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Sexualité sous surveillance : quelle intimité pour les femmes en prison ?

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‘Sexualité sous surveillance’interroge l’intimité et la sexualité des femmes en prison à travers plusieurs témoignages. Relations entre détenues, relations avec le personnel aussi, relations avec les conjoints extérieurs enfin. Des témoignages rares.

Les femmes représentent un peu plus de 4% des personnes incarcérées en Belgique, elles sont donc largement minoritaires dans les prisons belges. Elles sont aussi les oubliées du système carcéral. Les rares études qui les concernent sont centrées sur la maternité. Pourtant, être femme, ce n’est pas qu’être mère. C’est aussi avoir des désirs, des désirs sexuels notamment. Mais en prison, le plaisir féminin reste tabou. Pourtant, l’Organisation Mondiale de la Santé considère la sexualité comme un facteur essentiel à la santé et au bien-être.

Les yeux de la prison

"Une fois que tu es en prison, tu ne t’appartiens plus. Tu n’es plus à toi", dit Valérie, ancienne détenue de la maison d’arrêt de Berkendael.

Le système carcéral s’immisce dans l’intimité des détenues, pour la contrôler. Que faire quand son propre corps file entre ses doigts ? Prendre sur soi, oublier, se résigner, accepter, accepter de ne plus être maître de son corps. Quel est l’impact de la surveillance sur l’intimité de ces femmes en prison ?

"Le rapport et le contact entre codétenues sont interdits, sous peine de rapport disciplinaire. Tu n’as plus de visite, tu n’as plus de cantine, tu n’as plus droit à rien. Tu n’as déjà rien, mais tu n’as plus droit au moins que rien. […] Le règne de la terreur, c’est ça en fait. Pas de contact. Parce que là, on parle de sexualité, mais la sexualité, c’est un contact. Même si tu prenais la main à une codétenue, hop, hop, hop, hop, elles arrivaient, à 4, 5, 6 : non ! C’est vraiment : le bonheur, non, sous aucun prétexte !"

Les yeux de la prison ne dorment jamais. Ils voient tout. C’est une présence qui poursuit les détenues jusque dans leur cellule. Ces yeux, c’est un judas, un oeilleton, un guichet, une fenêtre, peu importe comment on décide de l’appeler. C’est un moyen d’être surveillée qui est incontrôlable pour les détenues.

"En prison, toutes les heures, on contrôle. On allume la lumière, on lève le judas. Donc, même l’autoplaisir, c’est hyper compliqué."

Ce contrôle permanent, ces regards incessants à travers l’oeilleton, Valérie et d’autres détenues les perçoivent comme une violence de l’intime. Mais parfois, ce sont les murs qui ont des oreilles.

"Tu as un boîtier dans ta cellule avec une sorte d’alarme, où tu peux appuyer sur un bouton en cas de danger. En fait, tu communiquais avec la tour de contrôle et on savait que les gardiens pouvaient aussi appuyer sur le bouton et écouter ce qu’il se passait dans les cellules."

© Getty Images

Pas le droit au plaisir

Laura, assistante sociale, côtoie quotidiennement des femmes incarcérées.

"La notion de plaisir est comme totalement absente d’ici et c’est même comme si elle n’avait pas sa place dans un lieu de punition. […] Et donc, je n’aurais pas le droit de me masturber, de prendre du plaisir, je n’aurais pas le droit de découvrir le plaisir féminin. Je pense vraiment qu’il y a quelque chose de cet ordre-là."

La sexualité n’aurait donc pas sa place au sein de la prison. Elle est déjà une problématique centrale dans le parcours de la plupart des femmes incarcérées. Leur perception de la sexualité est trompée par leur passé, souvent ponctué de violence. La boussole interne de ces femmes est déréglée. Etouffer cette sexualité en prison leur fait alors davantage perdre le nord.

"En prison, la plupart des femmes ont vécu des traumatismes liés au sexe durant l’enfance, ou en tout cas à la violence. Moi, la sexualité en prison, ça n’a fait qu’exacerber ce sentiment de colère, de frustration, de peur, de révolte. Donc en fait, ça décuple la violence interne qu’on a subie et qu’on continue à subir en prison", explique Valérie.

Les détenues perdent la sensation de l’étreinte. Alors que plus que jamais, elles ont besoin de chaleur humaine, d’un rapport affectif qui remettra leur pendule à l’heure.

Et puis, le fait juste d’être considérée. Dans n’importe quelle société, on est toujours là avec le regard de l’autre, le besoin d’approbation, le besoin d’estime, le besoin d’être aimé, le besoin d’être regardé, le besoin qu’on dise "woaw", et "je prends soin de toi".

