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Sorcières, fées, nutons : les croyances et légendes de la vallée de la Semois

Un ruisseau sur les hauteurs d’Alle-sur-Semois

© / O. Leherte

"Les nutons, bien sûr qu’on y croyait !", s’exclame Claudine Pignolet. Née en 1941, elle a passé une partie de son enfance chez ses grands-parents à Alle-sur-Semois. A l’époque, les nutons, les sorcières, mais aussi les fées et le pépé Crotchet étaient évoqués au quotidien. On ne vous racontait pas cela comme une légende, ou une histoire pour enfants ; ces personnages se glissaient tout simplement dans les conversations de tous les jours. On vous parle d’un temps où les sorcières, les fées, les nutons et tant d’autres personnages fantastiques faisaient partie de la vie.

"Tu ne te pencheras pas sur le ruisseau parce que le pépé Crotchet va te happer avec son grand bras et tu tomberas dans l’eau". Cette phrase, Claudine l’entendait régulièrement quand elle était petite. Le pépé Crotchet, ce petit personnage à forme humaine, un crochet en lieu et place du bras droit, était bien utile aux parents. Il rôdait, disaient-ils, près des fontaines, des lavoirs, des puits et des rivières.

Le pépé Crotchet, personnage fantastique qui rôdait près des fontaines, des lavoirs et des ruisseaux, et "happait" les enfants dans l’eau.
Le pépé Crotchet, personnage fantastique qui rôdait près des fontaines, des lavoirs et des ruisseaux, et "happait" les enfants dans l’eau. © / O. Leherte

"C’était pour expliquer aux enfants qu’on ne se promenait pas le soir près des cours d’eau. Ce sont des légendes qui étaient en fait éducatives", analyse Yvon Barbazon, passionné d’histoire locale. Yvon Barbazon a lui aussi grandi dans la région dans les années 40. "On parlait aussi beaucoup des loups-garous. On nous disait que le loup-garou viendrait nous prendre ! Ça permettait d’éviter qu’on ne s’égare dans les bois". Quant aux nutons, ils étaient très serviables, mais susceptibles. Il fallait donc penser à leur être reconnaissants quand ils rendaient service. "C’étaient des personnages qu’il ne fallait pas oublier de remercier. Les enfants apprenaient donc à dire merci ", explique la conteuse Mimie Poncelet, habitante d’Alle-sur-Semois, comme l’étaient ses parents et grands-parents avant elle.

Mimie Poncelet, conteuse et habitante de Alle-sur-Semois
Mimie Poncelet, conteuse et habitante de Alle-sur-Semois © / O. Leherte

Un patrimoine transmis oralement

On entendait aussi parler de ces personnages lors des veillées. "En hiver, quand tous les travaux étaient terminés, on allait à la soirée chez les voisins, puis chez d’autres voisins, c’était une tournante", se rappelle Yvon Barbazon.

Et c’était là que se racontaient les légendes.

"Les dames ne riaient pas en racontant ça. On voyait que c’étaient des histoires qui venaient de beaucoup plus loin, qu’elles les tenaient d’autres femmes. C’est un patrimoine qu’elles transmettaient oralement. Et nous, les enfants, on était interloqués".

Même à 10 ou 11 ans, on continuait à se poser la question. Fallait-il y croire ? Ou pas ? "J’en ai revu certaines après. Elles maintenaient que tout était vrai. J’ai connu des habitants du village qui auraient eu 120, 130 ans aujourd’hui. Je ne dis pas qu’ils croyaient à tout, mais ils croyaient en partie à ces histoires".

Les anciens y croyaient. Le Docteur Delogne l’a consigné.

Yvon Barbazon sort un vieux livre de sa bibliothèque, édité en 1914, et rédigé par le médecin d’Alle sur Semois, le Docteur Delogne.

Yvon Barbazon, lisant "L’Ardenne méridionale belge", de Th. Delogne.
Yvon Barbazon, lisant "L’Ardenne méridionale belge", de Th. Delogne. © / O. Leherte

Celui-ci y rapporte de très nombreux témoignages. "Le Docteur Delogne interrogeait ses patients plus âgés et retranscrivait leurs propos". Des anecdotes de la vie quotidienne et des histoires fantastiques s’y entremêlent. La table des matières donne un aperçu des croyances populaires. On y parle de cheval enchanté, de bœufs ensorcelés, d’envois de poux ("Ils étaient envoyés par les sorcières, nous éclaire l’historien. Les sorcières envoyaient des poux aux gens"), du pépé Crotchet, de loups-garous, de sorcières et de lieux hantés, autant d’éléments que l’on retrouve dans les récits des patients du Docteur Delogne. Au 19ème siècle, ces croyances étaient donc encore partagées par des adultes. Parmi elles, celle de la 'chasse infernale' aussi appelée 'chasse fantastique'.

La chasse fantastique

Plusieurs habitants des villages environnants rapportent des faits similaires. Une patiente du village de Laforêt raconte qu’une nuit, sa mère et l’une de ses amies assistaient une voisine qui venait d’accoucher. Elles entendirent tout à coup la chasse fantastique : aboiement de centaines de petits chiens, cors de chasse, etc. Les mêmes faits se seraient produits la nuit où était née une autre de ses patientes, Eugénie G. Quant à Nicolas Ch., il raconta qu’il arrosait ses prairies, quand une nuit, il se trouva environné d’une centaine de petits chiens. Dans les airs, il entendit des sons étouffés de cors de chasse et des coups de fusil.

