Justice

Scandale de corruption au Parlement européen : "Je crains que cela ne soit plus grand que ça", affirme un député écologiste

Le focus

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Par Kevin Dero, sur base d'une interview de François Heureux via

Une enquête à grande échelle a été menée par le parquet fédéral et la police fédérale au sein du Parlement européen. Dans le viseur : des délits présumés d’organisations criminelles, de corruption et de blanchiment d’argent en lien avec un État du Golfe. En clair, le Qatar aurait arrosé des membres du Parlement pour influencer des décisions.

Ce week-end, quatre personnes ont été placées sous mandat d’arrêt et selon nos informations, cinq eurodéputés sont visés par cette enquête, dont la vice-présidente du Parlement européen, la Grecque Eva Kaili, inculpée et incarcérée. On parle aussi du Belge Marc Tarabella, dont le domicile a été perquisitionné. Il a été convoqué par la commission de vigilance de son parti, le PS, et il affirme n’avoir rien à cacher. L’eurodéputé socialiste n’est pas inculpé.

Mais jusqu’où pourrait aller cette affaire de corruption ? Quelles conséquences sur l’hémicycle européen ? Ce matin, François Heureux en parlait avec Daniel Freund, député européen du groupe des Verts, et Louis Collard, journaliste au Soir.

Le doigt dans le pot de confiture

Ce dernier a, avec ses collègues du Soir et avec le magazine Knack, révélé cette affaire de corruption. À lire le quotidien ce matin, on serait donc dans une affaire sans précédent pour le Parlement européen… "Je pense que c’est du jamais vu de voir des preuves aussi évidentes, des preuves matérielles d’argent qui circule, et donc de blanchiment a minima (mais probablement de corruption), et de tomber comme ça sur des personnes avec le doigt dans le pot de confiture" explique le journaliste. "L’heure est assez grave pour le Parlement européen. Il doit vraiment se poser des questions sur les risques d’ingérence par des puissances étrangères au sein même de la démocratie européenne"

Du jamais vu de voir des preuves aussi évidentes

Ce matin dans le Soir est raconté le week-end de folie pour les services du parquet fédéral et de la police fédérale, avec parfois des personnes qui tentent de s’enfuir avec des valises remplies de billets de banque. Des scenarii parfois surréalistes. "Oui, si on fait référence à la perquisition et à l’interpellation, qui n’était pas prévue au programme, de l’eurodéputée Eva Kaili. Effectivement, son propre père a été observé et finalement intercepté en train de sortir de son hôtel bruxellois avec une valise remplie de billets. C’est donc ce qui a constitué le flagrant délit pour le juge d’instruction et pour les enquêteurs, qui ont finalement pu perquisitionner la résidence, le domicile de madame Kaili et tomber à nouveau sur des sacs remplis de billets" explique Louis Collard.

Au cœur de l’enquête, un homme. Ancien député européen, Pier Antonio Panzeri serait à la tête de cette organisation criminelle présumée. "Avec mon collègue de Knack, Kristof Clerix, et mon collègue du Soir, Joël Matriche, on est effectivement en mesure d’affirmer que Pier Antonio Panzeri est considéré par les enquêteurs comme la tête de pont de cette organisation criminelle présumée. Il était la cible principale, mais il n’est pas le seul. Son acolyte, le compagnon de madame Kaili, monsieur Giorgi, un autre ressortissant italien et assistant parlementaire au sein du Parlement européen, était aussi l’un des responsables présumés de l’organisation".

Son propre père a été observé et finalement intercepté en train de sortir de son hôtel bruxellois avec une valise remplie de billets

Eva Kaili le 7 décembre 2022
Eva Kaili le 7 décembre 2022 © Tous droits réservés

Perquisitions chez Marc Tarabella

Un eurodéputé belge, Marc Tarabella, est également dans le viseur du parquet fédéral. Celui-ci a d’ailleurs récemment défendu l’état du Golfe notamment en le Qatar en plénière au Parlement européen le 21 novembre dernier, au coup d’envoi de la Coupe du monde (extrait de son allocution à réécouter dans la séquence ci-dessus).

Sans présumer de son implication dans cette affaire, était-ce l'objectif des Qataris, de faire passer des discours positifs sur leur pays contre des cadeaux, contre de l’argent? se demande François Heureux. "Une perquisition ne veut rien dire sur la culpabilité ou l’innocence d’une personne. C’est juste que la justice a jugé nécessaire de procéder à des vérifications. Et comme nous l’avons révélé hier, son domicile a été perquisitionné samedi soir" précise le journaliste.

L’enquête se chargera de vraisemblablement de déterminer s’il y a eu "possibilité d’influer sur des votes, par exemple sur la résolution liée à la Coupe du monde, sur la commission qui discute des visas, notamment pour le Qatar. Les votes sont des prises de parole, c’est dire du bien ou du mal du Qatar. Donc, effectivement, ça fait partie des questionnements, mais ce sont juste des interrogations à ce stade, il faut encore déterminer s’il y a eu un impact de corruption derrière, parce qu’on peut soutenir le Qatar, on peut soutenir la Coupe du monde sans être pour autant corrompu" analyse Louis Collard.

