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Sommet Etats-Unis-UE : le temps des rustines

Le Président des Etats-Unis Joe Biden à l’entame de sa rencontre avec le Président du Conseil européen Charles Michel et la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.

© Kenzo Tribouillard – AFP or licensors

Pas un faux pli dans le tapis rouge. Des drapeaux parfaitement alignés avec, côte à côte, les étoiles des Etats-Unis et celles de l’Union européenne.

Puis dans ce cadre impeccable, l’apparition des trois leaders, résolument radieux. Ils retirent les masques pour montrer l’amplitude de leurs sourires. Et ils partagent leur ravissement sous les objectifs des caméras.

"Je suis tellement ravi que l’Amérique soit de retour" entonne le Président du Conseil européen, Charles Michel, après avoir gratifié le Président des Etats-Unis d’un "Dear Joe". Et Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne renchérit : "c’est un honneur de vous recevoir, si tôt dans votre mandat" et "nous voulons vous assurer que nous sommes amis et alliés".

Joe Biden, le Président des Etats-Unis abonde : "America is Back" mais aussi "nous avons une magnifique relation". Et : "J’ai une vision très différente de mon prédécesseur."

Personne ne mentionne nommément Donald Trump en ces premières minutes de sommet Union européenne / Etats-Unis, le premier en sept ans, mais le message est clair : l’ère Trump est révolue. C’est jour de réconciliation transatlantique. Concrètement, cela signifie d’abord réparer les pots cassés.

Rafistoler une relation cabossée par le mandat Trump

La relation UE-Etats-Unis sort abîmée des 4 ans de présidence de Donald Trump.


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L’ex-Président des Etats-Uni avait certes confirmé un virage déjà amorcé par son prédécesseur Barack Obama : celui de regarder davantage vers l’Asie et son dynamisme commercial, plutôt que vers l’Europe. Mais Donald Trump avait en outre adopté un ton jamais entendu vis-à-vis de l’Union Européenne.

L’allié européen depuis l’après-guerre et les fondements de l’Union était devenu, dans le discours de Donald Trump, "un ennemi pire que la Chine" et l’Allemagne "un Etat contrôlé par la Russie", la Belgique "un hellhole" (traduction approximative : "un trou à rats").

Ce ton a été doublé de gestes commerciaux hostiles. En mai 2018, les Etats-Unis ont instauré des droits de douane sur l’acier et l’aluminium européens. L’Union avait riposté en instaurant des droits de douane sur 3,2 milliards de dollars de produits américains, des jeans aux Harley Davidson. Une "guerre commerciale" et diplomatique dont les traces sont à colmater aujourd’hui.

En signe d’apaisement, au début de ce mois de juin, les Européens ont renoncé à surélever certaines taxes punitives. Ils attendent maintenant un geste des Etats-Unis, comme le soulignait le vice-président de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis, la semaine dernière :
"Nous avons envoyé un signal clair aux États-Unis quant à notre volonté de résoudre ce différend de manière juste et équilibrée, puisque nous avons suspendu le doublement automatique de nos contre-mesures légitimes. Il appartient maintenant aux États-Unis de passer de la parole aux actes."

Qu’en sera-t-il ? Ce sommet a en tout cas ouvert ce travail de réconciliation avec un premier acquis, une première preuve concrète de cette volonté de renouer : la suspension de la guerre des avionneurs Airbus et Boeing.

Une trêve dans la guerre Airbus-Boeing

A la sortie de la rencontre, le trio de leaders a annoncé un compromis qui amorce la fin de 17 ans de conflit entre les avionneurs français et américain Airbus et Boeing.

A la question d'une journaliste à la volée "le conflit Airbus-Boeing sera-t-il résolu?", le Président des Etats-Unis répondait en croisant les doigts, en entrant dans la salle du Conseil européen.
A la question d'une journaliste à la volée "le conflit Airbus-Boeing sera-t-il résolu?", le Président des Etats-Unis répondait en croisant les doigts, en entrant dans la salle du Conseil européen. © Kenzo Tribouillard - AFP or licensors

Les deux parties ont accepté de prolonger de cinq ans la suspension des droits de douane punitifs qu’ils s’infligent dans le cadre de ce contentieux (notamment sur les exportations de vin français). Un contentieux qui trouve sa source en 2004 dans l’octroi de subventions illégales à Boeing et Airbus.

