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Sarah Baatout : "C’est important de réduire les biais de genre dans les sciences et les technologies"

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Par Jehanne Bergé pour Les Grenades

En Belgique, selon le top 100 des professions de Statbel, on ne compte que 13% d’ingénieures civiles, 19% de femmes managers TIC, 12% de spécialistes féminines des sciences techniques de la production et de l’industrie et seulement 11% de conceptrices de logiciels. Pour lutter contre ces écarts et déconstruire les stéréotypes genrés, Les Grenades réalisent chaque mois le portrait de femmes actives dans le monde des sciences, de la tech’ ou de l’ingénierie.

Direction le centre d’étude nucléaire (SCK-CEN), à Mol. Nous retrouvons la professeure Sarah Baatout, cheffe de l’unité de radiobiologie. Mère de deux enfants, patineuse artistique et scientifique de renommée internationale, elle nous reçoit avec entrain et nous fait visiter d’un bon pas les différentes salles de son laboratoire. "Nous étudions l’impact des rayonnements sur la santé. Ces recherches couvrent diverses applications", introduit-elle.

Outre son poste au sein de l’unité, la chercheuse enseigne à l’université, tout en assurant son rôle de représentante de la Belgique auprès de l’UNSCEAR, le Comité scientifique des Nations Unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants.

Infatigable, elle partage pour nous son parcours et sa vision d’une science de demain où les femmes ont toute leur place.

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Un besoin accru de comprendre les pathologies

"J’ai toujours eu beaucoup d’intérêt pour les sciences. Depuis un très jeune âge, j’ai ressenti ce besoin de comprendre les mécanismes des pathologies. Je me souviens, mes parents avaient racheté une bibliothèque de livres médicaux, je passais des heures à lire ces ouvrages." Après son cursus de biologie à Louvain-la-Neuve, elle effectue sa thèse de doctorat en biochimie au sein des services d’oncologie de deux grands hôpitaux. "J’ai toujours évolué entre la biologie et la médecine afin de trouver des solutions au niveau moléculaire et cellulaire."

Ce qui tue dans le domaine des sciences, c’est de rester dans sa bulle

Son profil spécifique la conduit ensuite vers le centre d’étude nucléaire où elle entre en 1995 comme post-doctorante. C’est au cœur de cette institution fédérale qu’elle mènera toute sa carrière. "Dans mon unité, nous travaillons essentiellement sur les radiations. Au niveau sociétal, nous œuvrons à la source pour améliorer les traitements radiothérapeutiques contre le cancer, développer de nouveaux radiopharmaceutiques et diminuer les effets secondaires. Nous développons la médecine personnalisée en fonction de la génétique de chaque patient·e. Il s’agit véritablement de la médecine de demain, car la proportion de patient·es atteint·es de cancer ne fait qu’augmenter."

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Depuis 2002, son laboratoire compte également la médecine spatiale comme aire de recherche. L’équipe œuvre à la préparation des astronautes pour les missions vers la lune et vers mars. "Nous mesurons les effets des dommages induits par les rayons cosmiques. Dans l’espace profond, les doses sont jusqu’à 1000 fois plus importantes que sur terre. Toutes les connaissances concernant les patient·es sont directement adaptables pour les astronautes."

Réduire les freins dès l’enfance

Sensible à la place des femmes dans les domaines scientifiques, Sarah Baatout s’ancre dans une logique sororale. Malgré son agenda chargé, l’experte tient à participer à des initiatives de promotion des sciences auprès des jeunes filles. "Même si de gros changements ont été opérés ces dernières années, dans tous les milieux sociaux, il demeure des biais de genre autour des sciences et des technologies." Selon elle, pour y remédier, l’éducation se révèle une clé. "Dès l’école, il est important de développer tous les outils possibles pour stimuler les jeunes filles à ces domaines."

