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Shin hanga, impressions du Japon moderne au Musée Art & Histoire

Fritz Capelari (1884-1950), Femme tenant un chat noir (1915)

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© S. Watanabe Color Print Co

Qui dit estampe japonaise, dit La Grande Vague de Hokusai, une œuvre publiée en 1830 à la fin de l’époque d’Edo. L’estampe, produite en masse, est alors le moyen le plus répandu de diffuser des images. Mais au début du XXe siècle, après des années de modernisation et d'occidentalisation du Japon, l’estampe est menacée par une nouvelle technologie révolutionnaire: la photographie. Quelques éditeurs veulent sauvegarder la tradition et visent le public occidental qui donne plus de valeur à l’estampe depuis la mode du japonisme fin XIXe. L'estampe devient un "produit" moins populaire et renouvelle son style: le mouvement Shin hanga ( littéralement : " nouvelle estampe ") était né.

Torii Kotondo (1900-1976), Cheveux du matin (1931) cette estampe qui montre une femme décoiffeé (selon la bienséance japonaise) après une nuit d'amour sera censurée.
Torii Kotondo (1900-1976), Cheveux du matin (1931) cette estampe qui montre une femme décoiffeé (selon la bienséance japonaise) après une nuit d'amour sera censurée. © Collection particulière, Pays-Bas

L’éditeur Shozaburo Watanabe révolutionne l’estampe japonaise traditionnelle (ukyo-e) grâce aux techniques de représentation de l’art occidental: les dégradés de couleurs très élaborés, l’utilisation du clair-obscur et la perfection de la perspective. Les artistes, dont nombreux sont des peintres, tentent d'imiter la peinture en se concentrant sur la texture et les nuances chromatiques. Par contre, il y a une continuité dans les thèmes: la jolie femme, le paysage rural et urbain, les saisons, les fleurs et les oiseaux, les acteurs de théâtre. Et aussi, désormais, la société moderne ou l’esprit des années folles. Le parcours de l’exposition Shin hanga suit ces thématiques et explique en détail la technique de l’estampe.

Ohara Koson (Shōson) (1877-1945), Corbeaux au clair de lune (1927)
Ohara Koson (Shōson) (1877-1945), Corbeaux au clair de lune (1927) © S. Watanabe Color Print Co.

Pour le novice, il n’est pas évident de percevoir d’emblée la différence avec les estampes de la période précédente. Une première salle nous rafraîchit la mémoire avec une dizaine d’estampes ukiyo-e tirées de l’imposante collection du Musée, une des plus importantes d’Europe avec ses 7.500 d’œuvres.

En 1910, l'éditeur Watanabe n'est plus satisfait du travail de Takahashi Shōtei qui perpétue un style traditionnel plat et avec peu de nuances de couleurs. "Bateau sur une rivière par temps de neige"
En 1910, l'éditeur Watanabe n'est plus satisfait du travail de Takahashi Shōtei qui perpétue un style traditionnel plat et avec peu de nuances de couleurs. "Bateau sur une rivière par temps de neige" © MRAH – JP.06147

La technique s’améliore par la qualité du papier plus fort avec une absorption des couleurs plus intense. Cela permet une finesse des traits comme on le voit dans l'extraordinaire rendu de la chevelure des jeunes femmes qui, autre évolution, ne sont plus des courtisanes dessinées d’après croquis, mais des modèles qui posent pour le dessinateur. De même pour les paysages, dessinés sur place (comme les Impressionnistes) et choisis pour leur intérêt esthétique plutôt que pour leur renommée.  

Femme peignant ses cheveux (1920) de Hashiguchi Goyo est l'une des œuvres les plus importantes du mouvement Shin hanga
Femme peignant ses cheveux (1920) de Hashiguchi Goyo est l'une des œuvres les plus importantes du mouvement Shin hanga © Collection particulière, Pays-Bas
Kawase Hasui (1883-1957), Le temple Tennō-ji à Osaka (1927) - Série : Souvenirs de voyage,
Kawase Hasui (1883-1957), Le temple Tennō-ji à Osaka (1927) - Série : Souvenirs de voyage, © MRAH – JP.07286

Tombe la neige

Le thème des saisons reste un grand classique, avec quelquefois un même paysage traité à différentes périodes de l’année. Les paysages enneigés sont très appréciés. Le rendu de la neige sous toutes ses formes montre l’étendue du talent des artistes. Des calmes paysages dont on perçoit pratiquement le silence feutré, jusqu'aux violentes chutes de neige représentées par une couche dense de petits traits fins.