Cette période prolongée d’accalmie devrait permettre d’aborder plus sereinement le nœud du conflit. Et Ursula Von der Leyen s’en réjouit :

"La réunion a commencé par une percée sur les avions […]. Nous avions décidé conjointement de résoudre cette dispute. Aujourd’hui on a tenu promesse. […] Cet accord ouvre un nouveau chapitre dans notre relation car nous passons d’un contentieux à une coopération sur l’aéronautique, après 17 ans de dispute. Ceci montre le nouvel esprit de coopération entre l’Union européenne et les Etats-Unis et la preuve que nous pouvons résoudre les autres problèmes pour notre intérêt mutuel" déclare la Présidente de la Commission.

Une satisfaction qu’ont déjà exprimée aussi le ministre Français de l’économie, Bruno Le Maire et la Représentante américaine au Commerce, la diplomate Katherine Tai.

Rencontre express, menu maxi

Une foule d’autres sujets ont été abordés au fil de ces deux heures de rencontre entre partenaires retrouvés.

D’abord la lutte contre le Covid-19, priorité partagée par Joe Biden, Charles Michel et Ursula von der Leyen. Européens et Américains confirment l’engagement pris ce week-end par le G7, les pays les plus riches de la planète, de donner un milliard de doses de vaccins aux pays les plus pauvres, le but étant de vacciner les 2/3 de la population mondiale d’ici la fin de l’année prochaine. Joe Biden et les dirigeants européens réclament également une nouvelle enquête transparente et indépendante sur l’origine du Covid-19 en Chine.

En revanche, les dirigeants européens, à la sortie de la rencontre, n’ont pas évoqué de discussion sur l’appel récent de Joe Biden à lever les brevets sur les vaccins contre le Covid-19.

La lutte pour le climat était, elle, à l’ordre du jour. Ainsi qu’un autre sujet chaud sur lequel l’administration Trump avait fait marche arrière : la fiscalité des multinationales, dont les géants du web.

Côte à côte, les leaders européens et américain: la Présidente de la Commission européenne, le Président des Etats-Unis et le Président du Conseil européen.
Côte à côte, les leaders européens et américain: la Présidente de la Commission européenne, le Président des Etats-Unis et le Président du Conseil européen. © Kenzo Tribouillard -AFP

Commerce et nouvelles technologies au cœur de la rencontre

Les deux partenaires veulent renforcer leur commerce transatlantique, notamment celui des technologies émergentes.

Ils annoncent la naissance d’une structure de coopération, pour faciliter ensemble l’émergence de nouvelles technologies : l’intelligence artificielle, l’internet des objets ou encore les technologies vertes. Ce "Conseil pour le Commerce et la technologie US-EU" visera à éviter les barrières aux technologies émergentes, à accélérer leur entrée sur le marché, à instaurer aussi des normes "occidentales" communes pour ces nouveautés. Et au passage, faire front ensemble au concurrent chinois.

Cette structure cherchera également des solutions communes à certains goulets d’approvisionnements, comme la pénurie de semi-conducteurs, ainsi que des réponses à certains risques en matière de cybersécurité.

Les dirigeants des Etats-Unis et de l’Union-Européenne ont évoqué la Russie, avec laquelle l’Union est dans une "spirale négative" selon les mots d’Ursula von der Leyen, ainsi que la Chine. L’administration américaine aimerait l’appui de l’Union européenne dans la croisade qu’elle a entamée contre l’influence de Pékin. Mais la Présidente de la Commission européenne a rappelé à la sortie de la rencontre que l’Union considère la Chine comme "concurrente", "adversaire" ou "partenaire", selon que l’on parle de commerce, de droits humains ou de défi climatique.

Sur tous ces dossiers, Européens et Américains vont tenter d’avancer les années à venir, selon un agenda commun.

Reprendre comme avant… Ou pas ?

L’humeur est à l’apaisement et à "aborder ensemble d’importants défis mondiaux", selon les mots ambitieux de Charles Michel.

Mais ce ne sera pas un retour à un âge idyllique pour autant.

Le mandat de Donald Trump (et même celui de Barack Obama avant lui) a montré à l’Union européenne l’intérêt de tenir sur ses deux jambes, davantage autonome, souveraine. Le débat sur cette autonomie anime les 27 Etats membres : les points de vue diffèrent sur l’alignement ou la distance que doit entretenir l’Union vis-à-vis des Etats-Unis, première puissance mondiale et encore principal partenaire commercial de l’Union. Trump ou pas, ce débat reste ouvert et sensible.


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Quand aux Etats-Unis, ils renouent certes avec le multilatéralisme, les accords internationaux, des rapports diplomatiques moins "disruptifs", mais le premier chantier du Président américain sera vraisemblablement de rabibocher les citoyens américains entre eux, d’apaiser la tension sur la scène intérieure, les profondes divisions qui ont éclaté au grand jour sous les années Trump et au lendemain de l’élection présidentielle qui a porté Joe Biden à la Présidence.

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