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En plus de freiner les vocations, la socialisation et l’éducation genrée de nos sociétés engendrent un syndrome d’imposture, celui-ci serait trois fois plus répandu chez les femmes. "Je l’observe dans mon laboratoire où je reçois beaucoup d’étudiantes. Nombre d’entre elles ont un énorme potentiel, mais de manière récurrente, je remarque qu’elles ont besoin, pour gagner en confiance, d’un petit push en plus par rapport aux étudiants masculins. Aussi, les chercheuses continuent de poser plus souvent des choix en fonction de leur famille que leur partenaire. C’est important de mettre en place les outils pour leur donner confiance et qu’elles puissent poursuivre leur carrière si elles le désirent."

Toute une série de problèmes ont été mis en évidence dans les universités. Le mouvement #metoo a fait bouger les lignes

Outre la moindre présence des femmes dans le domaine des sciences, la spécialiste pointe d’autres enjeux liés au genre. "La plupart des médicaments qu’on retrouve sur le marché n’ont été testés que sur des hommes. Très souvent lors des recherches cliniques, on ne teste pas les molécules sur les femmes en raison entre autres des variations du cycle hormonal. Résultat les femmes reçoivent des doses sans qu’elles aient été testées préalablement. Il y a vraiment un biais de genre criant dans la médecine. Il faut continuer d’en parler et essayer de trouver des solutions."

L’importance des modèles

Dans les couloirs de son laboratoire, sur un mur bleu, quatre cadres en l’honneur de Marie Curie, dont sa citation "Rien dans la vie n’est à craindre, tout doit être compris. C’est maintenant le moment de comprendre davantage, afin de craindre moins." "Pour moi, Marie Curie est une 'role model’très important. Elle a mené une carrière scientifique extraordinaire, c’est une personnalité que j’admire au plus haut point."

Parmi les contemporaines, dans le domaine spatial, Sarah Baatout s’enthousiasme de la manière de communiquer de l’astronaute italienne Samantha Cristoforetti, première femme européenne commandante de la Station spatiale internationale. "Elle est un modèle extraordinaire pour de nombreuses jeunes filles. Les astronautes ont un rôle d’éducation."

La plupart des médicaments qu’on retrouve sur le marché n’ont été testés que sur des hommes. Très souvent lors des recherches cliniques, on ne teste pas les molécules sur les femmes

La scientifique se réjouit d’ailleurs de la nouvelle cohorte de l’Agence spatiale européenne qui compte trois hommes et deux femmes. "C’est un grand pas en avant. Aussi, lors de la sélection, nous avons assisté à un véritable shift. En 2008, seulement 15% de femmes avaient postulé. Grâce notamment à Samantha Cristoforetti, lors de la dernière sélection, sur les 23000 candidat·es il y avait cette fois 24% de femmes. C’est déjà mieux, mais surtout en dernière sélection sur les 25 finalistes, on comptait autant de femmes que d’hommes. Les femmes hésitent plus à postuler, mais elles sont plus compétentes !"

Au plus près d’une jeunesse post #metoo

Au quotidien, Sarah Baatout partage son temps entre son laboratoire à Mol et les auditoires des universités de Gand et de Leuven. "Je donne plusieurs cours en médecine spatiale, en biologie spatiale et en radioprotection." Le contact avec les étudiant·es est l’une des facettes de son métier qui lui plait le plus. "Quand je supervise un·e étudiant·e, je souhaite faire le maximum pour cet·te étudiant·e."

Concernant le sexisme au sein du monde académique, réalité qui peut se révéler un frein majeur pour étudiantes, la professeure observe également d’importants changements. "Les choses évoluent pour le bien ! Toute une série de problèmes ont été mis en évidence dans les universités. Le mouvement #metoo a fait bouger les lignes. Grâce aux nouvelles générations de femmes aujourd’hui, les comportements sexistes ne sont plus tolérés. Au-delà du monde académique, ce type d’agissements doit être banni partout. Ça devrait faire partie des chartes éthiques de chaque entreprise."

 

Enfin, aux jeunes qui voudraient se lancer dans une carrière scientifique, voici sa recommandation : "Osez approcher les scientifiques. C’est la meilleure manière de recevoir des conseils pertinents, intéressants. Ce qui tue dans le domaine des sciences, c’est de rester dans sa bulle. La science de demain, c’est une science de collaboration", conclut-elle.


Dans la série de portraits Les Grenades de femmes scientifiques


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