Bruxelles

Schaerbeek : le sommeil agité du lérot du petit bois

© VINCENT LEGRAND

On ne parle pas souvent du lérot. Pourtant, ce rongeur, qui peut mesurer jusqu’à 30 centimètres, au pelage roux gris et aux grands yeux cerclés de noir pourrait compliquer la vie du chantier de la VRT. La radio télé publique flamande s’apprête à entamer la construction de son nouveau siège. Mais le lérot ne dort que d’un œil.

Le lérot est un cousin du loir. Le lérot, surtout, n’est pas un animal facile à apercevoir. D’abord parce que, avec son pelage, il passe inaperçu au milieu des bois. Ensuite parce que c’est essentiellement un animal nocturne. Je me suis promené une heure dans le petit bois derrière les bâtiments de la VRT et de la RTBF, je n’en ai pas aperçu un seul. Pourtant, ce serait, d’après une étude de Natuurpunt (l’équivalent flamand Natagora), le lieu où on en trouve le plus à Bruxelles : 40% des lérots de la Région y vivraient (je suppose que les observateurs de Natuurpunt ont eu plus de patience que moi. Ou qu’ils avaient une pomme dans leur besace, il paraît que ces petits rongeurs en raffolent).

Combien d’accès au chantier ?

La deuxième quinzaine d’octobre, c’est le moment où les feuilles commencent à tomber et les températures à chuter. C’est aussi le moment où le lérot se prépare à hiberner. Mais son hibernation risque d’être quelque peu perturbée, tout au long des mois venir : en novembre, la VRT va entamer la construction de son nouveau site. Si le lieu choisi, derrière le bâtiment actuel de la radio-télé publique flamande, ne pose pas de souci, c’est une modification suggérée par la commune de Schaerbeek qui a mis le feu aux poudres.

Les plans initiaux prévoyaient que toutes les entrées et sorties au chantier se feraient par un seul accès. Un accès qui longe un immeuble d’habitations sociales, rue Evenepoel. Pour la commune, il fallait améliorer ce point. Il est prévu un camion toutes les minutes, via un chemin où deux véhicules ne peuvent pas se croiser. Schaerbeek a donc demandé qu’un deuxième accès soit créé, plus loin sur la rue Evenepoel. Et un troisième, avenue Georgin. Et c’est là que le bât blesse.

La commune dit qu’elle n’a fait qu’abattre quatre arbres. Vous voyez bien qu’il y en a beaucoup plus. C’est un massacre à la tronçonneuse !

Car, pour construire ce troisième accès, il a fallu abattre des arbres. Or, pour se déplacer dans les bois, le lérot grimpe dans les arbres. Si on les coupe, la petite bête est obligée de courir au niveau du sol. Au risque, dans le cas présent, de se faire écraser par les camions du chantier.

Heureusement, dans son malheur, le lérot a trouvé un allié : Guy Castadot s’occupe du comité de quartier. C’est un peu le héros des lérots. Cet ancien ingénieur des eaux et forêts est passionné de biodiversité. Je le rencontre devant le lieu du crime : un tas d’arbres abattus, le genre d’image à faire pleurer Idefix, le chien d’Obelix qui ne supporte pas la vue d’un arbre détruit. Et le genre d’image à énerver Guy Castadot : "La commune dit qu’elle n’a fait qu’abattre quatre arbres. Vous voyez bien qu’il y en a beaucoup plus. C’est un massacre à la tronçonneuse !" Du côté de Schaerbeek, on précise qu’un inventaire scrupuleux des arbres a été établi. Et que, quand la commune parle de quatre arbres, il s’agit de quatre arbres en plus de ceux dont l’abattage avait déjà été prévu et autorisé de longue date.

Les arbres abattus. Entourée en rouge, la passerelle à lérots
Les arbres abattus. Entourée en rouge, la passerelle à lérots © Tous droits réservés

Mais rien n’y fait : Guy Castadot fait remarquer que ces arbres ont mis soixante ans à atteindre leur taille. Et que, au moment où on parle de biodiversité et de lutter contre les îlots de chaleur, couper ces troncs n’est pas un bon signe :"Il y a une volonté très claire d’ignorer la nature, d’ignorer les espaces verts au profit du béton. Les arbres et les animaux, on s’en fout ! "

Je fais remarquer à mon interlocuteur que l’idée de dévier une partie du trafic du chantier loin d’un immeuble où habitent plusieurs centaines de personnes est peut-être une bonne idée. Il me fait alors remarquer que, juste en face de la sortie prévue, de l’autre côté de la rue, il y a aussi un immeuble d’habitation. "La différence, ajoute-t-il, c’est que ces appartements ne sont plus sur Schaerbeek, mais sur Evere…"

Et les lérots, là-dedans ? Eh bien, la VRT a pensé à eux puisqu’elle a installé une passerelle, pour leur permettre de passer d’un bout à l’autre de la future sortie du chantier sans risquer la mort par. "La passerelle ? " Castadot lève le bras pour me montrer un arbre. Ou plutôt une corde, à peine visible, qui crée une sorte de chemin d’arbre en arbre. C’est ce chemin que les petits animaux devraient emprunter. Mais mon interlocuteur n’y croit pas : "Je doute beaucoup que le lérot fasse le funambule sur ce truc. Et ils l’ont construit en vitesse hier après-midi".

Chantier temporairement suspendu

Mercredi, suite à une plainte de riverains, Bruxelles-Environnement a fait suspendre les travaux d’abattage, au motif que certaines conditions de la dérogation à l’ordonnance nature (qui régit la façon de gérer les espèces protégées) n’avaient pas été respectées. Divers compléments d’information ont été demandés à la VRT, qui les a fournies ce vendredi. Bruxelles Environnement doit à présent les analyser avant de décider s’ils sont de nature à rassurer sur le sort des lérots et donc à permettre la reprise du chantier.

Et si, en fin de compte, le permis n’est pas octroyé ? La VRT devrait alors se contenter des sorties du chantier prévues sur l’avenue Evenepoel. Au grand dam des habitants des habitations sociales.

Le lérot, à Bruxelles, est une espèce reconnued’intérêt régional ". Ce qui signifie que " la Région a une responsabilité particulière pour sa conservation en raison de son importance pour le patrimoine naturel régional. " La question de la cohabitation entre bien-être animal et bien-être humain, elle, reste toujours ouverte.

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