Dans le documentaire "Les Prières de Delphine", deux voix se rencontrent et se racontent. Un film en huis-clos pour décloisonner le réel, dans lequel Rosine et Delphine se réapproprient leurs propres récits intimes.
Elle est assise confortablement, dans l’intimité de son appartement bruxellois. Elle se recoiffe, ou allume une cigarette. On devine le ciel gris dehors, peut-être la pluie. Mais du dehors, il en sera peu question : pendant l’heure et demie qui suit, on sera en huis-clos avec Delphine. Face à la caméra de Rosine Mbakam, originaire du même quartier qu’elle à Yaoundé, et qu’elle connaît depuis plusieurs années, Delphine déroule, peu à peu, l’histoire de sa vie.
Avec sa voix pleine de détermination, elle dit l’enfance, l’absence de sa mère, la dureté de son père. Le manque de moyens, d’argent et d’options. Les choix difficiles, et aussi les moments de sa vie que ni elle, ni son corps, n’ont choisi. Les mots fusent, entre pidgin, anglais et français, tantôt pleins de colère, tantôt mélancoliques, tantôt enjoués. Parfois, elle rit.
Au fur et à mesure que les phrases de Delphine s’enchaînent et que le film de Rosine se construit, ces deux voix se réapproprient un récit – celui des femmes racisées, colonisées, exotisées, exploitées et invisibilisées. Un récit souvent confisqué par des visions dominantes, et que ces deux femmes se réapproprient ici.
Un récit qu’aucune fiction ne pourrait raconter sans retirer à Delphine, qui a tout d’une héroïne, la puissance de sa présence. A la sortie de la projection de presse ce matin-là, dans la salle Agnès Varda du Flagey, on a discuté avec la réalisatrice Rosine Mbakam de ce film aussi puissant qu’intime, présenté cette semaine à Bruxelles dans le cadre du Festival En Ville !*.