Notre droit à l'image et les réseaux sociaux ont tendance à ne pas toujours faire bon ménage. Surtout lorsqu'il s'agit de nos enfants. Quels sont leurs droits? Qui doit les protéger? Qui peut les exploiter? La lecture du dernier roman de Delphine de Vigan: 'Les enfants sont rois' a inspiré la rédaction de ce dossier. Dans son roman, criant de vérité, la romancière souligne les effets pervers des réseaux sociaux sur nos enfants et adolescents. Les explications de Yasmine Lamisse, chroniqueuse juridique.
Nos enfants sont-ils vraiment rois?
Yasmine Lamisse rappelle, en lisant un extrait du livre de Delphine de Vigan, que, cette fiction peut être une réalité aujourd'hui et nombreux sont ceux qui tentent de créer le même scénario que celui décrit dans le livre. Ce livre nous questionne sur les rapports que nous entretenons tous avec les réseaux sociaux. Mais principalement qu'en est-il de nos enfants et de leurs rapports avec ceux-ci? Quels sont leurs droits à l'image? Quid doit les protéger? Qui peut les exploiter?
Aussi jeunes soient-ils, se rendent-ils compte de ce qu'ils visionnent? Ont-ils réellement consenti à ce que leurs images soient diffusées sur la toile numérique, dans des buts principalement de lucre ou, à tout le moins, de reconnaissance sociale et virtuelle?
Depuis lors, n’importe qui peut devenir célèbre sans devoir passer par la télé mais via son smartphone, en s’exposant, simplement. Tout un chacun peut se mettre en scène via son portable et peut même monnayer ses collaborations: orchestrer devant son portable sa vie quotidienne, ses vacances, ses amours, ses états d'âme, ses enfants. Que ce soit sur Instagram, Tik Tok ou You Tube, les placements de produits, produits dérivés et autres contrats d'exploitation d'images pullulent sur la toile. C'est le lot des influençeurs ou autres youtubeurs stars, qui se sont professionnalisés, fussent-ils encore mineurs d'âges.
Quid du droit à l'image de nos enfants?
Les enfants ont un droit à l'image qui leur est propre. C'est le droit de disposer de son image et de s’opposer à la publication, la diffusion et l'utilisation de son image. Les photos sont considérées comme des données personnelles particulières. (protégées notamment par la loi relative au droit d’auteur et droits voisins et la loi sur le droit à la protection à la vie privée).
Deux consentement distincts et spécifiques doivent être requis.
L'accord d'être photographié et filmé doit être donné ainsi que l'accord sur la publication, la diffusion et l'utilisation de son image. Les enfants mineurs étant considérés comme incapables juridiquement, ce sont les parents ou tuteurs légaux qui donneront ces accords. Lorsque l'enfant atteindra l'âge de raison ou de discernement (cela dépend au cas par cas, généralement vers 12-14 ans), il devra aussi donner son accord. Maître Etienne Wéry, avocat spécialisé notamment dans le droit à l'image et des nouvelles technologies, précise qu'il n'existe pas de différence entre le numérique et le reste car il n'y a pas lieu de le faire.
Quid dans les cas où les tuteurs légaux, c’est-à-dire les parents, ne protègeraient pas assez ce fameux droit à l'image de l'enfant? Ne faut-il pas les protéger contre leurs parents (qui ne mesureraient pas toujours la portée de ce droit envers leurs enfants)?
A l'origine, selon Maître Wéry, le droit à l'image a été créé pour protéger notre image face aux agressions extérieures. Mais maintenant, le problème, c'est que les agressions viennent principalement de l'intérieur, c’est-à-dire, de nous-même ou de notre sphère privée. N'existe-il pas une dérive dans certains cas où l'exhibitionnisme semble sans limites et où la vie privée de nos enfants est mise en scène sur la place publique et où cette séparation entre les deux est très fine et se réduit à peu de chagrin? N'existe-il pas une dérive au niveau de la commercialisation de leur droit à l'image (par leurs parents)?
Maitre Wéry précise qu'un mineur est incapable juridiquement, sauf exception pour tous les actes de la vie courante qui sont acceptés sans accompagnement du parent. Il faut en principe avoir 13 ans pour ouvrir un compte Instagram, mais selon lui, on peut discuter sur l'âge, que ce soit 13,14 ou 15 ans, l'important c'est l'accompagnement des parents qui est nécessaire, sinon cela ne peut pas marcher. Leur accompagnement est aussi nécessaire car il s'agit d'une- acte juridique.
