Nicolas Blanmont est allé voir une rare Daphné de Richard Strauss à l’Opéra de Berlin, dans une mise en scène enneigée et poétique de Romeo Castellucci. L’opéra est à voir au Staatsoper de Berlin jusqu’au 18 mars.
A Berlin, Romeo Castellucci revient à Richard Strauss, dont il avait déjà monté une mémorable Salome à Salzbourg. Evidemment, il est possible de trouver dans cette "tragédie bucolique" créée à Dresde en 1938 matière à discourir sur le rapport de l’homme et de la nature, et on se souvient que le metteur en scène italien avait parfois lourdement insisté sur la destruction de la planète dans son Requiem de Mozart. Ici, l’approche est moins démonstrative, à telle enseigne que le spectateur pourra même ignorer le sous-texte et opter pour une lecture plus esthétique que politique.
Le sous-texte, inscrit dans un texte du programme, c’est que le dérèglement climatique est d’ores et déjà tel qu’il n’est pas impossible de voir la neige tomber une île grecque. Et donc, l’action se passe sur une plage sauvage avec pour seuls accessoires quelques oyats, un curieux bas-relief, une statue et un arbre chétif que Daphné finira par déraciner avant de s’enfoncer elle-même dans le sable pour figurer sa transformation en végétal. Et l’essentiel de la soirée se déroule sous une incessante chute de flocons, avec des bergers qui ont l’allure de soldats patrouillant aux confins des steppes entre Finlande et Russie. Saugrenu ? Peut-être, mais pas absurde. Et, surtout d’une grande force poétique et esthétique. Et on comprend alors que la beauté, bien mieux que la laideur, fait accepter les idées bizarres des metteurs en scène.
Voix jeune mais ferme, Vera-Lotte Boecker domine une distribution sans grandes performances mais avec des chanteurs solides : Pavel Cernoch en Apollo, René Pape en Peneios et Anna Kissjudit en Gaea. Thomas Guggeis, étoile montante de la direction d’orchestre en Allemagne, dirige la Staatskapelle de Berlin avec un joli sens de la poésie.