Le jugement de Ratko Mladic en appel confirme intégralement celui prononcé en première instance. Est-ce satisfaisant pour vous ?
Nous sommes très satisfaits de la confirmation de la peine de prison à perpétuité. Les juges ont rejeté les arguments de la défense. La condamnation est confirmée en appel pour le nettoyage ethnique de toute une série de municipalités, à Sarajevo et à Srebrenica.
Mais vous aviez interjeté appel pour que les crimes commis dans les municipalités soient qualifiés comme de génocide. Pourquoi n’avez-vous pas été suivi sur ce point ?
Nous avions interjeté appel parce que nous estimions que les crimes commis dans les municipalités méritaient cette qualification de génocide. Nous avions des preuves de l’intention criminelle de Mladic, et le nombre de personnes tuées dans ces municipalités justifiait, à nos yeux, cette qualification. Malheureusement, les juges n’ont pas suivi, comme ce fut le cas en première instance. En soi, c’était attendu. Le plus important, c’est que les juges aient condamné ces faits en tant que crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les victimes ont pu constater que justice avait été rendue, avec au final une condamnation à vie pour génocide, crime de guerre et crime contre l’humanité.
Vous soulignez que Ratko Mladic doit désormais être considéré comme un criminel. Pourquoi ?
L’un des grands problèmes dans l’ex-Yougoslavie, c’est que beaucoup de personnes condamnées à La Haye sont toujours considérées comme des héros dans leurs sociétés. Ces personnes sont exactement l’inverse d’un héros. Il s’agit de criminels de guerre. Ils ne sont pas poursuivis pour avoir défendu leur peuple ni pour avoir été des soldats. Ils sont poursuivis parce qu’ils ont commis de violations graves des Conventions de Genève : ils ont exécuté des prisonniers, autorisé des viols massifs, chassé des gens de leurs maisons ou ont exécuté, comme à Srebrenica, 8000 hommes et garçons. Nous espérons que ces décisions vont faire en sorte que les hommes politiques dans ces pays soient plus responsables et arrêtent de glorifier ces personnages.
La persistance d’un négationnisme serbe sur les crimes commis durant la guerre ne révèle-t-il pas un échec de la communauté internationale à établir les faits de façon incontestable ?
C’est clairement très décevant que nous en soyons arrivés là. Je ne suis pas sûr que ce soit la responsabilité de la justice internationale, même si la réconciliation est toujours l’objectif. Je ne pense pas que des poursuites devant des juridictions puissent automatiquement amener à une réconciliation. La réconciliation doit venir de l’intérieur d’une société, des victimes et des auteurs. Aujourd’hui, nous voyons que de nombreux hommes politiques de la région refusent la justice internationale. Il est extrêmement important d’avoir ces procès et ces condamnations parce que, si une société veut essayer d’avoir un avenir commun, elle doit se mettre d’accord sur son passé. Et pour se mettre d’accord sur le passé, il faut savoir qui est responsable de la souffrance de centaines de milliers de personnes. Je crois donc que le travail fait par le tribunal a été très important. Malheureusement une lecture parfois différente est faite en ex-Yougoslavie. Nous espérons vraiment que les hommes politiques vont être plus responsables à l’avenir.
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Était-ce le dernier grand procès international sur les faits qui se sont déroulés durant la guerre en ex-Yougoslavie ?
Oui, même si nous attendons encore un jugement à la fin du mois, celui de Jovica Stanišić et Franko Simatović, les patrons du service de renseignement serbe à Belgrade. C’est un procès important, mais qui n’a pas le même impact que le procès Mladic. Après les procédures en appel contre Karadzic et Mladic, on peut estimer que l’intervention directe de la justice internationale se termine aujourd’hui.
C’est la fin d’un chapitre, mais il y a encore beaucoup de travail à faire en ex-Yougoslavie. Plus de 150 personnes ont été poursuivies par le tribunal pour l’ex-Yougoslavie depuis 1994. Mais en Bosnie-Herzégovine, il y a plus de 3500 individus qui font l’objet d’enquêtes et de poursuites. Ce processus va continuer pendant des années : le tribunal et son successeur, le Mécanisme dont je suis le procureur, va apporter une aide considérable car nous avons plus de dix millions de documents au sujet des guerres en ex-Yougoslavie. Ces documents sont mis à disposition des procureurs dans la région. Ce sont les éléments de preuve que nous avons utilisés pendant les 161 procès qui ont eu lieu. Les personnes que nous avons poursuivies ici sont les auteurs principaux, des officiers supérieurs et des hommes politiques. Mais il reste encore beaucoup d’officiers de rang inférieur, voire des soldats, qui ont participé d’une manière massive à la commission de ces crimes. Ces hommes doivent encore faire l’objet d’enquêtes et de poursuites au niveau national.