Kawase Hasui, Neige nocturne sur le canal Sanjūgen (1920) - Série : Les douze mois de Tokyo
Kawase Hasui, Neige nocturne sur le canal Sanjūgen (1920) - Série : Les douze mois de Tokyo © Collection Scholten
Kawase Hasui (1883–1957), La porte Hwahong [Buksumun], Suwon, 1939
Kawase Hasui (1883–1957), La porte Hwahong [Buksumun], Suwon, 1939 © S. Watanabe Color Print Co.

Les méandres du destin

Il est parfois rentable d’aller faire du shopping. C’est grâce aux aquarelles d’un autrichien (Fritz Capelari) exposées dans un grand magasin de Tokyo en 1915, que l’éditeur Watanabe concrétise son intuition de faire réaliser des scènes japonaises dans le style occidental. Dans les estampes Bijin-ga (images de jolies femmes) le fond devient monochrome, certains artistes utilisent de grands aplats de couleurs, le format est plus grand (A4)et quelquefois horizontal.  Le papier est travaillé comme une matière, incisé ou gaufré pour créer du relief et les influences sont parfois directes: Après le bain, une des premières estampes de Shinsui - un des maitres de l'estampe Bijin-ga - est directement inspirée de l’oeuvre de Capelari  Femme avec chat  (en tête d'article).

 Après le bain (1917), une des images emblématiques du maître Itō Shinsui (1898-1972)
Après le bain (1917), une des images emblématiques du maître Itō Shinsui (1898-1972) © Collection particulière, Pays-Bas

L'estampe Shin Hanga reste un produit commercial fabriqué suivant une stricte division du travail: l’éditeur passe commande à un dessinateur qui fait graver son dessin sur un bloc de bois. Ensuite passage chez l’imprimeur et enfin commercialisation par le distributeur. Pour réaliser ces étapes délicates, on fait appel aux artisans les plus habiles et pour donner plus de valeur au produit, les tirages seront limités à quelques centaines et numérotés. Mais bien souvent Watanabe dérogera à ce principe en faisant de très nombreux tirages non numérotés. Ce type de production n'empêche pas une maîtrise époustouflante : certaines estampes contiennent jusqu’à 34 nuances colorées, ce qui se traduit par une multiplication des blocs, encrés et imprimés à la suite les uns des autres. Parallèlement au Shin hanga destiné au marché occidental, se développe le mouvement artistique Sōsaku-hanga ("impression créative") qui, à l'opposé, met l'accent sur l'artiste en tant que créateur unique qui grave et imprime lui-même. 

détail du procédé de l'estampe. Les couleurs sont imprimées les unes après les autres.
détail du procédé de l'estampe. Les couleurs sont imprimées les unes après les autres. © Xavier Ess - Rtbf
Kasamatsu Shirō (1898-1991), Soir de printemps à Ginza, 1934
Kasamatsu Shirō (1898-1991), Soir de printemps à Ginza, 1934 © MRAH – JP.07295

Scènes urbaines et mode internationale

Si on voit des scènes de ville moderne et des ponts métalliques dans les paysages, c'est surtout la mode et les loisirs d’une certaine jeunesse urbaine des années 20 qu'on découvre dans cette exposition. Les mobo (moderne boy) et les moga (modern girl) tokyoïtes dansent, fument et boivent dans les cafés et salles de danse du quartier huppé de Ginza. On pourrait être à Berlin ou à Paris. Les estampes montrent des femmes indépendantes qui gagnent leur vie et nous regardent droit dans les yeux. Le corps en mouvement, libéré de la tradition. Le mouvement Shin hanga s’essouffle à la fin des années trente mais se perpétue jusqu'aux années soixante. On regrettera ici le peu d'œuvres de cette dernière période qui nous prive des influences de grands noms comme Matisse ou Picasso et jusqu'à l'influence de l'abstraction.

Le catalogue du visiteur, très détaillé sur l’origine des œuvres, nous prend par la main pour débusquer toutes les subtilités de l'image et prendre le temps de se laisser imprégner par l’harmonie des compositions et, avouons-le, un certain romantisme désuet.

Shin Hanga Les estampes modernes du Japon 1900 - 1960, jusqu'au 15 janvier 2023 au Musée Art & Histoire, Parc du Cinquantenaire à 1000 Bruxelles.

 

Itō Shinsui (1898-1972), La loge, 1955
Itō Shinsui (1898-1972), La loge, 1955 © Collection particulière, Pays-Bas
Kasamatsu Shirō (1898-1991), La grande lanterne du Kannondō, 1934
Kasamatsu Shirō (1898-1991), La grande lanterne du Kannondō, 1934 © MRAH – JP.07294

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