En couple en prison

Même limitée par le système carcéral, la sexualité devient une résistance à l’enfermement. Alors, trouver un peu de compagnie, c’est ce qui permet aux femmes de surmonter la détention.

Comme dans toute relation amoureuse, la distance est difficile à vivre. Mais la distance en prison se traduit autrement. Parce qu’une des difficultés d’être un couple incarcéré, c’est qu’il y en a souvent une des deux qui sort avant l’autre.

Le contexte de l’enfermement a aussi tendance à bousculer les normes de la sexualité. A la recherche d’affection, certaines femmes, pourtant se définissant comme hétérosexuelles, se tournent vers leurs codétenues et se découvrent une attirance pour le corps des femmes.

Anna, incarcérée à Berkendael, écrit : "[…] Je me redécouvre en même temps que j’apprécie les formes, les cicatrices, les silhouettes des autres femmes. Maintenant, j’aime mon corps et j’aime le toucher. J’aime aussi que les autres le touchent lors d’une embrassade, d’un geste affectueux, une main posée sur le bras, sur l’épaule."

Les relations entre agent·e·s et détenues

Pour combler leur solitude, certaines détenues sont prêtes à tout, même à se tourner vers ceux qui détiennent leur liberté. C’est le cas de Valérie.

"Moi, j’avais juste besoin de tendresse. […] Là, je sors de ma cellule, je vois une gardienne. Je n’ai pas le choix, je suis hétéro, je vais avoir une relation homo. C’est la solitude, c’est la misère sexuelle, la misère de l’amour qui fait que tu tombes amoureuse de ton bourreau. D’une manière ou d’une autre, comme disait Jacques Brel, il faut que le corps exulte. Je détestais ce que je faisais, mais j’en avais besoin. Il n’y a rien à faire, on est humain. […]"

Grâce à cette relation, Valérie a pu avoir des privilèges : de l’alcool, du cannabis,… "parce que la prison c’est ça, on est tellement brimé que le moindre privilège, c’est du bonheur."

Les relations entre agent·e·s et détenues, c’est courant. Le règlement dit que toute relation entre agent·e·s et détenues est interdite, même après la libération, parce que les détenues sont toujours susceptibles de récidiver et de retourner en prison par la suite.

Quand le partenaire est à l’extérieur

Faire perdurer une relation avec l’extérieur, c’est compliqué.

Il y a trois types de visite. Les visites au carreau, avec une paroi qui sépare la détenue de son visiteur ; les visites à table, où le contact est autorisé mais régulé ; et les visites hors surveillance, appelées VHS, pour un moment d’intimité totale dans un petit studio aménagé au sein de la prison. Pour les couples, c’est l’occasion de se retrouver juste à deux, même si le chemin administratif peut être long et les conditions difficiles…

Florence est incarcérée à l’époque à Mons. Daniel, son conjoint raconte :

"Les VHS, c’est d’abord de la tendresse. Bien sûr, il arrive presque systématiquement la sensualité, le sexe. C’est bien, c’est sain, c’est inévitable. Mais, en tout cas pour nous, c’est d’abord l’intimité, et l’intimité, ce n’est pas forcément le sexe. L’intimité, c’est se tenir dans les bras, c’est pouvoir s’embrasser sans arrière-pensée, sans être surveillés. C’est pouvoir être plus naturels dans notre comportement."

"Nous avons fait l’amour à notre quatrième VHS, ajoute Florence. Il ne faut pas sous-estimer l’adaptabilité de l’être humain, il se fait à tout. […] Faire l’amour en faisant abstraction de l’ensemble de la pièce, de l’endroit, des commentaires car nous sommes dans le couloir du cachot. […]"

Les conditions à Berkendael sont plus agréables, même si ça ne remplacera jamais une relation normale. "Nous avons droit à 2 VHS par mois, de 4 heures, explique Daniel. […] C’est une sexualité totalement contrainte, c’est même une vie intime ou amoureuse totalement contrainte. Ça fait partie du jeu, malheureusement ça fait partie du système comme il fonctionne. […] Il faut prendre ce qu’on te donne, être content de ce que tu as et le savourer au maximum des possibilités qui te sont offertes."

Est-ce que, dans l’absolu, c’est une vie sexuelle, une vie intime épanouissante ? Absolument pas.


‘Sexualité sous surveillance’, réalisé par Sarah Duchêne, Elise Leloup, Paul-Louis Godier, Lisa Guilmot et Céline Therer à l’occasion d’un mémoire de fin d’études à l’IHECS, l’Institut des Hautes Etudes des Communications Sociales.
Illustration podcast : Emel Aydin


 

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