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Serge Brammertz, procureur du MTPI : "L’objectif de la justice internationale est toujours la réconciliation"

Le procureur Serge Brammertz en 2010 avec Hatidza Mehmedovic, l’une des survivantes du massacre de Srebrenica.

© AFP

Un chapitre se referme dans l’histoire encore balbutiante de la justice internationale qui cherche à juger les crimes les plus graves commis dans le monde. Le verdict prononcé mardi contre Ratko Mladic clôture le dernier grand procès international portant sur les faits commis durant la guerre d’ex-Yougoslavie, durant les années 90.

Ratko Mladic, en détention à La Haye, a été condamné à une peine de prison à vie par la Chambre d’appel du Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux qui statuait sur son sort. Dans la foulée, le procureur du MTPI, le Belge Serge Brammertz, a accordé une interview à nos envoyés spéciaux à La Haye pour le faire le bilan du travail accompli sur l’ex-Yougoslavie, où les justices nationales doivent à présent poursuivre des enquêtes, et sur sa mission concernant le génocide des Tutsis au Rwanda.

Le jugement de Ratko Mladic en appel confirme intégralement celui prononcé en première instance. Est-ce satisfaisant pour vous ?

Nous sommes très satisfaits de la confirmation de la peine de prison à perpétuité. Les juges ont rejeté les arguments de la défense. La condamnation est confirmée en appel pour le nettoyage ethnique de toute une série de municipalités, à Sarajevo et à Srebrenica.

Mais vous aviez interjeté appel pour que les crimes commis dans les municipalités soient qualifiés comme de génocide. Pourquoi n’avez-vous pas été suivi sur ce point ?

Nous avions interjeté appel parce que nous estimions que les crimes commis dans les municipalités méritaient cette qualification de génocide. Nous avions des preuves de l’intention criminelle de Mladic, et le nombre de personnes tuées dans ces municipalités justifiait, à nos yeux, cette qualification. Malheureusement, les juges n’ont pas suivi, comme ce fut le cas en première instance. En soi, c’était attendu. Le plus important, c’est que les juges aient condamné ces faits en tant que crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les victimes ont pu constater que justice avait été rendue, avec au final une condamnation à vie pour génocide, crime de guerre et crime contre l’humanité.

Vous soulignez que Ratko Mladic doit désormais être considéré comme un criminel. Pourquoi ?

L’un des grands problèmes dans l’ex-Yougoslavie, c’est que beaucoup de personnes condamnées à La Haye sont toujours considérées comme des héros dans leurs sociétés. Ces personnes sont exactement l’inverse d’un héros. Il s’agit de criminels de guerre. Ils ne sont pas poursuivis pour avoir défendu leur peuple ni pour avoir été des soldats. Ils sont poursuivis parce qu’ils ont commis de violations graves des Conventions de Genève : ils ont exécuté des prisonniers, autorisé des viols massifs, chassé des gens de leurs maisons ou ont exécuté, comme à Srebrenica, 8000 hommes et garçons. Nous espérons que ces décisions vont faire en sorte que les hommes politiques dans ces pays soient plus responsables et arrêtent de glorifier ces personnages.

La persistance d’un négationnisme serbe sur les crimes commis durant la guerre ne révèle-t-il pas un échec de la communauté internationale à établir les faits de façon incontestable ?

C’est clairement très décevant que nous en soyons arrivés là. Je ne suis pas sûr que ce soit la responsabilité de la justice internationale, même si la réconciliation est toujours l’objectif. Je ne pense pas que des poursuites devant des juridictions puissent automatiquement amener à une réconciliation. La réconciliation doit venir de l’intérieur d’une société, des victimes et des auteurs. Aujourd’hui, nous voyons que de nombreux hommes politiques de la région refusent la justice internationale. Il est extrêmement important d’avoir ces procès et ces condamnations parce que, si une société veut essayer d’avoir un avenir commun, elle doit se mettre d’accord sur son passé. Et pour se mettre d’accord sur le passé, il faut savoir qui est responsable de la souffrance de centaines de milliers de personnes. Je crois donc que le travail fait par le tribunal a été très important. Malheureusement une lecture parfois différente est faite en ex-Yougoslavie. Nous espérons vraiment que les hommes politiques vont être plus responsables à l’avenir.


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Était-ce le dernier grand procès international sur les faits qui se sont déroulés durant la guerre en ex-Yougoslavie ?

Oui, même si nous attendons encore un jugement à la fin du mois, celui de Jovica Stanišić et Franko Simatović, les patrons du service de renseignement serbe à Belgrade. C’est un procès important, mais qui n’a pas le même impact que le procès Mladic. Après les procédures en appel contre Karadzic et Mladic, on peut estimer que l’intervention directe de la justice internationale se termine aujourd’hui.

C’est la fin d’un chapitre, mais il y a encore beaucoup de travail à faire en ex-Yougoslavie. Plus de 150 personnes ont été poursuivies par le tribunal pour l’ex-Yougoslavie depuis 1994. Mais en Bosnie-Herzégovine, il y a plus de 3500 individus qui font l’objet d’enquêtes et de poursuites. Ce processus va continuer pendant des années : le tribunal et son successeur, le Mécanisme dont je suis le procureur, va apporter une aide considérable car nous avons plus de dix millions de documents au sujet des guerres en ex-Yougoslavie. Ces documents sont mis à disposition des procureurs dans la région. Ce sont les éléments de preuve que nous avons utilisés pendant les 161 procès qui ont eu lieu. Les personnes que nous avons poursuivies ici sont les auteurs principaux, des officiers supérieurs et des hommes politiques. Mais il reste encore beaucoup d’officiers de rang inférieur, voire des soldats, qui ont participé d’une manière massive à la commission de ces crimes. Ces hommes doivent encore faire l’objet d’enquêtes et de poursuites au niveau national.

Par ailleurs, le Mécanisme dont vous êtes le procureur est également en charge du génocide des Tutsis au Rwanda. Sur ces faits, beaucoup de travail reste à accomplir ?

Absolument. Je passe la moitié de mon temps à Kigali et à Arusha. L’année dernière, l’arrestation de Félicien Kabuga fut une réussite importante, après 20 années de fuite. Nous avons encore six autres fugitifs. Je me rends régulièrement dans des pays comme l’Afrique du Sud, l’Ouganda, la RDC ou le Zimbabwe où nous pensons trouver des éléments importants qui nous aident dans la recherche des derniers fugitifs. Le procès Kabuga devrait commencer à la fin de l’année. Parmi les fugitifs figure encore Protais Mpiranya, l’ancien commandant de la garde présidentielle au début du génocide dans lequel il a joué un rôle majeur. Cet individu a également joué un rôle dans l’assassinat des dix casques bleus belges. S’il est arrêté, cela déboucherait sur un procès important.

Vous avez été le procureur du Tribunal Spécial pour le Liban, qui poursuit les responsables de l’attentat commis contre le Premier ministre Rafic Hariri, en 2005. Ce Tribunal n’est plus en mesure d’organiser un procès par manque de financement. N’est-ce pas un mauvais signal ?

C’est certainement décevant. C’est le problème des initiatives judiciaires financées par des contributions volontaires des Etats. Notre tribunal, le Mécanisme, est financé par le budget régulier des Nations Unies. Nous n’avons pas ce genre de problème. Il est dommage qu’il n’y ait pas la volonté nécessaire de permettre au Tribunal pour le Liban d’aller jusqu’au bout. L’auteur principal a été condamné à vie l’année dernière. Mais il y a d’autres dossiers pour lesquels des poursuites étaient encore prévues. C’est dommage.

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