Aurélie Waeterinckx, conseillère en communication et porte-parole du site de prévention Je décide.be, rappelle l’importance du consentement, car le choix de ce qu’on fait de notre image est intrinsèquement personnel, et que le consentement est donc une garantie de comprendre et respecter le choix de l’autre. Ceci s’applique aussi à ses enfants: il est essentiel que le parent discute avec l’enfant de l’utilisation qu’il ou elle fait de son image et que le parent ne lui impose pas son choix personnel.
C'est pourquoi, Aurélie recommande de toujours bien réfléchir avec l'enfant aux éventuelles conséquences pour le futur avant de poster sur la toile numérique au risque de le regretter plus tard. Il faut que le post soit un choix informé. Je décide.be ne veut pas faire passer le message que poster c'est mal. Il est cependant nécessaire de toujours bien encadrer l'enfant ou l'ado. C'est aussi une question d'apprentissage et de responsabilisation dans la sphère privée et familiale autour de l'enfant et des parents.
Quid du droit à l'oubli ou de retrait de son image?
Aurélie Waeterinckx précise aussi que beaucoup de jeunes ont recours à posteriori à l'Autorité de Protection des Données afin de demander des suppressions d'images les représentant en mauvaise posture sur le web.
Ils souhaitent alors obtenir une certaine virginité numérique et ce, afin de faciliter par exemple une embauche d'emploi ou leur vie sociale. Selon Aurélie, techniquement, c'est possible de supprimer l'image mais il ne faut pas oublier que prévenir est mieux que guérir, surtout dans le cas du partage d’images sur internet.
En pratique, il faut prendre garde, une fois qu’une image est placée sur internet, il est difficile d’en reprendre le contrôle intégralement: elle peut être copiée, stockée, partagée en quelques secondes. L'hébergeur qui devra supprimer les images ne pourra pas toujours les supprimer toutes. L'objectif de nettoyer le web totalement de telle image est absolument impossible. Ils pourra, à tout le moins, retarder leurs référencements, afin de minimiser les nuisances.
Il sera travaillé sur la diffusion de l'image, qui sera, par exemple, relégué à la page 17 d'un moteur de recherche. Il sera possible de supprimer l'image des réseaux sociaux, mais il sera impossible d'éradiquer cette image de tous les sites où l'image a été rediffusée et publiée, selon Me Wéry.
Yasmine Lamisse rappelle qu'il existe d'une part, Monsieur et Madame tout le monde, qui utilisent des images de leurs enfants sur les réseaux sociaux, non pour gagner de l'argent, mais à tout le moins, dans un but d'existence et de reconnaissance sociale et virtuelle. Le droit à l'image de ces enfants doit cependant être respecté et leur consentement et réflexion à ce sujet sont plus que nécessaires.
D'autre part, Yasmine souligne qu'il existe les enfants influençeurs et youtubeurs stars, dont la vie est mise en scène sur le web par leurs parents, dans un but de gain. Leur droit à l'image doit aussi être respecté et une réglementation protectrice plus importante doit aussi être mise en place. Maître Wéry précise que c'est un phénomène normal lorsque l'enfant ou l'ado veut sociabiliser et adhérer à une cohésion sociale, qui aujourd'hui est très souvent virtuelle, c’est-à-dire ouvrir un compte You Tube ou Insta.
C'est à partir du moment où la communauté de l'enfant grandit énormément, que l'on souhaite monnayer ses publications. Bien souvent, les parents n'ont pas toujours conscience des conséquences, que ce soit, au niveau du doit à l'image, mais aussi, au niveau fiscal. Le fisc réclamera alors des impôts sur ces activités, à la grande surprise des parents. Maître Wéry rappelle qu' exploiter son audience pour faire passer un message commercial relève d'une activité professionnelle, qui dès lors est imposée.
Encadrement légal en Belgique et en France préexistant pour les enfants dans le monde du spectacle
En Belgique, comme en France et la plupart des autres pays du monde, le travail des enfants est interdit, sauf dans le milieu du spectacle où l'enfant doit obtenir différents feux verts pour pouvoir travailler.
