Guerre en Ukraine

Sommet UE-Ukraine à Kiev : "Il y a encore des montagnes à franchir avant qu’on puisse imaginer que les négociations d’adhésion commencent"

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​​​​​Le 24e sommet Union européenne - Ukraine se déroulera ce vendredi avec la guerre en toile de fond. Ce contexte inédit a bousculé les relations entre l’Ukraine et ses partenaires européens, voire occidentaux, sur la forme et sur le fond. Sur la forme, le sommet se tiendra à Kiev sous haute sécurité alors que les Russes continuent à pilonner notamment l’est du pays. Sur le fond, ce sera le premier sommet du genre depuis que l’Ukraine a obtenu le statut de candidat à l’adhésion.

Sommet UE-Ukraine à Kiev :"Il y a encore des montagnes à franchir avant qu’on puisse imaginer que les négociations d’adhésion puissent commencer". Photos d’illustration.
Sommet UE-Ukraine à Kiev :"Il y a encore des montagnes à franchir avant qu’on puisse imaginer que les négociations d’adhésion puissent commencer". Photos d’illustration. © Getty Images

De l’antichambre de l’UE au saint des saints européens, l’Ukraine devra encore patienter longtemps, c’est ce que les Européens lui répéteront. Les derniers efforts consentis pour lutter contre la corruption "endémique" du pays ne sont pas suffisants malgré le basculement que la guerre a constitué. Européens et Ukrainiens discuteront aussi de l’aide européenne et de dossiers délicats tels que la création d’un tribunal spécial pour juger l’agression russe ou la confiscation des avoirs russes à l’étranger.

"Un signal fort"

Évoquant ce 1er février la tenue du sommet à Kiev même, le Premier ministre ukrainien Denys Chmygal le qualifie de "signal fort adressé tant à nos partenaires qu’à nos ennemis ". Et en effet, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et ses commissaires ont fait le déplacement jusqu’à la capitale ukrainienne. Le président du Conseil européen Charles Michel est aussi du sommet. Du beau monde alors qu’à quelque 700 kilomètres, les bombes pleuvent à Kherson ou à Bakhmut.

"Un an plus tard, après toutes les tentatives de destruction des infrastructures ukrainiennes, avoir la capacité de recevoir des délégations gigantesques, avec toute la logistique que ça implique notamment au niveau du transport, ça montre que l’Ukraine est capable d’assurer et de recevoir des hôtes de marque", relève la spécialiste de l’UCLouvain (Chaire Baillet-Latour UE-Russie) Laetitia Spetschinsky, autrice de "Europe-Russie : chroniques d’une rupture annoncée" qui vient de paraître aux Presses universitaires de Louvain.

"Ça veut dire que le gouvernement tourne, que les services tournent […] Le fait d’accueillir à un niveau si haut prouve que Kiev est très serein quant à ses capacités de défense", ajoute l’experte.

Cette sérénité affichée s’est aussi traduite par l’annonce du sommet alors que, pour des raisons de sécurité, les délégations étrangères ne communiquent pas longtemps à l’avance leur déplacement en Ukraine. "C’est un risque calculé. Mais le but du sommet, c’est aussi cet effet d’annonce. Il faut capitaliser sur le message envoyé en disant ‘on y va, on n’a pas peur’", analyse Laetitia Spetschinsky.

"C’est un moment d’autant plus important qu’il fait suite à la visite de Volodymyr Zelensky aux États-Unis", met en exergue de son côté la présidente du Centre de droit européen Marianne Dony. "C’est une manière, pour l’Union européenne, de dire qu’elle est aussi présente et qu’elle a joué un rôle très important. C’est à la fois un signal par rapport à l’Ukraine mais aussi pour dire qu’il n’y a pas que les États-Unis qui aident l’Ukraine, l’Union européenne joue un rôle très important."

L’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne

La question de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne se discutera dans ce contexte particulier. Le pays a obtenu en juin dernier le statut de candidat et les négociations ne sont pas encore ouvertes. L’UE et l’Ukraine se trouvent dans une phase qualifiée de préparatoire.

