Dans la classe, les élèves de 7e n’ont pas décroché un instant. Ils ont désormais l’occasion de poser des questions. Soufiane se lance : "Est-ce que vous pensez que votre fils s’est fait retourner le cerveau ?".
"Mon fils a été endoctriné en deux mois et demi de temps", confirme Saliha. "Quand je lui proposais d’aller faire les courses, il refusait d’aller au magasin car il y avait de la musique et c’est haram. Il enlevait les photos de sa chambre, il éteignait la télé. Il ne prenait pus le bus ou le tram car il y avait des photos de femmes dévoilées. C’était extrême. Je comprenais que mon fils allait dans le mur. Il était question qu’il retourne à l’école mais il ne voulait pas fréquenter une école où il ne pouvait pas prier. C’était un lavage de cerveau. Pour moi, ce n’était pas Sabri".
"Ses amis aussi y sont pour quelque chose ?", questionne encore Soufiane. "Il avait fait une croix sur tous ses amis. On ne les voyait plus. Il faisait pourtant du basket à haut niveau. Il était en équipe première à Vilvorde. Mais il disait qu’ils n’étaient pas de bons musulmans et que maintenant, il avait ses frères".
"Est-ce que vous avez essayé de le secouer un peu ?", demande à son tour Lucia. "Il faisait croire que tout allait bien. Je disais à mon mari : tiens c’est inquiétant, on ne connaît pas ses nouveaux copains. Mon mari me disait : Sabri on lui a toujours fait confiance, il n’a jamais fait de conneries. On ne va pas commencer à le suivre partout. Tous les jours, il allait chez ses frères. Ils avaient des séances d’entraînement physique. Ils couraient dans des parcs avec des sacs remplis de brique. Et puis le soir, ils recevaient une pizza ou un repas et après, ils avaient le prêche. On les nourrissait psychologiquement avec des idées mortifères. Pour eux, mourir c’était revivre".
"Je n’ai pas pu le sauver"
Quand Sabri annonce son départ en Syrie à sa maman, Saliha envisage directement le pire. Elle vit dans l’attente d’un coup fil annonçant son décès. Elle ne prend plus l’autoroute, seulement les petits chemins pour pouvoir décrocher à tout moment. En décembre 2013, une voix venue de Syrie lui annonce la mort de Sabri.
"Pourquoi vous vous sentez si coupable par rapport à votre fils ?", interroge Valentina du bout de la classe. "Parce que je n’ai pas su le sauver. Tout simplement. Je me dis qu’émotionnellement, j’aurais dû écouter plus mon instinct, mes tripes, et aller voir ce que faisait mon fils, le pousser à parler".
Pour Saliha, qui vit avec cette culpabilité, c’est la double peine. Comme beaucoup de parents de djihadistes, il lui faut porter la tristesse de la perte d’un enfant et faire face en même temps au jugement de la société qui la considère souvent comme coupable, voire complice.
Sandrine intervient. "Je comprends Saliha. Le sentiment de culpabilité de se dire qu’on a failli quelque part mais je suis persuadée que cela peut nous arriver à tous. On n’est pas maître de ses enfants. Ils peuvent prendre des chemins qui ne sont pas les nôtres. Après, c’est aussi la question de comment la société vous implique par rapport aux choix de vos enfants. Moi, j’ai facile car j’étais au mauvais endroit au mauvais moment. Je n’étais pas visée. Je n’ai donc pas ces questions de culpabilité. Ma seule culpabilité c’est que j’aimerais qu’on se sente un peu tous coupables. On a un peu tous notre part de responsabilité. On a tous failli. Ce n’est quand même pas possible qu’on ait envie de s’entre-tuer".