Extrait de Th. Delogne, "L’Ardenne méridionale belge. Une page de son histoire et son folklore. Suivi du Procès des Sorcières de Sugny en 1657", Bruxelles, 1914.
Extrait de Th. Delogne, "L’Ardenne méridionale belge. Une page de son histoire et son folklore. Suivi du Procès des Sorcières de Sugny en 1657", Bruxelles, 1914. © / O. Leherte

Selon la croyance populaire, la chasse fantastique était une chasse qui ne s’arrêtait jamais. Un seigneur aurait un jour commis l’erreur de chasser un dimanche, au lieu d’aller à la messe. Il avait dès lors été condamné à chasser pour la nuit des temps, accompagné de sa meute de chiens. "Evidemment, à force de se faire déchirer par les branches, ses vêtements étaient en lambeaux, son squelette ne contenait plus beaucoup de chair", précise Mimie Poncelet.

Mais comment expliquer une telle crédulité ? Pour la conteuse, la réponse est assez évidente. "Les histoires se racontaient, se racontaient encore, au point qu’on en était imprégné. Un jour, confronté à une frousse, une frousse grandissante, une grosse terreur, on tentait de l’expliquer. On repartait alors vers le légendaire, vers les histoires racontées lors des veillées, et on identifiait cette histoire comme la raison de sa peur. On accolait la réalité de la peur qu’on avait vécue à la légende. Ensuite on pouvait le raconter parce qu’on l’avait vécu et tout cela entretenait l’histoire et la rendait encore plus crédible".

La vallée de la Semois : un paysage qui se prête au merveilleux

La vallée de la Semois, avec ses collines couvertes de forêts, ses ruisseaux, la Semois qui s’écoule, parfois tortueuse, dans le fond de la vallée offre un décor idéal à ces croyances fantastiques. "Il y a un petit ruisseau qui passait devant notre maison, raconte Yvon Barbazon, et si je descendais le long du ruisseau, j’arrivais dans des prairies, puis dans les bois, et quand j’entrais dans les bois, il y avait de la rocaille, des rochers même interpellant parce qu’ils avaient une forme spéciale, où l’on pouvait se cacher, où même des nutons ou des fées auraient pu se cacher. Oui, le décor s’y prêtait vraiment bien".

La vallée de la Semois

Toutes ces légendes avaient pour toile de fond une croyance dans la sorcellerie. "Par exemple, se souvient Claudine Pignolet, le jour où le brouillard ne voulait pas se lever dans le fond de la vallée, on disait que les sorcières étaient en train de faire leur caboulée (de la nourriture pour les cochons, ndlr) dans des grosses marmites et la vapeur stagnait entre deux collines. Quand le brouillard stagnait encore plus, on disait qu’elles faisaient leur buée (la lessive, en patois local)".

Quant à Yvon Barbazon, il se souvient bien de femmes isolées qui habitaient à l’écart du village et qui se faisaient traiter de sorcières. "Il suffisait que dans un village, une femme habite seule, soit habillée en noir, ait des chiens, pour que les gens disent en la voyant passer que c’était une sorcière. J’ai encore connu de telles situations". Claudine Pignolet se souvient d’une situation comparable. "Après la guerre j’ai connu une vieille dame à Bouillon. Son mari était mort à la guerre. Elle n’avait presque rien : juste un tout petit lopin de terre. Tous les jours, elle partait avec sa brouette et allait ramasser du bois mort pour se chauffer. Elle ramassait des escargots parce qu’elle n’avait rien d’autre à manger. C’était une femme très pauvre, jamais gaie, habillée et coiffée très simplement. Les gens la prenaient pour une sorcière. Quand vous aviez un animal blessé, c’était facile d’accuser la sorcière d’avoir jeté un sort".

Claudine Pignolet. Ses grands-parents habitaient à Alle-sur-Semois. Elle y a passé une partie de son enfance.
Claudine Pignolet. Ses grands-parents habitaient à Alle-sur-Semois. Elle y a passé une partie de son enfance. © / O. Leherte

Il valait mieux se faire accuser de sorcellerie au 20ème siècle qu’au 17ème siècle

Jusqu’au début de la Première Guerre mondiale, les accusations de sorcellerie empoisonnaient encore régulièrement les relations de voisinage… Si l’on en croit ceux qui ont grandi à Alle-sur-Semois, on traitait encore des femmes de sorcières après la deuxième guerre mondiale.

Reste qu’il valait mieux se faire accuser de sorcellerie au 20ème siècle que 300 ans plus tôt. En 1657, quatre femmes s’étaient fait condamner dans le village voisin de Sugny (lors du procès de Sugny) pour pratique de la magie noire. Deux d’entre elles furent condamnées à un an de cachot humide, l’une d’entre elles au bannissement et la dernière, Jeannette Huart, au bûcher. Elle fut brûlée vive après avoir avoué sous la torture.

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