Humeur musicale

Sonneries intempestives au concert : et si on n’éteignait pas nos téléphones…

© Riou / Getty Images

Par Pierre Solot via

Suite à l’incident des téléphones portables survenu lors du concert de l'Orchestre de Philadelphie et de Yannick Nézet-Séguin, Pierre Solot tente de réfléchir autrement à cette problématique.

Vilaines petites bêtes électroniques non-admises

Ce samedi 6 mai, Yannick Nézet-Séguin dirigeait l’Orchestre de Philadelphie dans la Neuvième Symphonie d’Anton Bruckner, la dernière Symphonie du compositeur autrichien, un testament inachevé qu’il avait dédié à Dieu. Après quelques secondes du troisième mouvement, et pour la seconde fois ce soir-là, une sonnerie de téléphone portable résonne dans la salle, brisant le recueillement de l’Adagio et la communication avec Dieu qui était en train de s’installer.

Yannick Nézet-Séguin arrête l’orchestre, se tourne vers le public et dit : " Can we live without the phone for just one damn hour ? "

Interrogé par le Philadephia Inquirer après le concert, Yannick Nézet-Séguin se réjouissait de la présence d’un nouveau public dans les salles de concert, mais ajoutait qu’il fallait aussi l’éduquer au silence et à l’abandon du téléphone portable.

La première erreur du chef canadien consiste certainement à stigmatiser ce "nouveau public", comme il l’appelle, c’est-à-dire les "Jeunes", parce que s’il y a des téléphones qui sonnent dans les salles de concert, c’est très très très rarement ceux des jeunes gens, très prompts à les placer en mode silencieux, les utilisant largement sans sonneries de notifications, et maîtrisant parfaitement leurs petites machines.

Ce sont bien plus régulièrement des personnes plus âgées, moins à l’aise avec le fonctionnement de ces téléphones portables, qui – parfois malgré elles — se retrouvent à devoir les éteindre en catastrophe sans avoir l’évidence et la vélocité du processus qui fera taire la vilaine bêbête électronique.

Et puis, la deuxième erreur de Yannick Nézet-Séguin me paraît être de s’être énervé contre ces téléphones qui lui ont abîmé sa Symphonie de Bruckner.

Le silence n’a pas toujours été de mise dans les salles de concert

Si on peut comprendre son agacement, il est désespérément stérile. Voilà plus de vingt ans que l’on se plaint des sonneries intempestives dans les concerts où l’on fait silence, que l’on prévient le public par des appels au micro, de petits dessins, de grands signaux, qu’il faut éteindre son téléphone, mais rien, absolument rien ne change.

Et si rien ne change, c’est que l’on se trompe de méthode…

Et si on posait la question à l’envers. On ne peut pas faire disparaître les téléphones pendant le concert ? Alors, trouvons-lui une place.

Comme pour la drogue. On n’endigue pas la consommation et la vente de drogue, alors on la légalise, on l’encadre et on coupe l’herbe sous le pied des dealers…

Bon, il y a la question du silence, qui – rappelons-le quand même – n’a pas toujours été une évidence pour la musique classique : on a très longtemps parlé dans les salles de concert ou d’opéra, on y parlait, on y mangeait, on se déplaçait pendant le concert… Finalement, le silence, ça date de musiciens aux égos surdimensionnés comme Wagner et Liszt au XIXe siècle qui ont fait du concert un instant religieux. Avant ça, on se prenait beaucoup moins la tête.

Récemment, on a aussi créé des brouilleurs, une espèce de machine qui, en émettant une fréquence, permet de perturber une installation ou un équipement radio-électrique. Mais outre la question légale, qui refuse d’annihiler ainsi les urgences légitimes, c’est une solution infantilisante, où le public est tristement passif.

Et si le téléphone faisait partie du concert ?

On le sait, il y a mille raisons pour laisser un téléphone allumé, nonobstant l’oubli et la distraction, par exemple quand vous apprenez, sur votre fauteuil en salle, avant le concert, que l’un de vos proches est en difficulté, qu’il est rassurant, mais que vous comptez guetter chaque nouvelle, même s’il a insisté pour que vous restiez au concert. Et ce n’est qu’un exemple.

Parce qu’on pourrait aussi créer un moment rituélique, tous ensemble, avant de commencer le concert, avec les musiciens, sur scène, on éteint le téléphone portable… Comme une cérémonie… mais nous venons de le dire, il y a tellement de raisons pour ne pas éteindre un téléphone.

Non, on ne parviendra pas à les étouffer ces téléphones. Sauf peut-être en plaçant un sniper menaçant au dernier balcon, mais là encore, on touche aux limites de la légalité…

Non, on garde les téléphones allumés, on pense le concert interactif, comme à l’Orchestre de Lille il y a quelques années : une partie du concert où l’on peut réagir en direct, via son téléphone, les réactions sont projetées sur un grand écran, donnant même des suggestions de tempo ou de nuance au chef d’orchestre.

Ou alors, on se dit que les téléphones restent allumés, on ne demande rien au public, et c’est aux artistes de détourner l’attention du portable vers la musique, de forcer le public par leur art et leur virtuosité à éteindre le téléphone, tellement ce qui se joue sur scène est plus stimulant que ce qui se joue à l’écran. La musique contre l’algorithme… Joli combat en perspective...

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