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Seychelles : la menace silencieuse de la montée des eaux

Tortue géante aux Seychelles

© Sandra Douceré – Anna Bellissens

C’est une carte postale aux nuances de bleu, un paradis tropical composé de 115 confettis granitiques et coralliens, situés à peine au-dessus du niveau de la mer.

Lors des dernières saisons cycloniques, tempêtes et vagues ont entamé comme jamais les plages qui font la réputation de la destination Seychelles. Des événements qui confirment les projections des Nations unies : la montée des eaux liée au changement climatique concerne 80% des Seychellois vivant en bord de mer, mais également les installations touristiques. Préserver la faune et la flore de cette menace imminente est devenu une priorité pour les autorités de ce micro-état insulaire.


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Les tortues géantes de l’île Curieuse : premières réfugiées climatiques de l’archipel

Sur l’île de Curieuse, les touristes sont de retour. A quelques mètres de la plage de sable blanc sur laquelle ils sont autorisés à débarquer : les premières réfugiées climatiques des Seychelles. Des tortues géantes endémiques de l’archipel, qui portent leur énorme carapace. Les doyennes pèsent plus de 250 kilos, et cela ne les empêche pas de quémander des caresses auprès de leurs visiteurs d’un jour.


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Émeline Ravaux a décollé de Paris. Cette rencontre très concrète avec des réfugiées climatiques d’une autre espèce est l’une des surprises de son séjour aux Seychelles. Comme tous les candidats au voyage pour Curieuse, elle s’est acquittée d’une écotaxe qui finance le travail de conservation des espèces sur l’île. " Je n’ai aucun problème à payer si c’est pour que mon argent serve à des réserves comme celle-ci ", commente la jeune Française en caressant la tête de l’une d’entre elles.

Comme la plupart de ses congénères, le reptile centenaire a été transféré de son atoll natal pour échapper à la montée des eaux. "Les tortues terrestres qui vous voyez ici, viennent de l’atoll corallien d’Aldabra ", explique un guide touristique face à un groupe de touristes germanophones.

Trésor universel

Aldabra, c’est quatre grandes îles de corail qui enferment une lagune peu profonde. C’est aussi l’un des plus grands atolls du monde. Il abrite l’un des habitats naturels les plus importants de la planète. L’ensemble est entouré d’un récif de corail, préservé de l’influence humaine, en tout cas de manière directe. Un site de valeur universelle exceptionnelle menacé par les émissions de gaz à effet de serre.

Les premiers transferts de tortues géantes remontent aux années 1970. Aujourd’hui, ces déplacées sont près de 250 à Curieuse, bien ancrées à leur port d’adoption. " Celle-ci est la plus vieille des déplacées d’Aldabra, elle a 110 ans ", affirme Derek, un ranger du Parc Marin des Seychelles. Ce garde pose le pied à terre entre deux patrouilles en bateau. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la menace pour ces îles coralliennes, l’océan, est aussi sa plus précieuse réserve de biodiversité. " Cela arrive de plus en plus souvent que la côte s’érode sur ce littoral, surtout pendant la saison cyclonique ", explique Derek, à bord de son " speedboat " qu’il ne pousse jamais à pleine vitesse pour ne pas déranger la faune marine, et surtout avoir le temps de relever les infractions dans le Parc Marin.

© Sandra Douceré – Anna Bellissens

Comme à terre, l’accès à ces eaux protégées est soumis à une taxe. Pour s’adonner aux activités de pêche de loisir ou de plongée, il faut payer. Car l’avenir de cet écosystème exceptionnel est en jeu. Le bateau de Derek est à l’arrêt. Une tortue imbriquée sort sa tête de l’eau pour respirer. Un instant suspendu, puis elle sonde dans le bleu azur de l’océan indien. La tortue imbriquée figure sur la liste des espèces en danger critique d’extinction. Mais grâce au travail des rangers seychellois, sa population croît de nouveau à Curieuse. La saison des pontes est chaque année une période de grande activité pour les conservateurs de l’île.


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La conservation des espèces mise à l’épreuve

Depuis plusieurs années, les rangers reçoivent des renforts de l’étranger. L’ONG britannique GVI y envoie des volontaires du monde entier, pour mener des recherches sur les espèces marines et terrestres de cette île consacrée à l’étude de la biodiversité. " Les rangers font un travail exceptionnel et le Parc national des Seychelles a réussi à contenir le tourisme dans une zone dédiée, ce qui fait que la grande majorité de l’île est préservée ". Jazzy Taberer est la seule étrangère établie sur Curieuse. Le QG de son ONG est implanté à l’extrême opposé de la plage où accostent les touristes. Son équipe vit au rythme de la faune locale. " C’est surtout le matin que nous réalisons la plupart de nos terrains, c’est le moment de la journée où il y a le plus d’activités ". La jeune britannique est la coordinatrice scientifique de GVI sur ce site exceptionnel. " Cela fait deux ans et demi que je suis basée sur l’île, j’adore cet endroit, il y a toujours quelque chose à faire et surtout toujours des recherches à mener ".

Les eaux limpides des Seychelles, un paradis sur Terre
Les eaux limpides des Seychelles, un paradis sur Terre © Sandra Douceré et Anna Bellissens

Montée des eaux

Sa présence a permis de maintenir des actions de conservation, de surveillance et de collecte de données pendant les 9 mois de fermeture des frontières. " Les volontaires ont été renvoyés chez eux en mars 2020, mais nous avons pu maintenir le monitoring des espèces de tortues, la collecte des données avec les collègues seychellois, et les premiers volontaires étrangers sont revenus en octobre de la même année. En tant que conservateur, on peut anticiper les effets du réchauffement climatique par des actions préventives, comme cela a été le cas à l’époque où les tortues géantes ont été déplacées de l’atoll d’Aldabra dans les années 70-80, vers les îles intérieures des Seychelles ".

Il faudra de l’aide de la communauté internationale "

Car Curieuse n’est pas le seul refuge pour ces tortues géantes, l’île de la Digue accueille également ces imposantes déplacées. Les rangers et leurs renforts sont engagés dans une course contre la montre. Les projections des Nations-Unies sont sans équivoque : la montée des eaux menace 80% du littoral seychellois. " La montée des eaux est réelle pour nous, on le voit tous les jours. Nous, nous ne sommes pas responsables. Il faudra de l’aide de la communauté internationale ", alerte le ministre des affaires étrangères et du tourisme seychellois, Sylvestre Radegonde.


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Le discours des autorités de ce micro-état insulaire est le même à chaque conférence des Parties des Nations unies sur le climat. L’accord signé lors de la COP26 de Glasgow n’offre aucune garantie à l’archipel.


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Même en respectant leur engagement de réchauffement limité à 1,5 degré, les gaz à effet de serre des pays industrialisés devraient continuer à faire disparaître 70 à 90% des récifs coralliens d’ici la fin du siècle. Et ainsi priver les terres habitées des îles seychelloises, de leur rempart face à la montée des eaux.

"Derrière les chiffres" du 5 novembre :

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