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"Si tu tombais enceinte, personne ne te payait" : les footballeuses italiennes ont (enfin) obtenu le statut de professionnelles

Sara Gama

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Par Caroline Bordecq, correspondante en Italie pour Les Grenades

Les joueuses du championnat de foot italien seront bientôt reconnues comme professionnelles. Une première pour les femmes dans l’histoire du sport en Italie.

Qu’elles gagnent des médailles d’or aux Jeux Olympiques ou des championnats du monde, aujourd’hui, en Italie, toutes les athlètes sont officiellement des amatrices. Toutes, sauf (bientôt) les footballeuses.

En effet, à partir du 1er juillet 2022, les joueuses de la Serie A (le championnat de foot italien) auront le statut de professionnelles. "Ça veut dire qu’on sera considérées comme des travailleuses avec un vrai contrat de travail, une fiche de paie, des cotisations, des assurances… Toutes les protections prévues par la loi. C’est essentiel !", se réjouit Sara Gama, défenseuse de la Juventus et capitaine de l’équipe nationale féminine lors de la Coupe du Monde 2019.

"Les genoux ruinés et aucune compensation"

Jusqu’à présent, les footballeuses signaient des accords privés avec les clubs et étaient rémunérées par un système d’indemnités. "Si tu tombais enceinte, personne ne te payait. Si tu te cassais le genou, il fallait avoir la chance de jouer dans un club où le président acceptait de te rémunérer, sinon tu n’avais aucun contrat pour te protéger", raconte Carolina Morace, ancienne joueuse devenue ensuite entraineuse et commentatrice.

Celle qui est encore considérée comme l’une des grandes figures du foot féminin italien "a tout sacrifié" pour le sport de haut niveau. "À l’époque je gagnais suffisamment pour pouvoir vivre mais je ne pouvais pas mettre d’argent de côté pour le futur. À presque 60 ans je me retrouve donc sans retraite, avec les genoux ruinés et aucune compensation", confie-t-elle.

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Grâce à leur nouveau statut, les footballeuses auront également droit à des salaires minimums garantis, équivalents à ceux de la Serie C masculine. Soit entre 20.200€ à 26.600€ bruts par an pour les joueuses de 19 ans et plus. "Une bonne base", estime Sara Gama, mais en aucun cas comparable aux millions que reçoivent certains de ses homologues masculins de la Serie A (pour eux, les minimums bruts vont de 30.800€ à 42.400€). "Tout le monde pense que maintenant elles vont gagner de grandes sommes mais ça n’a rien à voir. Elles auront juste la possibilité de faire du sport de haut niveau en se concentrant seulement sur ça", continue Carolina Morace.

C’est la plus grande discrimination de genre en Italie !

En effet, à cause des conditions précaires, des joueuses sont parfois contraintes de cumuler un emploi en plus de leur carrière sportive. C’était notamment le cas de certaines coéquipières de Sara Gama, il y a encore quelques années. "Maintenant, au niveau auquel nous sommes ce n’est plus possible", explique la joueuse de 33 ans, dont l’équipe vient d’être sacrée une nouvelle fois championne d’Italie. Elle-même a préféré poursuivre ses études jusqu’à obtenir un diplôme en Langues et Littératures étrangères. "Je n’ai pas toujours pensé que le football deviendrait mon métier parce que ce n’était pas possible de se l’imaginer", raconte-t-elle.

S’entrainer en soirée pour travailler ou étudier

Ce témoignage fait écho à ceux de footballeuses en Belgique qui encore aujourd’hui ne peuvent pas vivre uniquement de leur pratique sportive. À ce propos, une étude de 2019, réalisée par le Centre Permanent pour la Citoyenneté et la Participation, mettait en lumière les conditions des joueuses belges devant s’entrainer en soirée pour pouvoir travailler ou étudier la journée.

Les footballeuses auront droit à des salaires minimums garantis, équivalents à ceux de la Serie C masculine

Si cette avancée pour le football féminin italien est bel et bien historique, elle arrive 41 ans après la loi encadrant le sport professionnel. Et encore aujourd’hui, de nombreux·ses athlètes ne bénéficient pas de la même reconnaissance. En effet, le texte de loi prévoit que ce soient les fédérations sportives qui décident quelles disciplines peuvent être considérées comme professionnelles mais, depuis 1981, seulement quatre sont reconnues comme telles (le foot, le basket, le cyclisme et le golf) et ce, uniquement pour les hommes. "Les femmes exerçant la même discipline sportive n’ont pas accès à une loi de l’État au même titre que leurs collègues masculins. C’est la plus grande discrimination de genre en Italie !", dénonce Luisa Rizzitelli, présidente d’ASSIST, une association d’athlètes.

Un saut en avant

Pour Sara Gama, devenue la première femme élue vice-présidente de l’association italienne de football (AIC) en 2018, le passage au professionnalisme est une étape de plus à tous les progrès réalisés aussi bien au niveau de certains clubs que de l’équipe nationale, qui s’est propulsée jusqu’aux quarts de finale de la Coupe du Monde en 2019. Désormais, "c’est tout le football qui va faire un saut en avant en attirant des joueuses étrangères de plus haut niveau et des sponsors", continue la joueuse.

En Italie, on assimile encore souvent le foot féminin au foot des jeunes

De son côté, Carolina Morace insiste sur le rôle à jouer par les clubs et la fédération italienne de football (FIGC) pour faire accompagner les équipes féminines en tant que professionnelles. En effet, tous les clubs de la série A n’offrent pas les mêmes conditions d’entrainements aux femmes. Il arrive encore qu’elles soient contraintes d’utiliser les infrastructures des jeunes.

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"En Italie, on assimile encore souvent le foot féminin au foot des jeunes. Alors que ce sont deux choses qui n’ont rien à voir", se désole-t-elle. Pour donner de la visibilité aux équipes de femmes, il faut "un plan à 360° allant de la formation des joueuses, des équipes techniques au marketing", continue Carolina Morace. Elle cite l’exemple de la Juventus, où évolue Sara Gama, qui a réussi à attirer 40.000 spectateurs face à la Fiorentina au stade Allianz en 2019. "Si le club accorde de l’importance à son équipe les supporters suivent. C’est normal !", analyse l’ancienne joueuse.

D’autant que cette année, les supporters·trices italien·nes ne pourront compter que sur l’équipe nationale féminine pour vibrer devant une compétition internationale. En effet, si les hommes ne sont pas parvenus à se qualifier (pour la deuxième fois consécutive) pour la Coupe du Monde qui se déroulera cet hiver au Qatar, les femmes seront bien au rendez-vous pour l’Euro organisé en juillet en Angleterre.

 

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