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Sage et troublante Anaïs Nin

Elisabeth Barillé est l'auteure de "Anaïs Nin, masquée, si nue"

© Le Livre de poche

Par RTBF La Première via

Ce 14 février marquait les 45 ans de la mort d’Anaïs Nin, née le 21 février 1903. Retour sur cette personnalité troublante, avec Elisabeth Barillé, l’auteure du livre Anaïs Nin, masquée, si nue (publié en 1991 chez Robert Laffont et au Livre de Poche en 2013).

Anaïs Nin, c’est un Journal. Cinquante ans d’écriture, à partir de ses 11 ans. Quarante-cinq mille pages longtemps enfouies dans une cave de Brooklyn et éditées à partir de 1966, alors qu’elle a 63 ans, et encore après sa mort, dans des versions expurgées. Ce n’est qu’en 1986 que paraîtra le texte non expurgé.

Auparavant, elle a déjà écrit D.H. Lawrence, La Maison de l’inceste, Un hiver d’artifice, La Cloche de verre, Les Cités intérieures, Collages… mais la reconnaissance ne viendra qu’avec le Journal, de façon très tardive, ce qui explique l’amertume qu’elle en ressentira.

De cette 'confession' monumentale, Elisabeth Barillé a tiré un portrait romanesque, tissé dans la matière même de son œuvre, de sa vie.

Le père, la clé de tout

Anaïs Nin naît en 1903 en France. C’est son père, Joaquin Nin, un esthète pervers à la Baudelaire, qui est la clé de la vie d’Anaïs Nin. Il drogue ses filles à la beauté et instille à Anaïs l’idéologie selon laquelle l’art est plus grand que la vie. Elle dira d’ailleurs : "Je veux faire de ma vie une oeuvre d’art".

C’est un père dur, qui abandonnera sa femme et ses enfants dix ans plus tard. C’est pour reconquérir son père qu’Anaïs Nin écrira son journal, car elle se sent coupable de son départ. Par la suite, faute de réponses, elle se vengera de lui en allant le séduire.

Le journal d’une vie

En 1914, la mère emmène ses filles aux Etats-Unis et c’est sur le bateau qu’Anaïs Nin commence à écrire son journal, comme une bouteille à la mer jetée vers son père. Dans ses écrits, elle le confond avec la France, la patrie en guerre, le nationalisme,…

Ravissante adolescente, Anaïs va poser pour des peintres. Elle a ce désir d’occuper le centre de l’attention, désir instillé par son père qui la photographiait nue dans la salle de bains.

Plus que l’amour, plus que la séduction, sa grande passion sera l’écriture, "ce sera une obstination surmontée de décennie en décennie", explique Elisabeth Barillé. Son journal sera tout : la voix de son père, le confident, le réceptacle de ses désirs, de ses échecs, de ses souffrances, pendant 50 ans.

"Je me sens différente de tout le monde, écrit Anaïs Nin. Je me suis aperçue qu’aucune enfant ne pense ainsi que moi. Mes désirs, mes rêves, mes ambitions sont tous différents. Je pense me donner tout entière à la poésie, à l’écriture, non pas pour acquérir la gloire, non, rien que pour écrire."

Anaïs Nin, icône de la révolution sexuelle

Anaïs Nin, on la connaît surtout comme un personnage sulfureux. Comment l’expliquer ?

Le premier tome de son journal, qui couvre les années 31 à 34, met en scène de façon sublimée une femme qui répond à tous ses désirs. Cela fait écho au climat de révolution sexuelle qui règne en 1966, aux Etats-Unis, puis en Europe. "Elle va devenir à son corps défendant cette icône du féminisme et de la révolution sexuelle", souligne Elisabeth Barillé.

A cause de cette image, vont d’abord être publiés des récits qui, du propre avis d’Anaïs, ne sont pas très bons au niveau du style : Les petits Oiseaux et Venus Erotica, écrits sur commande, à Paris, pour un collectionneur érotomane – elle voulait gagner de l’argent pour ne pas en demander à son mari banquier.

Sa renommée ne s’est pas faite sur sa qualité de diariste, qui est sa plus grande qualité, mais sur une réputation plus ou moins avérée de femme libre. Anaïs Nin a été tout sauf libre, d’où mon titre : 'Masquée, si nue', parce que masquée, elle l’a été. Son obsession pour la vieillesse… Aujourd’hui, elle paraîtrait bien enchaînée à des clichés qu’heureusement, aujourd’hui, les femmes balancent et bousculent.

La rencontre de sa vie

On montre souvent une image totalement libérée d’Anaïs Nin, cette femme qui aime les gens libérés, comme Henry Miller et June. Pourtant, elle est enchaînée à tout ce qu’elle touche.

Elle veut être libre, mais elle va se marier très jeune. Epouse frustrée d’un banquier anglo-saxon pourtant très tolérant, elle a trente ans quand il lui fait rencontrer Henry Miller.

Henry Miller est un homme plein de joie de vivre, d’appétit et d’amour de l’écriture. Ce sera entre eux une même éclosion, une histoire torride à la fois érotique et intellectuelle. Elle l’aime, le soutient, le finance. Grâce à elle, il publiera entre autres Tropique du cancer, Tropique du Capricorne, la trilogie de La Crucifixion en rose.

Il y aura aussi une relation en miroir avec June, son épouse, dont il est question dans le film de Philip Kaufman, sorti en 1990, Henry et June.

"Ce sont deux femmes qui se regardent l’une l’autre à travers le désir qu’un homme a pour elles deux. C’est vraiment une relation triangulaire. […] Dans les années 20, il y avait vraiment un milieu saphique lié à la poésie et à la littérature. Anaïs Nin, en mettant en exergue cette relation saphique, s’inscrit aussi dans un courant littéraire", rappelle Elisabeth Barillé.

 

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Une folie rêvée

Anaïs Nin va chercher à se doper d’expériences, mais on ne peut pas dire qu’elle se soit brûlée, estime Elisabeth Barillé. Si elle consomme du LSD, c’est à titre d’expérience médicale, même si dans son journal, elle en parle comme d’un dérèglement absolu des sens à la Baudelaire.

Sa folie était une folie rêvée plus qu’une folie vécue.

Si elle est entrée dans l’histoire, c’est d’abord parce que son oeuvre a éclos au moment de la révolution sexuelle. Et puis, elle était charmante et bon sujet pour les médias. Elle avait un art très consommé du costume, elle se créait un personnage, elle était le porte-drapeau de son oeuvre.

Anaïs Nin a démuselé un discours sur la sexualité. Ses journaux ont ouvert à des millions de lectrices une voie vers l’exploration de soi, c’est certain.

Ecoutez l’entretien complet ici

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