Belgique

Seize enfants belges et six femmes rapatriés de Syrie : le Parquet fédéral commente l'opération

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Par Sébastien Georis, avec L. Van de Berg et J-Fr. Noulet

Un avion transportant six femmes et seize enfants de moins de douze ans a atterri cette nuit à Bruxelles, L’information, recueillie par la RTBF et confirmée par le cabinet du Premier ministre, Alexander De Croo a été officialisée par le Parquet Fédéral. Ces familles se trouvaient dans le camp de Roj, administré par l’autorité régionale kurde dans le nord-est syrien, à proximité de la frontière irakienne.

A la suite des défaites du groupe terroriste Etat islamique en Syrie, les combattants hommes ont été emprisonnés alors que leurs femmes et leurs enfants ont été enfermés dans des camps comme ceux de Roj ou Al Hol. Les conditions de vie dans ces vastes étendues de tentes sont depuis des années décrites comme " inhumaines " par les défenseurs des droits humains, responsables humanitaires et observateurs.

"Pour notre sécurité nationale, un retour contrôlé constitue la meilleure garantie d’un suivi adéquat par tous les services compétents", souligne l’Organe de coordination pour l’analyse (OCAM) dans son communiqué publié ce mardi en fin de matinée. "La situation sécuritaire dans les camps est très fragile et des évasions ne sont pas à exclure. Si un individu venait à disparaître des radars des services de sécurité, les risques sur le plan sécuritaire seraient, certainement à terme, largement supérieurs. Grâce à cette action, nous avons plus de contrôle", poursuit l’OCAM.

La plupart de ces femmes rapatriées ont déjà fait l’objet d’une condamnation dans notre pays, explique l’OCAM. Seule une minorité d’entre elles doit encore être jugée. Elles font toutes l’objet d’un mandat d’arrêt. À leur retour, elles feront l’objet d’un suivi rapproché, tant pendant qu’après leur séjour en prison, entre autres au sein des structures de la Stratégie TER.

L’OCAM dispose d’une analyse individuelle de la menace pour chacune d’entre elles. Cela permet l’organisation d’une approche ciblée, la mieux adaptée que possible à chaque individu.

 

A la suite des défaites du groupe terroriste Etat islamique en Syrie, les combattants hommes ont été emprisonnés alors que leurs femmes et leurs enfants ont été enfermés dans des camps.
A la suite des défaites du groupe terroriste Etat islamique en Syrie, les combattants hommes ont été emprisonnés alors que leurs femmes et leurs enfants ont été enfermés dans des camps. © AFP or licensors

Au mois de mai, la Belgique avait envoyé une mission au camp de Roj pour déterminer, à l’aide de relevés ADN, combien d’enfants belges s’y trouvaient. Il s’agissait aussi d’auditionner les mères afin d’évaluer leur niveau de radicalisation. Dans la foulée, Alexander De Croo défendait le retour en Belgique des familles de djihadistes en faisant remarquer que "les enfants n’ont pas à payer pour les choix de leurs parents". Parmi les conditions donnant accès au rapatriement pour les mères : afficher une volonté de retour et avoir pris ses distances avec l’idéologie extrémiste.

"La priorité du Conseil National de Sécurité a toujours été de mettre les enfants de nationalité belge en sécurité et de leur offrir un futur en Belgique", précise ce mardi matin le Premier ministre.

Une mission délicate

Préparée depuis plusieurs semaines, la mission de rapatriement a été menée dans la plus grande discrétion par les Affaires étrangères et la Défense en coopération avec les services de renseignement, la police et le parquet fédéral. Cette opération, si elle n’est pas inédite, n’en restait pas moins délicate.

Le camp de Roj. Les conditions de vie dans ces vastes étendues de tentes sont décrites comme « inhumaines ».
Le camp de Roj. Les conditions de vie dans ces vastes étendues de tentes sont décrites comme « inhumaines ». © AFP or licensors

Le groupe terroriste Etat islamique représente toujours une menace importante dans le nord-est de la Syrie. Au mois de janvier, des dizaines de djihadistes ont attaqué un grand établissement pénitentiaire afin de libérer des détenus et de regarnir les rangs du groupe terroriste.

Avion militaire médicalisé, hôpital pour les enfants, prison pour les mères

C’est à bord d’un avion militaire que les mères et leurs enfants ont été rapatriés. Il s’agissait d’un avion médicalisé. "Chaque enfant a pu compter sur une personne parlant sa langue et toutes et tous ont reçu une nourriture adaptée ainsi que des vêtements supplémentaires et des peluches", a expliqué Mar De Mesmaeker, Commissaire général de la Police fédérale.

A leur arrivée en Belgique, les enfants ont été pris en charge dans un hôpital pour un bilan de santé. Les mères, elles, ont pris la direction de la prison. "A leur arrivée en Belgique, le Parquet fédéral a fait procéder à la privation de liberté de toutes ces personnes majeures, en exécution des peines préventives de liberté auxquelles elles ont été condamnées. Il s’agit de peines allant jusqu’à cinq ans de prison", a expliqué Frédéric Van Leeuw, le Procureur fédéral.

