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Russie : dernière cible du kremlin, Mémorial, ONG de défense des droits humains, joue sa survie au tribunal

Un partisan de Memorial devant le tribunal de Moscou où l’ONG russe accusée de diverses infractions joue sa survie, le 23 décembre 2021

© Vasily MAXIMOV

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Par AFP

La justice russe examine jeudi une demande de dissolution du Centre de défense des droits humains de l’ONG Mémorial, pilier de la société civile et dernière cible d’une campagne visant les voix critiques du Kremlin.

Le procès s’est ouvert au tribunal de la ville de Moscou et se penche sur les conclusions du Parquet qui considère que la branche de Mémorial chargée des droits humains s’est rendue coupable d’apologie de "l’extrémisme et du terrorisme" avec la publication d’une liste de prisonniers comptant les noms de membres de groupes religieux ou politiques interdits en Russie.

Il l’accuse aussi d’avoir violé les obligations découlant de son statut "d’agent de l’étranger", label réservé aux organisations considérées comme œuvrant contre les intérêts russes avec des financements étrangers.

Un climat de répression croissante

Ces poursuites s’inscrivent dans un climat de répression croissante visant ceux perçus comme des adversaires du Kremlin, qu’il s’agisse d’ONG, de médias indépendants ou du mouvement de l’opposant emprisonné Alexeï Navalny, interdit en juin pour "extrémisme".

Les journalistes peuvent suivre les débats par visioconférence dans une salle du tribunal, qui avait indiqué dans un premier temps que ce ne serait pas possible à cause de restrictions sanitaires, avant de se raviser.

Le public ne peut lui pas assister à l’audience. Par un temps glacial, frisant les -15 °C degrés Celsius, une trentaine de personnes, principalement des jeunes, se sont rassemblées autour du tribunal en soutien à l’ONG.

Santé psychologique

Lors de l’audience, un procureur a assuré que le Centre pour les droits humains de Mémorial n’avait pas indiqué son statut "d’agent de l’étranger" dans toutes ses publications, ce qui peut mettre en péril "la santé psychologique" des Russes.

"Le site (du Centre de Mémorial) contient des informations justifiant le terrorisme et l’extrémisme, cela a une influence négative sur les mineurs", a abondé un autre procureur.

La défense de Mémorial réplique avoir déjà payé d’importantes amendes pour ces infractions et dit aider au contraire les "populations vulnérables" : les prisonniers politiques, réfugiés et minorités.

Ces "poursuites politiques sont lamentables, mais aussi mauvaises pour la société et le gouvernement", a estimé un des responsables de Mémorial, Alexandre Tcherkassov.

La prison ou l’exil

Depuis le début de l’année, l’opposition anti-Kremlin a subi les assauts de la justice, forçant nombre de ses figures à l’exil, tandis que d’autres étaient incarcérés.

Mémorial International, l’organisation chapeautant les différentes filiales de l’ONG, est aussi menacée de dissolution dans un autre procès, devant la Cour suprême où la prochaine audience est prévue le 28 décembre.
 

Un homme avec un masque à l’effigie de l’ONG russe de défense des droits humains Memorial devant le tribunal de Moscou, le 23 décembre 2021
Conférence de presse annuelle du président russe Vladimir Poutine au hall d’exposition Manezh à Moscou, le 23 décembre, 2021

Fondée en 1989 par des dissidents soviétiques, dont le Prix Nobel de la paix Andreï Sakharov, Mémorial s’était donnée pour mission de faire la lumière sur le Goulag et les crimes de l’Union soviétique.

Après la fin de l’URSS, elle s’est également engagée dans la défense des droits humains. Lors des deux guerres de Tchétchénie, elle s’est illustrée en documentant les exactions des forces russes et leurs alliés tchétchènes.

En 2009, Natalia Estemirova, responsable de l’ONG dans cette région du Caucase, avait été assassinée. Le crime n’a jamais été élucidé.

Quelle Histoire pour la Russie ?

La menace de liquidation de l’ONG, qui jouit d’un grand prestige en Occident, a donc suscité une vague d’indignation.

Les partisans de l’ONG considèrent que le pouvoir poutinien veut supprimer Mémorial pour passer sous silence l’histoire des répressions soviétiques, car le Kremlin a plus à cœur de célébrer l’héritage de l’héroïsme de l’URSS face aux Nazis que celui de la mémoire des millions de victimes de Staline.

Le 9 décembre, Vladimir Poutine lui-même a accusé Mémorial d’avoir classé des collaborateurs de l’Allemagne hitlérienne comme victimes des répressions staliniennes. Mémorial a répliqué qu’il s’agissait d’une erreur ponctuelle, corrigée depuis.

L’ONG accuse en retour les autorités de compliquer son travail, en limitant l’accès aux archives et aux identités des exécutants des purges soviétiques.

Mémorial accuse aussi le pouvoir d’avoir monté de toutes pièces une affaire d’agression sexuelle contre l’un de ses historiens, Iouri Dmitriev, condamné en 2020 à 13 ans de prison, afin de le punir pour ses recherches sur la terreur stalinienne.

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