins de quinze juges, quatre greffiers, deux porte-parole et dix assistants. Ceux-ci sont attendus à court terme à la place Poulaert, pour autant "qu’on puisse encore les trouver après qu’ils ont été sélectionnés", a ironisé le procureur général.

Pour Johan Delmulle, cette augmentation était absolument nécessaire sous peine de ne plus pouvoir faire face aux missions essentielles de la justice à Bruxelles. Et de nourrir l’espoir que l’audit engagé par le Conseil supérieur de la justice concernant la juridiction bruxelloise viendra confirmer la nécessité d’étoffer le cadre de manière pérenne.

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