Si le dossier pédagogique informe des viols commis en Belgique, il ne leur applique pas le même procédé de spectacularisation. Alors que les femmes sans-abri subissent massivement des violences sexuelles – Anne Lorient, une Française anciennement SDF, déclare avoir été "violée 70 fois en 17 ans de rue" -, tout comme une aide-ménagère sur trois en Belgique et, selon des études canadiennes, entre 70 et 90% des femmes autistes, le dossier pédagogique ne daigne pas publier leurs témoignages, pourtant tout aussi glaçants. Le constat est d’autant plus frappant pour les mineur·es.
Alors qu’il est question de viols correctifs sur des adolescentes lesbiennes en Afrique du Sud ou de pédocriminalité de la part d’un prêtre au Nicaragua (ce qui est ironique quand on connait la prévalence de ces crimes au sein de l’Eglise belge), les violences perpétrées sur des enfants par des hommes occidentaux brillent par leur absence.
D’un côté, des hommes noirs violeurs d’une extrême brutalité. De l’autre, des hommes blancs qui ont dérapé
Or, en Belgique, on estime que 2 à 4 élèves par classe sont victimes d’inceste ; quatre mineur·es signalent chaque jour avoir été victimes d’agressions sexuelles, un chiffre largement sous-estimé puisque seul un tiers des victimes romprait le silence. La Belgique n’est pas étrangère non plus aux cyber-violences sexuelles, qui toucheraient 20% des adolescent·es dont une majorité de filles, ni à la prostitution infantile, au trafic d’enfants, à la consommation de pédopornographie, ou au tourisme pédosexuel, commercialisé en ligne dans ses formes les plus récentes. Et pourtant…
Dans le dossier, pédagogique, du côté des enfants et adolescent·es violenté·es au "Nord", c’est silence radio. En revanche, les mariages d’enfants au "Sud" (pas ceux d’enfants blancs aux Etats-Unis) et les mutilations génitales féminines sont sur le devant de la scène. Le dossier ne survisibilise pas n’importe quelles violences, mais celles qui incarnent l’altérité radicale, invoquée depuis l’ère coloniale pour marquer la supériorité des civilisations occidentales.
Ces réalités n’existent-elles pas ? N’a-t-on pas raison de les dénoncer ? Sans aucun doute. Mais, là encore, évitons l’écueil du traitement différencié, a fortiori dans un contexte où le racisme biologique a cédé la place à un racisme de type culturel. En l’occurrence : cessons d’attribuer à "leur culture" les violences des hommes racisés, et à une pathologie mentale celles commises par des hommes blancs. Comme le résume la sociologue Sherene Razack : "Quand des hommes blancs tirent sur leurs femmes et leurs enfants et mettent le feu à la maison, personne ne considère que c’est une pratique typique de la culture blanche".
Or, les violences commises par des hommes occidentaux s’articulent aussi à une culture majoritaire : l’emphase sur l’individu autonome, la nucléarisation des familles, associées à la misogynie, favorisent l’isolement des femmes et, partant, leur exposition à la violence au sein des foyers. Mais si la violence peut parfois, selon les contextes culturels, prendre des formes différentes, c’est bien le patriarcat qui en reste la cause.
Qualifier les mariages d’enfants de "pratiques culturelles" est un raccourci dangereux, qui occulte l’impact de facteurs historiques et socio-politiques. En mettant en exergue l’expression la plus extrême du mariage forcé, comme celle de l’union d’une enfant yéménite de neuf ans à un vieillard qui la bat et la viole, le tout sans contextualisation, et en présentant cela comme le reflet d’une culture, on apporte de l’eau au moulin des discours xénophobes.
Il serait bien utile de rappeler dans ce type de dossier pédagogique que, quel que soit le contexte culturel, la guerre favorise l’amplification et la multiplication des violences de genre les plus cruelles.