Une quinzaine d’hommes belges sont toujours en Syrie, mais ne sont pas concernés par les rapatriements. Les femmes et les enfants rapatriés la nuit dernière étaient les derniers à répondre aux conditions de rapatriement, notamment celle d’avoir des liens familiaux. "Il y a eu pour tous les enfants une analyse ADN qui a été faite. Il fallait aussi que les personnes majeures renoncent, évidemment, à l’idéologie qu’elles ont embrassée en allant là-bas", a expliqué Frédéric Van Leeuw, le Procureur fédéral. "Il fallait également que le retour soit volontaire. Ce n’est pas un retour de force puisqu’il est impossible d’exercer ou d’exécuter un mandat d’arrêt en Syrie", a ajouté Frédéric Van Leeuw. C’est à leur arrivée sur le sol belge que les mandats d’arrêt ont été exécutés.

 

 

Arguments humanitaire et sécuritaire

En juillet dernier, lors d’une opération du même type ayant permis le retour de six femmes et dix enfants, Alexander De Croo avait évoqué le risque de voir les enfants présents en Syrie devenir "les terroristes de demain". "Nous ne pouvons pas le tolérer. On doit donc tout faire pour les sortir de là", insistait le Premier ministre.

"Des actions telles que le rapatriement de ressortissants belges réduisent le risque que ceux-ci ne se radicalisent davantage. Un environnement stable et sûr pour les enfants augmente leurs chances d’avoir un avenir normal dans notre société", déclare l’Organe de Coordination pour l’Analyse de la Menace (OCAM) dans un communiqué publié ce mardi en matinée.

Lors d’un reportage dans les camps du nord-est syrien de Roj et d’Al Hol en décembre 2020, la RTBF avait pu constater que des groupes de femmes faisaient régner la violence et endoctrinaient leur entourage, même les enfants.

Au total, une quarantaine d’enfants sont revenus depuis le début du conflit. Ils ont été recueillis par les services compétents en matière d’accompagnement de mineurs en Belgique. "Sur la base des informations à la disposition de l’OCAM, la plupart de ces enfants évoluent positivement", communique l’OCAM.

Depuis le début du conflit en Syrie et en Irak, un total d’environ 140 Belges sont rentrés. "Même si l’on constate, pour la plupart, des signes positifs de réintégration et d’abandon de l’idéologie extrémiste, un certain nombre d’entre eux restent encore réceptifs à cette idéologie. Ils continuent à être suivis par le biais d’une approche individualisée et sur mesure dans le cadre de la Stratégie TER, qui assure la coopération entre tous les services concernés, à tous les niveaux de pouvoir et dans le cadre de leurs compétences", communique l’OCAM.

Les personnes les plus extrémistes font l’objet d’un suivi prioritaire par les services de sécurité. D’autres bénéficient d’une approche plus socio-préventive, axée sur la réintégration dans notre société. Bien que le risque zéro n’existe pas, les risques sont considérablement réduits grâce à cette approche.

L’insécurité règne dans le camp d’Al Hol.
L’insécurité règne dans le camp d’Al Hol. © AFP or licensors

Le climat de violence et l’insécurité régnant au camp d’Al Hol, parfois surnommé le "petit califat", n’avaient pas permis à une mission belge de s’y rendre l’année dernière. Les femmes et les enfants qui s’y trouvaient n’avaient donc pas pu être identifiés et rapatriés. Depuis lors, certaines de ces familles ont été transférées au camp de Roj où les conditions de sécurité sont moins précaires et où il a été possible de mener une mission préparatoire au mois de mai, puis l’opération de rapatriement ces dernières heures.

Outre les personnes transférées d’Al Hol par les autorités locales, la situation de certaines personnes vivant depuis plus longtemps au camp de Roj semble avoir évolué, permettant aujourd’hui leur retour.

De retour en Belgique, les seize enfants sont désormais pris en charge par une équipe médicale afin d’évaluer leur état de santé physique et mentale. Un juge de la jeunesse choisira ensuite quel cadre de vie semble le plus approprié pour eux, au cas par cas.

Les femmes doivent être incarcérées. Elles ont été condamnées en Belgique, en leur absence, pour participation aux activités d’un groupe terroriste. "Les analyses de l’OCAM (Organe de coordination pour l’analyse de la menace) démontrent que le rapatriement des mères renforce notre sécurité nationale, permettant un meilleur suivi et renforçant le contrôle", rappelle le Premier ministre ce matin. Le parquet fédéral soutient la même analyse.

Quant aux hommes emprisonnés en Syrie, le gouvernement belge ne souhaite pas les rapatrier. Ces djihadistes belges détenus dans les prisons syriennes sous contrôle de l’autorité régionale kurde seraient entre 10 et 15, attendant sur place un hypothétique procès.

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