Des lois protectrices sont également mises en place pour les enfants mannequins, chanteurs ou acteurs: les horaires sont contrôlés et les revenus gagnés pour leurs prestations doivent être déposés, en Belgique, sur un compte d'épargne individualisé ouvert au nom de l'enfant auprès d'une institution financière, ou en France, à la Caisse des Dépôts et Consignations. Seul l'enfant pourra disposer des avoirs, en principal et intérêts, à sa majorité. En l'occurrence, leur activité est considérée comme du travail mais c'est encadré.
Quid en Belgique en ce qui concerne les enfants influençeurs et youtubeurs?
Il n'existe pas encore d'encadrement spécifique chez nous pour ces enfants. Il existe aujourd'hui un vide juridique car leur activité est considérée comme un loisir privé et échappent à tout contrôle à l'heure actuelle.
En France: une nouvelle loi a été votée le 19 octobre 2020 pour encadrer et protéger les mineurs influençeurs et youtubeurs de moins de 16 ans
La France a été un des premiers pays à légiférer dans ce domaine. La nouvelle loi vise à encadrer les activités rémunératrices des jeunes influençeurs, à les protéger de toute exploitation commerciale de leur image sur les plate-formes en ligne telles que YouTube, Instagram, Tik Tok ou encore Twitch. Le Parlement français considère la plupart de ces prestations sur le net comme du travail, qu'il va désormais encadrer, à l'instar de l'encadrement légal pour les enfants du spectacle.
Ce nouveau texte de loi nécessitera des autorisations administratives, des agréments, et les rémunérations devront être placées à la Caisse des Dépôts et Consignations, jusqu'à ce qu'ils aient atteint leur majorité. Car jusqu'à présent, ces vidéos monétisées faisaient l'objet d'un vide juridique : les horaires, la durée du tournage n'étaient pas encadrés par le droit du travail et les revenus générés n'étaient pas forcément destinés aux enfants.
Par conséquent, si l'activité des enfants youtubeurs est considérée comme un travail, un agrément préfectoral sera nécessaire. A l'inverse, dans le cas où l'activité ne serait pas comparable à une activité professionnelle, le texte prévoit une déclaration obligatoire dès lors que l'enfant youtubeur dépasserait un certain seuil de temps passé et de revenus, fixés par décret.
Le droit à l'oubli, qui existe aussi en Belgique, à la demande des enfants est également possible: les enfants devenus grands, qui souhaiteraient supprimer ces vidéos de la toile et aspirent à une certaine virginité numérique, pourront faire la demande à la plate-forme qui devra retirer les contenus dans les meilleurs délais.
Yasmine souligne que davantage de responsabilité pour les grandes plate-formes internet vont être imposées bientôt par l'Europe et une nouvelle Directive Européenne devrait sortir bientôt sur la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants (lutte contre les images à caractère pédopornographique).
En conclusion
Beaucoup d'observateurs, dont la romancière Delphine de Vigan, constatent qu' il sera très difficile de contrôler ce qui se passe dans la sphère privée, à l’intérieur des familles. Le plus souvent, les parents prétendent que les enfants sont consentants. Mais un enfant rêve-t-il réellement de devenir une star sur YouTube? La réalité, c’est que ces enfants n’ont pas la possibilité de refuser. On peut même parfois les considérer comme des victimes. Selon Delphine de Vigan, c’est sur le plan financier qu'il faudrait agir: si ces vidéos cessaient d’être monétisées par les plate-formes, si elles ne rapportaient pas plusieurs millions, les parents seraient sans doute moins enclins à mettre en scène leurs progénitures. Il faut aussi, selon la romancière, amener au débat et à la réflexion.
Yasmine Lamisse souligne que les parents ne sont pas les propriétaires du droit à l'image de leurs enfants mais bien les protecteurs. Ils doivent les défendre dans l'intérêt supérieur de l'enfant et non les posséder ou les exploiter dans quelconque autre intérêt.
Chaque photo et vidéo que nous postons ou que nous visionnons sur internet peut avoir une influence sur notre vie mais aussi et surtout sur celles de nos enfants. Prévenir est mieux que guérir, surtout dans le cas du partage d’images sur internet.
Sites utiles
www.yapaka.be; www.childfocus.be; www.jeminforme.be; www.jedecide.be; www.autoriteprotectiondonnees.be