Et un long chemin – c’est un euphémisme – attend le pays. L’Ukraine devra en effet remplir les critères de Copenhague (d’adhésion) et répondre de la présence d’institutions stables garantissant la démocratie, d’une économie de marché viable, mais également de sa capacité à assumer ses obligations découlant de l’adhésion. Parmi elles, l’intégration de l’acquis communautaire (règles, normes et politiques européennes).

Cette longue séquence est confirmée par Laetitia Spetschinsky : "Oui, clairement, ça va prendre des années. […] Cela a été dit et tout le monde en est parfaitement conscient… ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas envoyer un message positif et performatif au gouvernement ukrainien. Mais il n’y a pas de doute là-dessus".

La corruption "endémique" de l’Ukraine

Il faut comprendre la lutte contre la corruption menée par le président Volodymyr Zelensky et les dernières perquisitions menées dans le pays en guerre à l’aune des garanties que l’Ukraine doit donner à l’Union européenne en vue de son adhésion. Le sujet est en effet une source d’inquiétude pour les Européens, notamment après le rapport particulièrement sévère publié par la Cour des comptes européenne en septembre 2021, autrement dit avant la guerre.

Dans cet audit, la Cour des comptes européenne indique que la "grande corruption" et la "captation de l’État" sont endémiques en Ukraine, malgré l’aide apportée par l’Union européenne depuis vingt ans.

"Il n’y aurait pas eu cette invasion de la Russie", précise Marianne Dony, "jamais on en serait à ce stade-là. C’est pour arrimer l’Ukraine à l’Europe que ce geste a été posé (octroi du statut de candidat, ndlr). Mais il y a énormément à faire, principalement en termes de corruption, et les Ukrainiens en sont très conscients. Et ce n’est pas un hasard s’il y a eu des arrestations, des documents saisis… en début de semaine. En termes d’État de droit, il y a encore des montagnes à franchir avant qu’on puisse imaginer que les négociations d’adhésion commencent", analyse encore la présidente du Centre de droit européen.

Dans le rapport de la Cour des comptes européenne du 23 septembre 2021, l’Union européenne non plus n’est pas épargnée. Elle est accusée de ne pas avoir réussi à élaborer de stratégie pour lutter contre la grande corruption et d’avoir englouti des fonds européens sans engranger de résultats. Bref, un très très mauvais bulletin dont les notes doivent être améliorées.

"La dernière chose que Charles Michel et Ursula von der Leyen voudraient en ayant fait le déplacement à Kiev, c’est d’avoir un second rapport de ce niveau qui met en cause l’Union européenne", commente Laetitia Spetschinsky.

La confiscation des avoirs russes à l’étranger

D’autres questions viendront sur la table ce vendredi 3 février, comme celles de l’aide humanitaire d’urgence, de l’aide structurelle ou macro-économique, voire de l’aide militaire.

Deux autres dossiers seront également abordés. Des dossiers "cruciaux, plus compliqués et plus glissants", selon Laetitia Spetschinsky. Il s’agit du soutien judiciaire à la création d’un tribunal spécial pour juger l’agression russe, cher à l’Ukraine et de la confiscation des avoirs russes à l’étranger gelés… pour reconstruire l’Ukraine (privés et publics).

La confiscation des avoirs de l’État russe à l’étranger, soit quelque 300 milliards d’euros, est particulièrement délicate. "Dans la logique russe, prendre l’argent public, c’est voler l’épargne des citoyens russes. Ce n’est pas la même chose que de confisquer le yacht d’Abramovitch. […] Donc, le citoyen lambda ne peut pas être présumé coupable. Ça pose une vraie question d’État de droit", analyse la spécialiste de l’UCLouvain.

Dès lors, les Européens envisageraient non pas de confisquer l’argent public russe mais de le placer et de confisquer les intérêts de ce placement pour reconstruire l’Ukraine. L'idée est sur la table. Sa concrétisation est une autre paire de manches.

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