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"Respire encore" de Clara Luciani : la philosophie du disco pour évoquer tant la fin d’une relation toxique que le déconfinement

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Tube extrait de son dernier album Cœur, Respire encore de Clara Luciani, est un hommage à l’une des amies de la chanteuse, sortie d’une relation toxique. Diffusée en juin 2021, elle revêt pourtant un autre sens plus évident en phase avec l’Histoire : un hymne au déconfinement. Analyse.

"Elle respire l’odeur des corps qui dansent / Autour d’elle dans l’obscurité / Ils s’effleurent sans timidité / Une insolence chorégraphiée / Elle veut pas s’asseoir / Elle veut s’oublier / Elle veut qu’on la drague, qu’on la regarde et qu’on la fasse tourner".

Voilà donc l’histoire d’une fille qui "veut". Elle veut "s’oublier". Elle veut "qu’on la drague". Elle veut "qu’on la regarde". Elle veut "qu’on la fasse tourner". Se présente dans ce cas une utilisation ambiguë de l’expression "faire tourner" : si on pense à la danse et à la joie de tourner sur soi, le langage contemporain nous oblige aussi à visualiser autre chose car "faire tourner une fille" se réfère aussi à une pratique sexuelle à plusieurs. Est-ce que Clara Luciani y a pensé ? Il faudrait lui poser la question. Mais l’expression est là, dans le texte. Et on ne sait pas trop quoi en faire…

"Elle veut pas s’asseoir, ça a trop duré / L’immobilité forcée / Ce soir la vie va recommencer / Il faut qu’ça bouge / Il faut qu’ça tremble / Il faut qu’ça transpire encore / Dans le bordel des bars le soir / Débraillés dans le noir / Il faudra réapprendre à boire / Il faudra respirer encore".

Au départ, Clara Luciani cherche à évoquer la vie retrouvée après une relation toxique vécue comme un emprisonnement. L’idée de la gaieté revenue après une histoire étouffante.

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Un lâcher-prise après le confinement, avec un vocable disco

En décembre 2021, Clara Luciani expliquait l’origine de cette chanson sur France Inter : "C’est une chanson que j’avais commencé à écrire en pensant à une amie qui était en train de mettre fin à une relation qui était très toxique. Et puis je la voyais retrouver sa liberté, essayer de reconquérir sa sensualité. Je trouvais cela assez beau ce moment de sa vie".

Pourtant, la chanson paraît le 11 juin 2021, 48 heures après la levée des mesures sanitaires en France. En juin 2021, le monde surnage encore dans le marasme de l’épidémie de Covid. C’est ainsi que les paroles de la chanson : "ça a trop duré", "l’immobilité forcée", "la vie va recommencer", "il faudra respirer encore", sans le vouloir, font écho au moment du déconfinement. Respire encore est une chanson qui sert de commentaire à l’actualité… La fin du port du masque est prévue pour le 17 juin. La réouverture des bars et des terrasses a eu lieu le 19 mai.

C’est une chanson post-Covid dont la dimension sociologique rend compte des frustrations vécues pendant le confinement. C’est la chanson des soirées qui reviennent, de la fête qui n’est plus interdite et des bars qui s’animent. C’est la chanson du lâcher-prise : "Dans le bordel des bars le soir / Débraillés dans le noir / Il faudra réapprendre à boire". C’est une chanson qui raconte le pouvoir de la fête. Et ce plaisir, Clara Luciani le décrit par un son disco, mais aussi par un vocabulaire venu du milieu disco : "Souvent sa nuque frôle le dancefloor / On croit qu’elle flanche mais elle s’en sort / Le rythme de son cœur s’aligne aux stroboscopes / Et bat un peu plus fort".

Dans Respire encore, on entend une filiation philosophique avec l’esprit de La fièvre du samedi soir, qui, dès 1977, a montré combien la vie et le sentiment d’oubli notamment à une classe sociale pouvaient se jouer sur une piste de danse : le fameux dancefloor qui, le temps d’une nuit devient le centre sinon du monde, d’un monde.

Un écho au décès du grand-père de Clara Luciani

Le parallèle avec la maladie et les mesures sanitaires est présent dans l’idée générale de la chanson qui fait référence à la respiration.

Respire encore renvoie au masque de protection qui barre le souffle, mais aussi carrément au virus, puisque le Covid est une maladie respiratoire. On peut aussi y ajouter un événement personnel, la mort du grand-père de Clara Luciani, qu’elle a annoncé sur Instagram en avril 2021, quelques semaines avant la sortie de ce disque. "Pépé Jeannot nous a quittés", écrivait-elle, évoquant le virus. On peut dès lors lire Respire encore comme un exercice de résilience. Tout se tient donc dans cette chanson qui voulait parler d’une chose et qui, à l’arrivée, parle d’une autre.

Le confinement aussi chanté par d’autres artistes français

On n’a pas encore assez de recul pour dire si Respire encore sera la chanson qui a raconté le mieux la période de sortie de Covid. Elle est en concurrence avec d’autres chansons d’autres artistes qui, avec plus ou moins de bonheur, ont chanté la période de la pandémie.

En décembre 2020, Grand Corps Malade propose une chanson engagée sur la fermeture des lieux culturels avec Pas essentiel.

Renaud aussi s’est exprimé à propos de l’épidémie. D’une voix plutôt fragilisée, il chante Corona Song où il cite : "ce brave docteur Raoult".

Un peu plus subtil, il y a Les confinis de Pierre Perret. "Ils nous ont tant confinés, puis déconfinés, puis reconfinés, qu’on redoutait d’être in fine, des cons finis" entonne-t-il.

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