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Sommet en Ouzbékistan: Chine et Russie, une alliance de façade?

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Par Wahoub Fayoumi

Les présidents chinois Xi Jinping et russe Vladimir Poutine ont affiché jeudi leur volonté de se soutenir et de renforcer leurs liens en pleine crise avec les Occidentaux, lors de leur première rencontre depuis le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Les deux dirigeants se sont réunis en marge d'un sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Samarcande, en Ouzbékistan, au moment où les relations entre leurs pays et les Etats-Unis sont fortement tendues.
 

Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la Recherche stratégique, et spécialiste de la Chine, nus explique quelle importance revêt cette rencontre.

W. F. : La Russie et la Chine entretiennent une relation ambigüe. Est-ce que l'on peut parler d'alliance entre ces deux pays depuis le début de l'invasion russe en Ukraine?

Valérie Niquet: "Entre la Chine et la Russie, c'est une relation asymétrique et de nécessité, parce que la Chine est aujourd'hui bien plus puissante que la Russie économiquement.

La Russie est dans une situation de demande par rapport à la Chine, elle a besoin du soutien chinois notamment pour l'achat de gaz, qui lui permet de réorienter un peu ses exportations.

Mais depuis ce rapprochement, et surtout depuis l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping, le président chinois, on voit bien que la puissance la plus en avant désormais est la Chine, et que la Russie l'est beaucoup moins.

Mais cela a aussi créé des frustrations: tout le monde n'est pas d'accord en Russie, ou en tout cas n'était pas d'accord quand il pouvait s'exprimer avant la guerre en Ukraine, sur ce rapprochement.

En tout cas, tous les deux ont besoin de mettre en avant leur alliance pour répondre à l'Occident, mais derrière tout ça il y a également beaucoup de sujets de tension.

Du côté de la Chine, on  a besoin de conserver cette image d'alliance sino-russe encore une fois face aux Etats-Unis; la Chine a ses propres agendas, dans le Pacifique avec Taïwan par exemple, et elle veut montrer qu'elle n'est pas seule  et qu'elle a le soutien de la Russie

En revanche, la Chine, et c'est ça qui est ambigu, n'a pas envie non plus, et c'est une tradition, de se trouver entraînée dans un conflit. Elle n'a pas ouvertement condamné l'invasion de l'Ukraine, puisqu'elle veut préserver cette alliance avec la Russie, mais elle n'a pas non plus soutenu de manière massive la Russie, notamment en refusant de livrer des armes comme Moscou le lui demandait. Et surtout, on voit bien qu'économiquement les banques chinoises restent très prudentes. Pour la Chine, le partenaire principal, même s'il y a des tensions, ça reste les Etats-Unis, notamment au niveau commercial, et l'Europe.  La Russie ne représente rien.  Donc la Chine n'est pas prête à se sacrifier pour son allié russe."

W. F.: Quelle est l'importance de l'Organisation de coopération de Shanghai?

Valérie Niquet: "Il y a la Russie et la Chine, il y a aussi la Mongolie, l'Inde et l'Iran qui y sont rattachés. Mais c'est surtout au niveau de l'Asie centrale qu'elle était importante.

Il faut se rappeler l'histoire de l'organisation de coopération de Shanghai. Elle a été créée après la chute de l'URSS dans les années 90. Et du côté chinois, il y avait déjà l'idée d'arrêter une progression de l'OTAN vers l'Asie centrale. Il y avait en effet des liens qui s'établissaient entre le Kazakhstan et l'OTAN, par exemple, à cette époque là.  On voit donc que l'origine de cette organisation déjà à l'époque était de répondre aux avancées occidentales, et notamment celles de l’OTAN. C'est pour ça qu'elle a été créée, et pour stabiliser aussi les frontières après la chute de l'URSS.

Au-delà de ça, ce n'est pas une organisation de coopération qui peut concurrencer les autres grandes organisations internationales. Et là aussi, il y a des tensions au sein de cette organisation, parce que la Chine joue évidemment un rôle économique majeur en Asie centrale. Elle a multiplié les aides, les prêts; et c'est de là notamment qu'elle s'approvisionne en gaz, notamment en provenance de l’Ouzbékistan. Il y a énormément de pipelines qui vont vers la Chine et qui ne vont plus vers la Russie ou vers l'Europe, car c'est un poids lourd économique dans la région. Cela suscite parfois des tensions dans certains de ces pays.

Mais celle qui maintenait la sécurité dans la région c'est la Russie, on l'a vu lorsque la Russie est intervenue l'année dernière pour rétablir l'ordre dans l'une des capitales régionales (à Almaty au Kazakhstan, ndlr)

Donc il y a une sorte de répartition des tâches: la Russie n'a pas renoncé à son influence sécuritaire en Asie centrale, et la Chine joue un rôle économique."

W. F.: Avec ce sommet, Vladimir Poutine espère afficher ses soutiens.

Valérie Niquet: "C'est certain que l'objectif de Poutine est de recueillir tous les soutiens apparents les plus importants pour sa guerre en Ukraine où il est en difficulté.

Mais même pour ces pays-là, les choses ne sont pas claires. La Chine soutient mais ne donne rien. Le Kazakhstan était encore plus réticent. Donc, on voit bien que l'influence russe après la guerre en Ukraine, y compris dans son ancienne zone d'influence, a tendance à diminuer."

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