Une perquisition ne veut rien dire sur la culpabilité ou l’innocence d’une personne

Marc Tarabella en mars 2017
Marc Tarabella en mars 2017 © Tous droits réservés

Des questionnements qui devraient évidemment agiter la séance plénière du Parlement européen aujourd’hui à Strasbourg. Daniel Freund, député européen du groupe des Verts, était convié par visioconférence. Était-ce une surprise pour lui ? "C’est quand même choquant de voir l’ampleur des sommes d’argent qui ont été trouvées et confisquées. Je ne pense pas qu’on s’attendait à une telle ampleur de corruption. Évidemment, il faut attendre les résultats de cette enquête. En même temps, c’est vrai qu’il y a d’autres États qui ont tenté la même chose ces dernières années, comme l’Azerbaïdjan ou la Russie, qui ont essayé de corrompre la démocratie européenne avec plein d’argent. Je pense qu’il faut mieux protéger la démocratie en Europe" affirme-t-il à François Heureux.

C’est vrai qu’il y a d’autres États qui ont tenté la même chose ces dernières années, comme l’Azerbaïdjan ou la Russie


 

Qataris et téraoctets

Et ce dernier de lui demander s’il a déjà observé la présence des Qataris au Parlement européen, ou en tout cas leur influence dans certaines discussions, dans certaines commissions du Parlement ? "Évidemment, maintenant que ces allégations sont publiques, des discours ou des actions de quelques collègues sont vus sous une lumière différente. Il y a maintenant plein de collègues qui m’ont dit avoir été approchés par madame Kaili, par exemple, pour ne pas voter pour la résolution de la Coupe du monde au Qatar. On vient d’apprendre hier soir que madame Kaili a apparemment été présente lors du vote dans la commission LIBE sur la libéralisation des visas, même si elle ne fait pas partie de cette commission. Et d’ailleurs, il y avait trop de votes présents des sociaux-démocrates. Monsieur Tarabella était aussi présent, donc il faut vraiment regarder maintenant quel vote, quelle résolution et quelle prise de parole auraient pu être influencés par cette affaire" souligne l’écologiste.

Ça me surprendrait que le Qatar ait essayé de tourner l’opinion du Parlement européen juste au travers de quelques députés sociaux-démocrates

Sociaux-démocrates

Le groupe socialiste, les sociaux-démocrates, est particulièrement dans le collimateur. "Pour le moment, tous les collaborateurs, tous les députés qui ont été interpellés ou cherchés dans les bureaux sont des sociaux-démocrates. Il faut voir les résultats de cette enquête, mais ça me surprendrait que le Qatar ait essayé de tourner l’opinion du Parlement européen juste au travers de quelques députés sociaux-démocrates. Je crains donc que ça soit plus grand que ça". D’autres noms pourraient donc tomber dans les jours qui viennent… "Je ne sais pas, mais j’ai peur que oui" craint le politique.

Le journaliste Louis Collard le subodore également : "Je n’ai pas de boule de cristal, mais l’enquête elle-même n’en est qu’à ses débuts. En trois jours, les enquêteurs ont sans doute récupéré je ne sais combien de téraoctets de données et ils vont peut-être commencer seulement aujourd’hui à analyser tout ça. Donc, ça va prendre des jours et des semaines. L’enquête n’en est qu’à ses débuts, mais les révélations, je ne sais pas".

Besoin de renforcer les règles

Mais comment est-ce possible aujourd’hui que des émissaires qataris puissent arroser avec de l’argent liquide des gens qui ont des postes haut placés au sein du Parlement européen ? Il y a tout de même une vice-présidente. Il n’y a pas de garde-fous au sein du Parlement européen pour empêcher ce type de corruption ? Selon Daniel Freund, "si les députés veulent prendre des sacs d’argent liquide, il n’y a aucune règle de transparence qui peut empêcher ça. C’est très bien que la police belge les ait interpellés et mène cette enquête. Mais je pense qu’il faut quand même réfléchir à renforcer nos règles. Moi, j’avais déjà proposé il y a trois ans un organe d’éthique indépendant qui vise à vraiment renforcer les règles qui sont des bonnes règles qu’on a au Parlement. Mais il faut dire aussi que les bonnes règles de transparence, surtout pour le lobbying qui existe au Parlement et dans la Commission, excluent pour le moment tous les États tiers. Donc, les règles qui s’appliquent à Ikea ou Apple ne s’appliquent pas du tout au Qatar, et je pense qu’il faut le changer, il faut qu’il rentre dans le registre des lobbyistes. Il faut aussi que les réunions avec les représentants des États tiers soient publiées de la même façon que les réunions avec les lobbyistes sont déjà publiées aujourd’hui. Il y a donc encore du travail à faire".

Si les députés veulent prendre des sacs d’argent liquide, il n’y a aucune règle de transparence qui peut empêcher ça

 

Sujet dans notre journal télévisé de ce dimanche

Parlement européen / 4 personnes sous mandat darrêt

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Plénière strasbourgeoise à haut risque

À quoi peut-on donc s’attendre pour la séance plénière de tout à l’heure à Strasbourg ? La crise serait donc très grave ?

Je pense que c’est un énorme risque pour les conflits d’intérêts

Daniel Freund l’affirme : "Oui, et je pense que si on veut éviter que ça impacte la réputation du parlement, il faut maintenant réagir avec des réformes là où c’est nécessaire. Je pense qu’on aura à la fois une suspension des votes — je l’espère en tout cas — sur la libéralisation des visas et une enquête sur quel vote et quelle prise de parole auraient pu être influencés, et en même temps une réflexion qui doit commencer sur quelles règles doivent être changées. Par exemple, c’est aujourd’hui légal d’inviter des eurodéputés à des voyages de luxe par les États. Je pense que ça ne devrait plus être possible, je pense que c’est un énorme risque pour les conflits d’intérêts. Donc, on doit examiner ce genre de règles".

 

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous